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8 mai 2003 — L’empire est-il sur ses rails ? C’est la question qui vient à l’esprit à la suite de la guerre en Irak, la victoire américaine, les conditions que connaît l’Irak désormais. Deux réponses intéressantes, parce que venues de deux représentants notables de tendances différentes, — deux réponses négatives, qui nous disent : non, l’empire n’est pas sur ses rails, — pire encore : à peine démarré, il déraille.
Les deux réponses viennent de :
• Patrick J. Buchanan, homme de la droite républicaine, “paléo-conservateur” (paleo-con), c’est-à-dire les conservateurs qui s’opposent aux soi-disant projets impériaux de l’administration GW (inspirés essentiellement par les néo-conservateurs).
• Niall Ferguson, historien britannique et chef de file d’une nouvelle école historique britannique, avec un rapport très fort avec l’actualité, une école qu’on pourrait nommer “néo-impérialiste”. Cette école rafraîchit au goût du jour le thème selon lequel le Royaume-Uni pourrait profiter de l’équipée impériale des USA, pour redevenir lui-même impérial, en quelque sorte indirectement, par cousinage de plus en plus rapproché.
Ferguson est manifestement déçu des premiers résultats de la guerre irakienne, par rapport à ce qu’il en attendait. Il en conclut que l’Amérique n’a pas du tout la fibre impériale. Buchanan reprend le propos et le confirme pour ce qui le concerne, mais pour une raison différente. Les deux hommes sont donc d’accord et pas d’accord, et Buchanan expose « [w]hy America's empire will vanish ».
Oui, pourquoi ? Selon Ferguson, tel que Buchanan nous le présente :
« Citing President Bush – “We will remain in Iraq as long as necessary, and not a day longer” – [Ferguson] fears the American empire will be “the most evanescent in all of history.”
» “Other empire-builders have fantasized about ruling subject peoples for a thousand years,” Ferguson writes in the New York Times Magazine. “This is shaping up to be history's first thousand-day empire. Make that, a thousand hours.”
» Why cannot Americans sustain an empire? Because we “lack the one crucial character trait without which the whole imperial project is doomed: stamina.” »
Buchanan a une autre approche : « An American empire cannot endure because it both contradicts our anti-imperialist tradition dating to 1776, and our democratist ideology, which says that all peoples are equal and all have the right to rule themselves. When the Iraqis invoke American principles against us, the Americans will pick up and go home. [...] Democratic empire is a contradiction in terms. And Americans are simply not a people who can live long with contradictions. Sorry, Dr. Ferguson. »
Peu importe qui a raison, de Buchanan et de Ferguson. (Tout en observant qu’ils peuvent tous deux avoir raison, par des voies différentes : la démocratie n’est-elle pas, par essence, par son fonctionnement, par le caractère de vulnérabilité des situations qu’elle crée, un régime qui ne peut que manquer d’opiniâtreté [stamina], et plus encore lorsqu’il s’agit d’une démocratie dont le fonctionnement a montré ces derniers temps des signes d’essoufflement ? D’autres diront que la démocratie est un régime qui n’a pas besoin d’opiniâtreté puisqu’il trouve dans son propre fonctionnement une mécanique constante de renouvellement.)
... Peu importe qui a raison, l’essentiel est bien d’observer une conséquence inattendue et très rapide de la “victoire” américaine en Irak. Cette victoire devait ouvrir la voie à l’affirmation impériale américaine, elle ouvre paradoxalement, dans les commentaires qui l’accompagnent, la voie une nouvelle fois à la mise en cause de ce projet impérial. Le paradoxe est d’autant plus grand que le but de l’abstention des Américains dans l’effort de reconstruction de l’Irak de l’après-guerre est sans aucun doute, en évitant tout “enlisement”, de conserver intactes leur ardeur et leur dynamique militaire de conquête, — bref, ce qui fait, dans leur esprit, leur puissance potentiellement impériale. C’est évidemment à cette abstention en général que Ferguson fait allusion lorsqu’il expose son scepticisme sur la suite de l’aventure impériale américaine. L’attitude même que les Américains jugent impériale est jugée opposée à l’esprit impérial par Ferguson.