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22 août 2003 — Toutes considérations humanitaires mises à part, — malgré qu’elles forment le fond de la pensée de nombre de nos dirigeants, il faut le savoir, — et en se conformant à la logique habituelle du jugement, on aurait du mal à considérer la tragédie de l’attentat contre l’ONU à Bagdad comme un événement stratégique. Entre 20 et 30 morts, une centaine de blessés sur le chef de non-combattants, c’est autant de tragédies humaines mais ce n’est pas un événement historique. Nous voulons dire par là, sans irrespect pour les victimes, que l’histoire en a vu d’autres. Toujours selon cette logique des conceptions classiques de la guerre, cela ne devrait pas être une défaite stratégique.
Nous ne sommes plus dans une logique des conceptions classiques de la guerre. Nous ne sommes plus, à proprement parler, dans l’histoire puisque nous sommes dans un univers virtualiste. Alors, oui, c’est une défaite stratégique, principalement pour l’Amérique. L’attentat est une défaite stratégique parce que c’est un événement que nous avons choisi de charger de symboles et parce que nous avons choisi de mener une politique de symboles, de faire des guerres symboliques (pourtant avec une kyrielle de morts, — sans doute symboliques, eux aussi, — lorsqu’il y a des “dégâts collatéraux” causés par les interventions “chirurgicales”, mais ce serait l’exception qui confirme la règle si l’on veut). Finalement, puisque nous sommes dans le symbole, il suffit d’entendre avant-hier soir l’étonnante intervention de Bernard Kouchner sur la deuxième chaîne française, pour comprendre qu’effectivement le symbole, donc l’humeur romantique, l’interprétation sentimentale, voire l’hystérie incontrôlée juste comme il faut, déterminent le jugement et dominent le débat, surtout devant les caméras de TV. (Kouchner nous affirmant que l’ONU est la chose « la plus douce, la plus démocratique » existant dans le monde politique en général, avant d’agiter devant nos yeux stupéfiés et pour nos oreilles ébahies le spectre du terrorisme islamiste comme étant l’une des plus grandes menaces qui se puissent concevoir, — voilà qui valait son pesant de réflexions historico-philosophiques. On sentait l’homme sevré de prestations TV depuis de nombreux mois.)
Par conséquent, avec cette défaite stratégique, nous sommes entrés dans une nouvelle phase en Irak. De façon assez significative et, à notre avis, de façon un peu imprudente comme c’est le cas avec les évaluations bureaucratiques qui n’ont que faire des réalités politiques, le commandant de Central Command a confirmé cela. Du coup, le général John Abizaid a officialisé la défaite stratégique US et élevé les terroristes qui ont frappé l’ONU au rang d’“ennemis privilégiés”. En quelque sorte, Abizaid a internationalisé le conflit puisque beaucoup laisse supposer, y compris les indications d’Abizaid lui-même, qu’il y a eu intervention extérieure.
« Gen. John Abizaid, chief of U.S. Central Command, told a Pentagon news conference that elements of a small terrorist organization called Ansar al-Islam had migrated south into the Baghdad area and that foreign extremists are infiltrating Iraq from Syria to further destabilize it.
» Abizaid said terrorists are now firmly established in the Iraqi capital and pose a growing danger. “Clearly, it is emerging as the number one security threat,” he said. “And we are applying a lot of time, energy and resources to identify it, understand it and deal with it.” »
Les adversaires des Américains, eux, ont une stratégie, et c’est celle de ce que nous nommerions “la guerre symbolique totale”. Pepe Escobar, dans atimes.com, nous explique qu’il s’agit effectivement d’une guerre totale, et nous rajoutons le qualificatif “symbolique” parce qu’il nous semble que les événements de cette guerre sont et seront de plus en plus interprétés en fonction de leur valeur symbolique, c’est-à-dire considérablement grossis.
« The red line has been crossed in Iraq. Now it is another kind of war: total war, carefully programmed, following a precise, overall strategy set by a clandestine Iraqi joint chiefs of staff.
» The bombing of the United Nations headquarters, a bloody attack on the “soldiers of peace” who work under the sky-blue flag, is the culmination of a coherent sequence: sabotage of water pipelines, sabotage of oil pipelines, and now sabotage of humanitarian aid. Water, oil and the UN are the targets in a perverse scorched-earth policy designed to prevent any possibility of normalization in Iraq. In the minds of the attackers, as the American occupying force has organized and installed a durable chaos, now it's the time to tell the Americans: you don't, and you can't, control anything. »
Finalement, c’est un commentaire “on line” de The Atlantic Monthly, du 21 août, qui nous donne l’indication la plus précieuse pour bien apprécier la nouvelle situation : l’attentat et l’interprétation qui en est faite, en plus des derniers développements, ôtent de sa légitimité à l’intervention américaine, peut-être dans une mesure décisive. Ce n’était pas la légitimité du droit, c’était la légitimité de la force et du fait du prince, mais aussi la légitimité d’une vague morale internationale, à-la-Kouchner, mais forte de la puissance virtualiste massive du monde médiatique, de la moralisation et de la jérémiade également massives qui nous tiennent lieu de pensée politique. Donc, légitimation très puissante, bien que suspecte. Cette légitimité-là est en train de s’effriter, très vite, — là aussi, c’est la rapidité qui est le fait le plus surprenant.
Comme conclut The Atlantic Monthly (revue prestigieuse US, donc ultra-prudente, et plutôt pro-GW jusqu’alors) : si les actes de politique extérieure de GW continuent à être acclamés comme des succès comme ils le sont, qu’est-ce que ce sera quand il y aura des échecs... (« And yet pundits insist that George W. Bush is unassailable on foreign policy. After such success, what failure? »)
« That legitimacy hangs by a thread now, an Iraqi journalist told On Point. The U.S. occupation is too weak to restore order or maintain basic services, he says, yet oppressive enough to kill, injure, and inflame Iraqi civilians. In the months since the war Baghdad has become ''another Beirut,'' a blow to Iraqi pride for which Iraqis blame the United States. And the situation is likely to get worse. The Financial Times reports that more than 3,000 Saudi young men have ''gone missing'' in the past two months. Many crossed over into Iraq to mount a jihad against the occupation. More suicide bombings can be expected. More U.S. soldiers and Iraqi civilians will die. Meanwhile, in Afghanistan this week, the Taliban offensive against the Karzai government resulted in the deaths of ninety people, the worst span of violence in Afghanistan since the U.S. war against the Taliban ended, just as this week was the worst in Iraq since the war against Saddam. And yet pundits insist that George W. Bush is unassailable on foreign policy. After such success, what failure? »
P.S. : Bon prince, le public suit les tendances générales. Le 19 août, CNN a lancé un de ses sondages habituels sur Internet, dans sa rubrique Quickvote. Voici les résultats obtenus, le 21 août au soir (sondage toujours en cours) :
• Question posée : «
Is Iraq becoming a quagmire for the United States? »
• Yes, — 94% (13377 votes).
• No, — 6% (823 votes).