L’Iran est “en guerre”… Depuis quand ?

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L’Iran est “en guerre”… Depuis quand ?

Le 6 août 2012, nous notions, parmi les crises figurant dans la “deuxième chaîne crisique”, ces déclarations d’un dirigeant iranien selon laquelle l’Iran est d’ores et déjà “en guerre”… «Il ne fait aucun doute que la crise syrienne a accéléré le développement du “climat de guerre” en Iran, au-delà de la dialectique et de l’incessante offensive de communication (l’attaque-surprise de l’Iran annoncée depuis 2005), et même en plus des sanctions et des mesures économiques prises contre ce pays. Vendredi dernier, le chef du Conseil des Gardiens de la Révolution, ayatollah Janati, a solennellement proclamé que l’Iran “est en guerre” (voir AFP, le 4 août 2012)…»

Le même 6 août 2012, le site PressTV.com publiait un article avec une interview de l’analyste politique Ismail Salami sur la notion de “qu’est-ce que c’est qu’être en guerre”, à propos du cas iranien. (Le même site reproduit, ce même 6 août 2012, des extraits d’un article du pofesseur de Droit Dan Joyner, de la School of Law de l’Université d’Alabama, publié sur le site ArmsControlLaw.com. Joyner estime la position US à l’encontre de l’Iran, du point de vue précis du problème de l’enrichissement du nucléaire qui constitue le support juridique de cette position US [et du bloc BAO], totalement illégale : «As is the case with every party to the NPT (Non-Proliferation Treaty) [...] Iran has the legal right to engage in the full spectrum of peaceful uses of nuclear energy materials and technologies… […] [That Washinton position] is simply incorrect as a matter of law, and has always been a marginal position which it alone has strongly maintained. […] I would urge the USG (United States Government) to reconsider this erroneous and unhelpful legal position, and to bring its legal and policy positions on the matter into line with those of the international community.»)

Ismail Salami apprécie, lui, l’“esprit de la chose”, en affirmant que l’Iran est déjà “en état de guerre” avec les USA, du fait des USA. Observant la puissance et l’effet des sanctions prises contre l’Iran, Ismail Salami observe qu’il n’est pas nécessaire de mener une guerre au sens militaire du terme pour faire la guerre à une autre nation. Salami place le fait dans une perspective historique, remarquant que le comportement US vis-à-vis de l'Iran, la politique agressive US vis-à-vis de ce pays, dépassent largement, du point de vue chronologique, la question des sanctions et le problème du nucléaire.

«“It is transpiring gradually that a country does not need to wage a military war against another nation in an effort to paralyze it and that imposing brutal sanctions or tightening them can be well tantamount to an act of war,” Dr. Ismail Salami wrote in an article published on the Press TV website. “The US war against Iran has already started,” Salami said, proceeding to catalogue the US hostilities toward the Iranians in the mold of sanctions ever since the early 1980s when the Islamic Republic was in the grip of the Iraqi war. “Washington has long been making unflagging efforts to push Iran to the farthest margins of political and economic isolation even when Iran was not working on its nuclear energy program,” the Iranian author stressed.»

Ce point de la perspective historique est intéressant. Il conduit à se référer à un article de l’auteur activiste US Danny Schechter, le 1er août 2012, sur Consortiumnews.com, qui comprend plusieurs observations très intéressantes (nous y reviendrons)… Pour ce cas, nous nous attachons à une longue référence de l’auteur à une interview (sur la radio NPR) d’un historien US, David Crist, auteur d’un livre sur l’histoire secrète de l’action US des 30 dernières années vis-à-vis de l’Iran (The Twilight War). Il faut noter que, selon le mot de Schechter, Crist “n’est pas un Daniel Ellsberg”, qu’il est un ancien des forces spéciales qui s’est battu en Irak en 2002-2004 et a eu des rencontres proches de l’affrontement avec les Iraniens, et qu’il est aujourd’hui partisan d’une intervention contre l’Iran… Ce qui ne l’empêche pas de détailler le premier plan d’attaque de l’Iran, en 1980. Il est interrogé par Terry Gross, dans l’émission Fresh Air, de NPR.

Groos : «The U.S. has had several secret war plans to attack Iran. What’s the earliest one that you came across?»

Crist : «The earliest one was actually in the very early 1980s, about 1980. And oddly enough, it really wasn’t geared towards Iran. It was geared towards the Soviet Union. Iran was actually the chessboard on which the U.S. and Soviet Union were going to play. And the amazing thing is through the plan, as the U.S. was discussing ways to counter a Soviet invasion of Iran, which was going to be a precursor to seizing Persian Gulf oil, the whole role and attitude of the Iranians never even figured into the plan.»

Groos : «What do you mean the role of the Iranians never figured into the plan?»

Crist : «There was no thought about how the Iranians were going to react to either the U.S. or the Soviet invasion. It was if they were sort of a neutral territory, which we’re going to play a war on. It’s not until about three years later that the United States starts taking a hard look at, you know, the Iranians really don’t like either us or the Soviet Union. How do we know they’re going to welcome us with open arms if we try to invade them on the precursor that it’s to try to stop the Soviets?»

Groos : «So this war plan was to invade Iran if the Soviets had invaded or to prevent an imminent Soviet invasion during the Cold War?»

Crist : «That’s absolutely correct.»

Il semble que Crist parle d’un plan d’attaque des USA à propos duquel un très long article fut publié dans Armed Forces Journal, en septembre 1980. Il s’agissait effectivement d’une intervention des forces armées US en Iran, éventuellement sous forme préventive d’une invasion de l’Iran par l’Union Soviétique. Cette invasion était considérée comme une probabilité indiscutable depuis l’intervention de l’URSS en Afghanistan, elle-même largement favorisée, sinon provoquée, par l’action US (CIA) en Afghanistan, depuis l’été 1979, comme l’a explicitement admis et expliqué fort en détails Zbigniew Brzezinski (voir le 31 juillet 2005, avec une reprise de la fameuse interview de Brzezinski au Nouvel Observateur, datant de janvier 1998). Le plan dont les grandes lignes étaient révélées en septembre 1980 impliquait notamment l’emploi d’armements nucléaires tactiques sur le territoire iranien… Mais contre les Soviétiques, pas vraiment contre les Iraniens ! («And the amazing thing is through the plan, as the U.S. was discussing ways to counter a Soviet invasion of Iran, which was going to be a precursor to seizing Persian Gulf oil, the whole role and attitude of the Iranians never even figured into the plan.»)

Cet état d’esprit qui consiste à faire la guerre “en Iran” sans vraiment considérer l’Iran lui-même, et sans même considérer que cela concerne l’Iran, n’a jamais vraiment cessé. On le retrouve aujourd’hui, comme nous le signalions le 12 juillet 2012, puis d’une façon plus générale le 13 juillet 2012 :

«…Cela rejoint en un sens, nous voulons dire dans le sens de la tournure de l’esprit, tourné et retourné jusqu’à ressembler à une tournure qui serait un pentagone à trois côtés, aux remarques que nous retranscrivions le 12 juillet 2012, concernant la très prochaine probable-certaine attaque-par-surprise de l’Iran, dont on nous avertirait à l’avance et qui n’est d’ailleurs pas une attaque de l’Iran, il faut d’ores et déjà le savoir, mais une attaque de quelque chose de la sorte d’une “préoccupation globale” qui, par définition, puisque c’est “global”, n’est pas du domaine de la souveraineté de l’Iran :

»“We would give Iran advanced warning that we will damage and likely destroiy its nuclear facilities. It is not an act of war against Iran, the Iranian people or Islam. It is a pre-emptive attack solely against the nuclear facilities and the military targets protecting them. We will take extraordinary measures to protect against collateral damages.”»

L’évolution, entre 1980 et 2012, si elle garde le même esprit, est passée des réalités supposées dans un cadre très vaste et qu’il était assez raisonnable d’envisager, malgré les déformations multiples des évaluations, comme véritable et consistant (la Guerre froide lors d’un de ses paroxysmes) à la narrative concernant le nucléaire iranien, qui est de pure fabrication quant à la vérité de la menace qu’elle prétend substantiver. De ce point de vue, il y a une évolution psychologique considérable, dans le chef de la perception du bloc BAO des vérités de situation des menaces et des puissances. (Schechter note par ailleurs, dans le même article, ceci dont on comprendra que nous y adhérions complètement quant au processus décrit selon nos références du virtualisme un temps triomphant et désormais réduit à la narrative : «[S]o much money is invested in covert media operations that spin and distort reality that the people inside the “deception machine” believe the news that they themselves plant and fabricate. Perception guides reality more than reality guiding perception. Media institutions play a big role in echoing embellished government claims often relying on leaks and plants that come from disinformation bureaucracies and their media assets…» Les causes décrites ici constituent un autre problème, sur lequel nous avons une position différente.)

Par contre, il existe une continuité dans la capacité américaniste et bureaucratique, typique du Système en général, de “substantiver” les situations hors de leur contexte structurant, dans une démarche déstructurante constante. Dans les deux cas, il s’agit d’extraire l’objectif (la possible attaque soviétique, le nucléaire iranien) du contexte structurant qui l’abrite (la nation iranienne, le peuple iranien, la souveraineté et la légitimité iraniennes). Le résultat “politique” est effectivement une guerre constante menée par les USA, depuis 1979, contre l’Iran, mais “substantivée” elle-même hors de la notion de guerre au travers de l’extraction des objectifs de cette guerre du contexte structurant de l’Iran ; cela revient finalement à faire une “guerre”, sous diverses formes, contre l’entité structurée que constitue l’Iran souverain et légitime, mais par défaut, sans reconnaître en aucune façon l'existence même de l'Iran souverain et légitime, en tant qu'entité structurée. Cette démarche US pour rencontrer le but général de déstructuration du monde est alimentée par la névrose obsessionnelle inhérente au Système, la maniaco-dépression des serviteurs du Système dotés d’une psychologie terrorisée, et la complète illégalité par rapport au cadre des lois internationales qui est présentée comme une sorte de vertu. Ce dernier point n'est pas indifférent ; on comprend que tenir compte de la légalité, ce serait admettre que les structures fondamentales de souveraineté et de légitimité d'une nation (l'Iran en l'occurrence) sont des facteurs à prendre en compte, ce qui trahirait la démarche déstructurante générale en admettant effectivement que l'entité iranienne, avec ses structures souveraine et légitime, existe, – ce qui n'est pas le cas, point final. Dans la démarche-Système de l'américanisme, ce qui est le plus important c'est l'hostilité aux valeurs structurantes, bien plus que l'hostilité à l'Iran lui-même.


Mis en ligne le 7 août 2012 à 11H04