L’Iran a-t-il lu la narrative du bloc BAO ?

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L’Iran a-t-il lu la narrative du bloc BAO ?

Le meilleur titre saluant, ou plus simplement actant puisqu’il le faut bien l’élection présidentielle iranienne, est sans doute celui du Monde du 16 juin 2013. Il renvoie à l’objectivité fameuse de notre “journal de référence” en même temps qu’il développe avec discrétion une sorte de scoop qui ne peut que satisfaire le rangement du bloc BAO : «La communauté internationale prête à travailler avec Rohani». Le titre signifie donc que “la communauté internationale” existe, et précise que Le Monde l’a rencontrée et a pu obtenir son précieux avis, quasiment en exclusivité. Là-dessus, on vous laisse à penser que l’Iran est nécessairement isolé puisque “la communauté internationale” est nécessairement un tout et qu’elle donne son avis sur l’Iran comme à quelque chose qui est hors d’elle, et par conséquent l’Iran n’en fait pas partie. Tout cela couronne un texte composé avec zèle et discipline de banalités convenues où nulle part ne sont signalées les habituelles erreurs de prévision sur l’évolution de la politique iranienne, erreurs qui tiennent sans aucun doute à une mauvaise lecture constante de l’Iran de la narrative que le bloc BAO maintient en activité à son intention depuis un nombre respectable d’années.

Par conséquent, on laissera les commentaires courants des directions du bloc BAO et de la presse-Système qui va avec. (Ces commentaires saluent en général mais sur un ton assez morne, – l’Iran, ces sauvages sans civilisation, on connaît, – une “nouvelle époque” dont l’on attend qu’elle voit l’Iran s’aligner sur le programme du bloc BAO et rien de moins. Une presque-exception dans ce florilège avec la position plus conciliante et éventuellement le plus réaliste de la direction européenne autour de Lady Ashton.) Un des textes les plus intéressants autour de l’élection présidentielle iranienne peut être trouvé, comme d’habitude, du côté des époux Leverett que nous citons régulièrement. Les Leverett se sont associés à Seyed Mohammad Marandi pour un article de commentaire immédiat, publié par Aljazeera (le 16 juin 2013), et qu’on trouve également ce même 16 juin 2013 sur leur site GoingToTeheran.com. Les Leverett mettent d’abord en évidence les erreurs considérables de prévision des commentateurs du bloc BAO, qui sont partis de l’axiome que l’Iran est une dictature cléricale, que les votes et les résultats sont manipulés par l’ayatollah Khamenei, que l’élu ne pouvait être qu’un conservateur complètement acquis à Khamenei, que Rohani comme figurant plus ou moins complaisant du modéré de service n’avait aucune chance. Nous donnons ci-dessous un long extrait du commentaire des époux Leverett... (Dans l’article original, on trouve les liens de diverses citations.)

«The United States’ perennially mistaken Iran “experts” are already spinning Hassan Rouhani’s victory in Iran’s presidential election as a clear proof of the Islamic Republic’s ongoing implosion. In fact, Rouhani’s success sends a very different message: it is well past time for the US to come to terms with the reality of a stable and politically dynamic Islamic Republic of Iran.

»Three days before the election, we warned that US and expatriate Iranian pundits were confidently but wrongly positing how Iran’s election process would “be manipulated to produce a winner chosen by Supreme Leader Ayatollah Khamenei – a “selection rather than an election” – consolidating Khamenei’s dictatorial hold over Iranian politics”. Many, like the Brookings Institution’s Suzanne Maloney, identified nuclear negotiator Saeed Jalili as Khamenei’s “anointed” candidate; the Washington Post declared that Rouhani “will not be allowed to win”.

»By contrast, we held that Iran was “in the final days of a real contest”, during which candidates had “broad and regular access to national media”, had “advertised and held campaign events”, and had “participated in three nationally televised (and widely watched) debates”. The election “will surprise America’s so-called Iran ‘experts’,” we wrote, for the winner will emerge “because he earned the requisite degree of electoral support, not because he was ‘annointed’”.

»Rouhani’s victory demonstrates that the election was a real contest, and that the perceived quality of candidates’ campaigns mattered greatly in many Iranians’ decisions for whom to vote. In the end, most Iranians seemed to believe – and acted as if they believed – that they had a meaningful choice to make. Besides the presidential ballot, Iranians voted for more than 200,000 local and municipal council seats – with more than 800,000 candidates standing for those seats – a “detail” never mentioned by those constantly deriding the Islamic Republic’s “dictatorship”.

»Certainly, Western “experts” were wrong that former President Ali Akbar Hashemi Rafsanjani’s disqualification had driven Iranians into a state of political alienation and apathy. Rafsanjani is, at this point, not a popular figure for many Iranians; he almost certainly would have lost had he been on this year’s ballot. Rafsanjani’s sidelining was a necessary condition for the rise of Rouhani, a Rafsanjani protege.

»More broadly, Rafsanjani’s dream has been to build a pragmatic centre in Iranian politics, eschewing “extremes” of both conservatives – or “principlists”, as they are called in Iran – and reformists. Instead, he has antagonised both camps without creating an enduring constituency committed to a centrist vision. The election of Rouhani – the only cleric on the ballot, who campaigned against “extremism” in all forms and was endorsed by Rafsanjani – may contribute more to realising Rafsanjani’s dream than another unsuccessful Rafsanjani presidential bid.

»Going into the campaign, Rouhani’s biggest weakness was foreign policy; in 2003-05, during Rouhani’s tenure as chief nuclear negotiator, Tehran agreed to suspend uranium enrichment for nearly two years, but got nothing from Western powers in return. In fact, criticism of Rouhani’s negotiating approach was an important factor in Mahmoud Ahmadinejad’s first election to the presidency in 2005.

»During this year’s campaign, Rouhani effectively addressed this potential vulnerability, arguing that his approach allowed Iran to avoid sanctions while laying the ground for the subsequent development in its nuclear infrastructure. Moreover, Rouhani’s campaign video included praise from armed forces chief of staff General Seyed Hassan Firouzabadi, which bolstered Rouhani’s perceived credibility on security issues.

»In the week between the third candidates’ debate – on foreign policy – and election day, polls showed with accumulating clarity that Rouhani was building the strongest momentum of any candidate, along with Tehran Mayor Mohammad Baqer Qalibaf – who came in second, and whom we flagged two days before the vote as a likely contender with Rouhani in a second-round runoff.»

• La tenue des élections, leur caractère légitime selon les normes politiques convenables du processus démocratique plus que selon l’idéologie manipulatrice du diktat démocratique utilisé par le bloc BAO, constituent un puissant effet de cette élection. Sans grande surprise pour ce qui est du sens du commentaire, on peut trouver sur PressTV.ir un avis d’un professeur de l’université de Californie, Paul Sheldon Foote, pour observer que l’élection présidentielle iranienne est largement supérieure, en termes techniques, qualitatifs et de légitimité démocratique, à ce qui se fait aux USA. (Voir le 15 juin 2013 et le 16 juin 2013.) Foote : «[Voter turnout in Iran] is excellent; it is beyond anything we see in presidential elections in America; wish we had the same thing here. There has been excitement for days. My Iranian wife is in Iran, she voted there and she told me many nights on the streets people were out, excited, driving around, walking around; excited about an election...» Ce type de jugement, sur la condition catastrophique du processus démocratique aux USA (et dans nombre de pays du bloc BAO par rapport à la légitimité de la représentation démocratique) n’est plus une surprise. On l’a fait à propos d’autres élections, que ce soit au Venezuela ou en Russie, où la qualité de la démarche démocratique en vient à s’avérer supérieure à celle de la chose pratiquée dans les contrées américanistes-occidentalistes.

• C’est par conséquent le principal enseignement de cette élection en termes de communication, constituant probablement un nouvel avantage important pour l’Iran dans la région. Le régime iranien, comme le signalent les Leverett, s’avère être un système politique stable et démocratiquement satisfaisant, qui peut se présenter comme “modèle” pour la région, au contraire des pressions soi-disant “démocratiques” du bloc BAO. C’est ce que disait, le 14 juin 2013 (sur PressTV.ir), le professeur George Labaki, de l’université Notre-Dame au Liban, considérant l’Iran comme un acteur fondamental des relations internationales, avec la capacité et le droit de figurer dans “la politique internationale et du Moyen-Orient, notamment dans nombre de dossiers sensibles comme la crise syrienne” :

«“I think [Iran’s election] is something that we could learn from and take… into consideration… concerning the Middle East democratic processes.” The professor also said the efforts made by the West and its media outlets to discredit Iran’s presidential election are “totally unsuccessful.” “I think the public opinion in the Middle East knows carefully today, and is aware that what was called [by the West] … democratic process was not really what was meant to be.” The West’s main purpose is to interfere in the internal affairs of the regional countries under the pretext of establishing democracy.»

Effectivement, il nous semble qu’il faut pour l’instant et avant d’autres considérations à venir (sur l’aspect politique de la nouvelle direction) considérer comme un fait essentiel, sinon le fait essentiel de cette élection, l’élection elle-même, justement, les conditions où elle s’est préparée et s’est faite, le comportement des autorités de contrôle et la participation des votants, enfin son résultat par rapport à ce qui était décrit selon la narrative du bloc BAO. Comme on le voit, il s’agit effectivement d’un événement de communication, dont il est logique que l’Iran attende des effets favorables pour lui, pour son influence dans la région.

De ce point de vue de l’évolution de la position de l’Iran à partir de l'élection, le bloc BAO, complètement intoxiqué par sa propre narrative, devrait faire autant d’erreurs d’évaluation qu’il en a fait pour appréhender les conditions et les résultats de cette élection. (Il y a cette extraordinaire entêtement à présenter, par un automatisme-Système sans défaillance, l’Iran comme un pays complètement isolé, appréciation qu’on trouve à chaque détour de phrase, du plumitif le plus obscur aux stars du commentaire-Système. La “communauté internationale“ rencontrée en exclusivité mondiale par Le Monde, a du passer à côté, l’esprit ailleurs, du sommet du Mouvement des Non-Alignés, avec plus de cent pays réunis à Téhéran pour la prise de la présidence de l’Iran de cette organisation, en août dernier [voir le 1er septembre 2012].) Par conséquent le bloc BAIO n’a aucune chance de comprendre cette évolution potentielle et encore moins de s’y adapter. Le bloc BAO, qui laisse son jugement général de l’Iran à sa narrative increvable qui ne changera pas d’un iota avec cette élection, est complètement concentré sur ses seules exigences, ou diktat, sur le nucléaire et sur la Syrie, et considérant ainsi l’Iran seulement en fonction de la conformité de ce pays à ses exigences parcellaires, elles-mêmes complètement faussaires. Pour le reste, notamment la réalité statutaire et la légitimité de l’Iran, le bloc BAO est incapable de porter un jugement conforme à la vérité de la situation, – que ce jugement soit favorable ou défavorable, c’est selon. Les élections présidentielles iraniennes ont au moins un côté sans surprise, puisque confirmant ce qu’on sait déjà amplement : tous les jugements du bloc BAO sur le reste du monde (comme sur lui-même, d’ailleurs) ne disent rien de la vérité de la situation du reste du monde, et tout de sa propre crise générale. La chose se poursuit, à belle allure.


Mis en ligne le 17 juin 2013 à 07H59