L’Irak au Pays des Merveilles

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L’Irak au Pays des Merveilles

8 août 2007 — Tout avait commencé sur Fox News le 12 juillet, le jour, où parlait William Kristoll. Ou bien n’est-ce pas dans le train entre New York et Washington, où se trouvait Arianna Huffington, dans le siège derrière celui de Kristoll, après un article flamboyant du même Kristoll dans le Washington Post (le 15 juillet)? (Ah oui, le sujet de l’article, comme des bavardages sur Fox News : Kristoll annonçait la victoire en Irak.)

Puis la rumeur a enflé : “on va ga-gner”. La consigne a été diffusée notamment par la grâce d’un article sensationnel de Michael O’Hanlon et Kenneth M. Pollack du 30 juillet dans le New York Times. Les deux stratèges expliquaient comment le général Petraeus était en train de gagner la guerre, d’un point de vue militaire s’entend, d’un point de vue militaire américaniste s’entend… Ils avaient passé une grosse semaine en Irak, sous les auspices des services de relations publiques de Petraeus. (Tout comme Kristoll, d’ailleurs, qui avait été en Irak pour la première fois de sa vie début juillet, — il juge en spécialiste incontestée de l’Irak de l’importance historique de l’Irak depuis le début des années 1990, sans y avoir mis les pieds avant juillet 2007 ; il en est revenu avec l’optimisme qu’on a entendu sur Fox News, et lu dans le Washington Post.)

Ensuite, il y eut de nombreux articles, une avalanche d’articles répétant : “on va ga-gner”. Dans celui de Jim Michaels de USA Today du 6 août, par exemple, où l’on annonce :

«The U.S. strategy to build alliances with mostly Sunni tribal and local leaders has prompted 25,000 of their followers to turn away from the insurgency and at least nominally align with Iraq's Shiite-led government in the fight against al-Qaeda.» (le “ at least nominally” est intéressant).

Michaels explique que tout marche sur des roulettes parce que tout est conforme au manuel : «U.S. officers say the movement may be a turning point in efforts to defeat the insurgency. The U.S. military's new counterinsurgency manual emphasizes the importance of depriving insurgents of public support.»

Michaels termine son article en annonçant rien de moins que le tremblement de terre de la victoire US en Irak : «“This is a tectonic shift in what's happening in Iraq,” said Army Col. Sean MacFarland. As a brigade commander in Ramadi, MacFarland was responsible for building the first tribal alliances last year.»

Tout le monde s’y mit. Le Times de Londres entendit les conseils de Rupert Murdoch et se fendit de son pensum, dans ses éditions du 5 août. De New York, le journaliste Tony Allen-Mills donnait la parole aux braves sergents de l’U.S. Army qui en ont assez de voir que “l’arrière” ne tient pas, que “l’arrière”est en train de perdre la guerre qu’eux-mêmes sont en train de gagner. (“l’arrière tiendra-t-il?” s’interrogeait le poilu de Verdun en 1916.)

Un exemple intéressant des analyses qui fleurissent depuis la fin juillet est celle du spécialiste militaire de AP, Robert Burns, du 6 août, commençant par cette phrase définitive : «The new U.S. military strategy in Iraq, unveiled six months ago to little acclaim, is working.» L’article est intéressant et il est expédié aux oubliettes-poubelles de l’Histoire en une rapide critique de Stephen Schlesinger, sur HuffingtonPost.com le 7 août.

Schlesinger nous décrit cette étrange réflexion en escalier, en descendant marche par marche ; comment l’analyse de Burns démarre sur l’affirmation définitive du succès militaire US ; puis sur la restriction que ce succès deviendra “victoire” seulement si les Irakiens le veulent ; puis sur le constat qu’il n’est pas du tout sûr que les Irakiens le peuvent même s’ils le voulent, avec leurs sacrés affrontements internes (dito, la guerre civile) et tout le reste. Le succès militaire de l'offensive US serait donc démontré par le chaos et la guerre civile irakiennes que l’offensive US a exacerbés. CQFD, disait l’autre : c’est la faute aux Irakiens et la guerre en Irak ne serait vraiment pas un problème s’il n’y avait les Irakiens.

Schlesinger : «The Associated Press has run a story by its military writer Robert Burns making the claim that the so-called “surge” is “working” in Iraq and now the war is entering “a new phase.” Burns, however, rather weakens his argument by conceding that, for all of US efforts, the US can't guarantee victory — “only the Iraqis can.” Then he points out that “it is far from certain that they are capable” of doing this because of “deep-seated sectarian loyalties”, because of a “deepening crisis” in the government coalition, and many related issues, all leaving American commanders “clinging to a hope that stability might be built from the bottom up ... ” According to Burns, though, beyond the “clinging hope”, there is another reason why the US military chiefs do not want to give up — “they feel that so much has been sacrificed already that it makes no sense to quit now” referring to the 3,665 US soldiers lost so far, and the current average of two per day dead….»

Retour du Pays des Merveilles

Après cet effort intensif dans le Pays des Merveilles, vous pouvez en revenir sains et saufs si vous le désirez. Allez d’abord à l’explication de WSWS.org, le 3 août. Elle montre que Petraeus a simplement exacerbé les tensions internes en Irak en choisissant d’armer les sunnites contre les chiites (non, pardon, contre Al Qaïda), donc en choisissant la guerre civile pour assurer le succès de son offensive. (C’est la fameuse bagarre entre Petraeus et Maliki, expliqué par l'orwellien Burns de AP, dans le sens de l'Irak sans les Irakiens.)

Ensuite, vous lisez l’éblouissante, très longue et très détaillée analyse de Patrick Cockburn, depuis Bagdad, à partir de ses enquêtes constantes sur place, hors des sentiers battus des services de RP de Petraeus, — dans The Independent du 7 août. Elle est présentée de cette façon : «It was supposed to mark a decisive new phase in America's military campaign, but six months after George Bush sent in 20,000 extra troops, Iraq is more chaotic and dangerous than ever. In a special despatch, Patrick Cockburn reports on the bloody failure of “the surge”.»

Enfin, vous lisez le commentaire de Simon Tisdall, du 7 août également, dans le Guardian. La perception anglo-saxonne officielle/MSM de l’horreur irakienne est expliquée par le simple fait qu’elle se développe non à propos de l'Irak mais à propos du pays d’“Alice au Pays des Merveilles”, — et ce sera le mot de la fin, — enfin, le mot temporaire de la fin :

«Iraq's politics, as opposed to Iraq's grim daily ground-floor reality, increasingly resembles a game of illusions which those involved conspire to maintain or prolong. It is an Alice in Wonderland world — except there are no white rabbits disappearing down holes, let alone being pulled from hats.»

… Finalement, en post-scriptum cette exclamation épuisée du pauvre Justin Raimundo, le 6 août sur Antiwar.com : “comment… peuvent-ils parler de ‘succès’ ?” (Ainsi terminera-t-on par tout a commencé, par Kristoll.)

«How, in the name of all that's holy, could a rational human being look at what'sgoing on in Iraq and hold out any hope of "success" for America's colonial project? The American and Iraqi casualty rates are soaring, the government of Iraq is collapsing, the Turks are getting ready to invade Kurdistan in reaction to the regional government's nurturing of Kurdish terrorists on its territory, and the government we are committed to protecting with American troops and treasure is, for all intents and purposes, an extension of the Iranian mullahocracy. The American military occupation coexists with and enables widespread ethno-religious “cleansing” and the imposition of Sharia law in much of the country.

»If this is success, then what would failure look like?

»In the Bizarro World of the neoconservatives, however, none of this matters: indeed, it merely spurs them on. Since the pursuit of American national interests is entirely unrelated to their foreign policy agenda, the horrific damage to this country and its relations with the world are, for them, quite beside the point. Which is why Bill Kristol's latest screed claiming that victory is right around the corner is particularly disingenuous…»