L’Irak inflige une victoire-défaite à Blair

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L’Irak inflige une victoire-défaite à Blair


6 mai 2005 — La dernière (troisième) victoire de Tony Blair a une allure lugubre. Son parti remporte une confortable majorité. En d’autres temps, cela eût été un motif de célébration et une situation propre à conduire une politique sérieuse, voire même radicale. Dans le cas présent, d’abord par comparaison aux victoires précédentes, ensuite par le climat psychologique qu’elle entérine, cette victoire contient toutes les réserves possibles pour peser sur la psychologie du Premier ministre prolongée. C’est une curieuse “victoire sur la défensive”, une victoire-défaite qui fera du troisième terme de Blair une époque incertaine et chaotique pour lui, peut-être marquée de choix déchirants qui lui seront imposés et qui seront la marque de l’échec de ses plus grandes ambitions.

Au cœur de ce résultat, du climat de ce résultat plutôt : l’Irak, sans aucun doute, cette tragédie cruelle et insensée, ou simplement bête, dont on ne se débarrasse pas avec des “coups de communication”. C’est un événement important, un de plus depuis le 11 septembre 2001 comme on l’a vu dans d’autres résultats électoraux, qu’une question de politique étrangère joue un rôle aussi important dans une élection nationale.

Ci-dessous, quelques extraits d’ un commentaire de Jonathan Freeland qui fixe bien le sentiment et l’impression, le feeling comme ils disent, de cette étrange et lugubre victoire incontestable.


« Even the midnight rumours of a Labour majority of 50, later revised, would once have thrilled, rather than crushed, the party's supporters. In 1974, for example, that kind of margin would have felt like a landslide. And, lest we forget, Margaret Thatcher started a revolution in 1979 with a majority of just 44. A sober view would say yesterday was no disaster, merely a sign that, as David Blunkett declared, “normal politics has returned” — that the rhythms of the 1960s and 1970s had been restored.

» But that's not how it felt for a few jittery hours as Thursday turned into Friday. For among New Labour's many rewritings of the political rule book was its alteration of our sense of scale. The triple-digit wins of 1997 and 2001 made landslides seem normal, so that anything less looked like failure. And yesterday, as result after result showed a sharp plunge in the Labour vote, the fear of failure was palpable.

» There were important Labour holds — the party fended off strong challenges in the totemic New Labour seat of Birmingham Edgbaston as well as in Hove and Ynys Mon — but also some painful defeats. A giant swing to the Lib Dems in the middle-class north London seat of Hornsey and Wood Green toppled former minister Barbara Roche — one of the clearest proofs that the war on Iraq cost Labour dear.

» But it was more than seats which fell early this morning: some of New Labour's defining myths tumbled, too.

» First and most obvious to go was the legend of Tony Blair's infallibility. As soon as he was elected Labour leader in 1994, he had seemed to have a magic touch: cartoonists showed him walking on water. Last night the magician fell to earth. He won a viable, working majority — the achievement of a mortal, rather than a sorcerer. And what few Labourites would deny is that the leader who was once his party's shiniest electoral asset became, in 2005, an obstacle to be overcome. The Lib Dem surge was caused by antipathy to the Iraq war, of course, but it was also a function of the new Blair factor - the sentiment among many former Labour voters that they would rather switch parties than endorse “that man”. »


L’Irak continue à empiler ses victimes: le résultat britannique de mai 2005 vaut encore plus, en importance politique réelle si pas une situation politique factuelle, que celui de l’Espagne en mars 2004. Si Tony Blair reste en place, au contraire d’Aznar, ce sera pour boire la coupe jusqu’à la lie. Le principal problème de son nouveau mandat, confirmé par le sens du vote d’hier, est la mise en cause de sa politique étrangère, notamment sa stratégie du “grand écart” (rester l’allié le plus proche de Washington tout en s’imposant fermement en Europe).

Pour Tony Blair c’est attristant, pour l’Europe ce l’est éventuellement moins. Si Blair finit par admettre que sa stratégie est une erreur, — et les événements, y compris sa victoire-défaite, semblent s’employer dans ce sens, — il se concentrera sur l’orientation tactique qui s’impose. Puisque l’Irak et l’engagement pro-US s’avèrent un désastre, l’Europe fera l’affaire. Si Blair s’est finalement avéré un piètre stratège, il reste par contre un maître de la tactique. Dans une orientation européenne confirmée, il pourrait s’avérer extrêmement efficace, particulièrement dans le domaine qui importe (la défense et la sécurité). On verra si cette hypothèse s’avère fondée lors de la présidence britannique de l’UE, entre juillet et décembre.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Steele célèbre une victoire pour la démocratie parlementaire en constatant que Blair devra désormais compter avec son Parlement : « But it may also be good for parliamentary democracy itself. After years dismissed as a pliant echo chamber for the government, the House of Commons will suddenly matter. The people of Britain spoke last night - and they may have got exactly what they wanted. » Nous aurons une autre approche, avec le constat renouvelé que les grands courants de l’Histoire continuent à s’affirmer. Ils sont favorisés en cela par un système politique où le personnel politique, en général médiocre et parfois médiocre-brillant, et vivant dans la rêverie virtualiste ménagée par les communications, a perdu toute influence sur le sens des événements. C’est une bonne chose puisqu’il est avéré que cette influence serait catastrophique. Qu’ils laissent les grandes orientations stratégiques à l’Histoire et qu’ils s’occupent de tactique, pour finalement conforter cette grande stratégie qui leur échappe et à laquelle ils ne comprennent rien.