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31 janvier 2007 — Depuis l’annonce du “renforcement” (“surge”) US en Irak, les événements semblent se développer dans le sens d’un élargissement et d’un approfondissement du conflit. Divers articles et rapports vont dans ce sens.
• Le Christian Science Monitor développe une analyse des mystères de la bataille de Najaf, où seraient apparus de nouveaux composants du chaos général qu’est devenue la guerre interne qui déchire l’Irak.
• Sur la même “bataille”, The Independent rapporte aujourd’hui une version complètement différente de la version officielle, — avec l’habituelle explication de l’erreur, de la maladresse, de l’appel aux Américains et du massacre qui s’ensuit nécessairement, — une sorte de réflexe de civilisation, si l’on veut. «A picture is beginning to emerge of a clash between an Iraqi Shia tribe on a pilgrimage to Najaf and an Iraqi army checkpoint that led the US to intervene with devastating effect. The involvement of Ahmed al-Hassani (also known as Abu Kamar), who believed himself to be the coming Mahdi, or Messiah, appears to have been accidental.»
• Le New York Times du 29 janvier analyse le comportement des forces irakiennes dans cette même bataille de Najaf, avec les diverses faiblesses des forces gouvernementales mises à jour. Le journal américain rapporte une déclaration officielle irakienne : «“This group had more capabilities than the government,” said Abdul Hussein Abtan, the deputy governor of Najaf Province, at a news conference.» Comme on voit, les interprétations des événements, où chacun tente de se donner une position à mesure de ses illusions, jouent bien autant un rôle que les événements eux-mêmes.
• The Independent du 30 janvier se fait l’écho d’un rapport de la Brookings Institution qui affirme que les forces américaines risquent un désastre si elles n’abandonnent pas les villes irakiennes. «The US must draw up plans to deal with an all-out Iraqi civil war that would kill hundreds of thousands, create millions of refugees, and could spill over into a regional catastrophe, disrupting oil supplies and setting up a direct confrontation between Washington and Iran.
»This is the central recommendation of a study by the Brookings Institution here, based on the assumption that President Bush's last-ditch troop increase fails to stabilise the country — but also on the reality that Washington cannot simply walk away from the growing disaster unleashed by the 2003 invasion.»
• C’est certainement l’article de Jim Lobe du 30 janvier qui nous apporte le plus de précisions, — Lobe parlant dans ce cas de l’attaque de Karbala. Lobe cite diverses sources qui apportent des éclairages différents sur l’évolution d’une situation dont les caractéristiques semblent effectivement l’élargissement et l’approfondissement.
On peut retenir de son article, le rapport qu’il fait du mémo de Ray Close, un ancien officier de la CIA, concernant cette attaque du 20 janvier à Karbala, au cours de laquelle cinq soldats US ont été tués. Cette attaque a déjà suscité beaucoup de commentaires. (Lobe : «As reported by the Associated Press, as many as a dozen attackers traveled in the kind of convoy of SUVs frequently used by U.S. officials in Iraq. They wore U.S. combat fatigues, and at least several of them spoke English, according to Iraqi soldiers who waved them through a checkpoint on the outskirts of Karbala. The SUVs and uniforms apparently involved in the attack were later found abandoned with the bodies in Mahawil in Babil province after Iraqi guards at one checkpoint gave chase. “The precision of the attack, the equipment used, and the possible use of explosives to destroy the military vehicles in the compound suggests that the attack was well rehearsed prior to execution,” a military spokesman in Baghdad told AP.»)
A propos des informations diffusées par Ray Close, Jim Lobe écrit notamment ceci :
«Ray Close, a retired top Middle East analysis at the Central Intelligence Agency (CIA), suggested that the attack and the abductions may have been retaliation for two recent raids in which the U.S. military seized and abducted Iranian officials in Iraq – the first in Baghdad on Dec. 21, the second in the Kurdish city of Arbil on Jan. 10 – as part of an increasingly dangerous “game of tit-for-tat.”
»After protests by the Iraqi central government, as well as by Tehran, the Iranians arrested in the first raid were released and deported home. The fact that the raid took place at the offices of the leader of the Supreme Council for the Islamic Revolution in Iraq (SCIRI), Abdul Aziz al-Hakim, who had just returned from Washington where he was treated as an honored guest at the White House by President George W. Bush, naturally added to consternation over the incident.
»The five Iranians seized in the second raid, which also elicited protests from both Baghdad, notably President Jalal Talabani and the local Kurdish authorities, have not yet been released, although Iranian officials in Tehran hinted Monday they had received a message from Washington regarding a resolution of the case.
»Both raids came amid escalating charges by Bush, as well as other senior U.S. officials, that Iran is providing “material support for attacks on American troops” and threats to, in Bush's words' “seek out and destroy the networks” that are allegedly doing so. On Wednesday, the U.S. embassy in Baghdad is expected to elaborate on U.S. charges based in part on materials seized during the two raids.
»In widely circulated memo, Close cites a “very knowledgeable friend” and recently retired analyst from the Defense Intelligence Agency (DIA) who noted Washington has had contingency plans for “specific paramilitary actions against Iranian personnel inside Iraq in case Iranian support for the insurgency became a significant problem,” and that such actions would likely provoke retaliation.
»“My friend looks at the recent incident in Karbala as very probably an Iranian operation carried out in retaliation against the recent seizures of Iranian operatives by the U.S. in Baghdad and Irbil,” Close wrote. “He says that the sophistication of the Karbala operation seems far beyond the capabilities of the Iraqi insurgents, and indicates the high probability of Iranian planning and execution.”
»“We need to watch carefully now to see if the 'tit-for-tat' game between the U.S. and Iran continues to escalate, and if in the end it proves to be a game that we might have been wiser to avoid or to minimize as much as possible,'' Close wrote.»
S’il est difficile de tirer de ces diverses indications un enseignement général précis sur la situation en Irak, on peut par contre avancer l’hypothèse que cette situation a atteint un nouveau stade.
• La “guerre civile” en cours est dépassée, — elle a atteint le stade de l’insaisissabilité par incompréhension des positions des différents acteurs, voire incapacité d’identifier ces acteurs. Il y a désormais un jeu de manipulation, d’identification des uns et des autres, auquel il faut ajouter les maladresses diverses, essentiellement américanistes. L’“Orient compliqué” est plus compliqué qu’il n’a jamais été.
• La géographie de la guerre semble en train de dépasser les limites de l’Irak pour évoluer vers une guerre régionale où l’Iran tiendra un rôle essentiel. Il est possible que l’intervention de GW Bush du 10 janvier, impliquant l’Iran en Irak et avertissant que les troupes US avaient désormais mandat de frapper les Iraniens ait ouvert les portes du conflit avec l’Iran, — mais dans des conditions inattendues, au niveau terrestre, en Irak, dans des conditions qui ne sont pas celles qu’on prévoyait initialement pour l’affrontement USA-Iran.
Acceptant cette hypothèse, la question est de savoir quel type de guerre l’un va imposer à l’autre. Depuis trois ans, les Américains menacent d’une attaque qui constitue la dimension aérienne d’un grand conflit conventionnel, — la seule qu’ils soient encore capables de conduire, — et qu’ils s’apprêtent peut-être à faire, semble-t-il. La riposte iranienne pourrait être de tenter d’attirer les Américains dans le piège d’une “Guerre de 4ème Génération” (G4G). L’originalité de la situation est qu’il semblerait qu’il soit question de cette “riposte” avant que les Américains aient lancé leur attaque.
Comme on l’a vu, l’implication des Iraniens en Irak a été voulue par Bush pour mieux ouvrir son jeu vers l’Iran, et, selon une hypothèse répandue, préparer son attaque générale contre l’Iran. Il a obtenu comme premier résultat d’impliquer le Congrès dans cette querelle avec l’Iran, et pas nécessairement à son avantage. Aurait-on un complément de cette évolution avec l’implication de l’Iran dans le conflit irakien, également au désavantage de Bush? Peut-on parvenir à obtenir, de façon aussi constante, des résultats aussi constamment désastreux? Il semble effectivement que GW ait la recette pour y parvenir, donc qu’il puisse y parvenir. Il faut lui faire confiance.
Le résultat serait de pousser l’Iran, voire de le “contraindre” pour certains milieux (les plus modérés) du pouvoir iranien, à engager une politique directe de pénétration et d’influence régionales. Les accusations de l’administration (pénétration du territoire irakien, intervention, etc.), les interventions US contre des Iraniens qui sont la plupart du temps des groupes couverts par les canaux diplomatiques ou des groupes sans importance stratégique décisive, l’éventualité de preuves contre eux, plus ou moins fabriquées, tout cela tend à fabriquer une image d’interventionnisme des Iraniens. La tentation d’au moins tirer quelque avantage de cette position d’accusé, c’est-à-dire en intervenant plus fortement en Irak, est suffisamment grande pour susciter effectivement une telle intervention de la part des Iraniens.
Toutes ces agitations tendent à mettre en place les conditions pour qu’on puisse parler d’un casus belli entre les USA et l’Iran. Il n’est pas sûr que l’opération soit nécessairement une machination (notamment américaniste) à l’intérieur d’un plan général. Il y a un certain caractère d’automatisme dans cette évolution, qui fait plus penser à une situation hors de contrôle, avec un enchaînement fait de réactions éparses mais non coordonnées des différents acteurs. Objectivement, bien entendu, cette évolution tend à favoriser les tentatives de reprendre le contrôle de la situation, — à condition que ce soient les pires possibles. On sait bien qu’aujourd’hui, l’imagination politique ne semble envisager aucune autre possibilité de reprise de contrôle d’une situation guerrière que par une attaque à un niveau supérieur.