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975La Russie développe aujourd’hui une expertise et un intérêt exceptionnels de la problématique des crises en cours, essentiellement au Moyen-Orient et particulièrement à propos de l’Iran. Dans ce domaine de l’observation de ces crises, les Russes sont aussi attentifs au comportement des USA, aux causes et aux objectifs de ce comportement, comme à un phénomène (le comportement des USA) qui est à la fois sans peu de précédent, mystérieux et assez difficile à définir. Enfin, tout cela s’appuie évidemment sur une politique très active du gouvernement russe, et un interventionnisme affirmé dans ces crises, pour tenter de les contrôler et de les résoudre.
Ce 12 avril 2012, Russia Today donne des précisions sur ces questions, accompagnées de précisions sur la situation iranienne et sur les possibles développements de la crise en cours. Deux personnes interviennent, Nikolay Bordyuzha, secrétaire général du CSTO, l’organisation politico-militaire regroupant la Russie et certains États de l’ancienne URSS et, d’autre part et plus en détails, Pavel Zolotarev, directeur adjoint de l’Institut des USA et du Canada.
• Les deux estiment que la crise iranienne ne devraient pas mener à un affrontement. Le CSTO est en train de réaliser un certain nombre d’exercices concernant une situation où une attaque de l’Iran et la guerre qui s’ensuivrait amènerait un afflux important de réfugiés dans les pays du CSTO. En présentant ces manœuvres en cours, Bordyuzha a insisté, pour couper court aux hypothèses pessimistes, sur la très forte probabilité que le conflit n’aurait pas lieu.
Zolotarev exprime une opinion assez similaire, d’abord en expliquant que l’intention de l’Iran n’est d’être qu’un “pays du seuil” (capacités de produire une arme nucléaire, mais cette arme non produite, ce qui est la situation du Japon et de l’Afrique du Sud par exemple), que les acteurs de la crise le savent, qu’ils n’ont donc aucun intérêt à attaquer puisque cela provoquerait la production de l’arme nucléaire iranienne. L’argument de Zolotarev est complété par l’affirmation que les conditions militaires rendent extrêmement improbable l’efficacité d’une attaque, et, par conséquent, rendant encore plus probable la fabrication d’armes nucléaires iraniennes…
«Pavel Zolotarev went on to explain that Iran is building very powerful defense for its nuclear sites, and aerial strikes on them would not guarantee the destruction of the facilities Inside. As for a full-scale ground operation against Iran, the expert assessed it as “neither realistic, nor executable in current conditions”, as Israel simply doesn’t have enough military power, and the United States is at the end of the election cycle and in a difficult economic situation.»
Ce texte de RT est suivi de quelques réactions de lecteurs, dont l’une nous paraît significative. La spéculation est évidemment ouverte pour en connaître, ou en supposer l’origine ; on sait que les conditions d’anonymat, d’absences de contrôle, etc. de réactions de lecteurs sur les sites de l’Internet permettent à différents groupes intéressés, ou services officiels, ou personnages impliqués, de disséminer des informations ou des montages, ou d’adresser des “messages codés” sur tel ou tel sujet qu’on ne peut traiter de façon trop ouverte, et encore moins officielle. Dans ce cas, les précisions apportées par le lecteur (?) “Reality”, dans la forme et dans le fond, constituent un renforcement de la thèse exposée, qui va dans le sens de la position russe qui est de tenter par tous les moyens d’empêcher une attaque. Dans ces précisions, on trouve notamment des affirmations concernant la possession effectives par les Iraniens de S-300 russes, système que craignent particulièrement Israël et les USA, et des affirmations invérifiables concernant un chasseur à capacités furtives développé par l’Iran avec la Russie puis avec la Chine. (Affirmation invérifiable, mais qui trouvera un écho dans les services US d’évaluation, qui entretiennent une paranoïa constante vis-à-vis des capacités russes et chinoises à cet égard, notamment depuis que les Chinois ont dévoilé au public leur prototype de chasseur à capacités furtives J-20.) On trouve aussi des affirmations concernant les véritables buts, selon “Reality”, du bloc BAO ramené aux Anglo-Saxons principalement, qui est une pression, voire une guerre USA-UK contre la Russie et la Chine, ce qui rejoint des thèses en vogue dans les milieux officiels russes les plus hostiles aux USA…
«Russia did sell Iran S-300. Russia wanted to get the best of both worlds so they received the benefit from US on not selling S-300 to Iran, so instead they sold it to Venezuela who sold it to Iran, meaning Russia sold it to Iran via Venezuela, which there is nothing US can do about. Iran even showcased it in their military parade you can look it up on youtube. US target isn’t Iran, it’s Russia and China and everyone involved in that equation knows this very well. The war between Iran and Isreal is really a war between (US/UK) against (Russia/China). Both Russia and China have secretly sold Iran all thoughts of weapons/technology. Iran has a secret stealth fighter program jointly with Russia, who pulled out from it in 1997 due to financial issues where China took over and it’s been on ever since, just like Fidel Castro said Iran has purchased high number of highly advance stealth fighters. There is a good reasone why US doesnt touch Iran.»
• La situation que décrit “Reality” confirme en un sens un peu différent un autre aspect du texte de RT. Il s’agit de la thèse de Zolotarev sur “la crise sans fin” comme stratégie des USA pour maintenir leur leadership.
«The analyst said that the current US activities around Iran should not be understood as preparations for a military stage of the conflict, but as part of a more universal strategy by the US authorities, aiming to destabilize the political situation around newly emerging global power centers. In the early 90s the United States, as the winner in the Cold War, sought to enlarge its sphere of influence to the max – as far as Georgia and even Ukraine. Now though, global economic growth is making US leaders resort to indirect means in order to contain the rise of new developed nations. And it seems they have chosen manageable crisis as their primary geopolitical tool.
»Destabilizing the situation in the Middle East, North Africa and Africa in general seriously hinders access to world energy resources, holding back the development of new industrial nations, Pavel Zolotarev said. This, in turn, allows the United States to remain the world leader – which is its official ultimate objective, he noted.»
Cette thèse est particulièrement notable par ses aspects essentiellement négatifs, puisqu’elle constitue une version improductive, sinon nihiliste, de la thèse du “chaos créateur” : il ne s’agit plus de créer le chaos par des crises ou des guerres qui ont nécessairement une fin, puisqu’on en attend que s’installe un ordre nouveau (démocratie, libre-échange, etc.) qui sera nécessairement américaniste ; il s’agit de créer un “chaos sans fin” (“crises sans fin”) dont on attend qu’il ralentisse le développement de la puissance des autres pour que les USA maintiennent leur hégémonie… Mais hégémonie sur quoi ? Sur un monde chaotique, entretenue par l’hégémonie (?) d’une hyperpuissance elle-même en situation chaotique et elle-même en cours d’effondrement ?… Alors certes, les USA sont bien le moteur et la substance du Système issu du “déchaînement de la Matière”, historiquement sans but sinon celui de la destruction dont l’effet l’affecte lui-même autant que le reste, avec les effets en retour, type “blowback”, de son action nihiliste et dissolvante sur le reste ; et le “chaos sans fin” comme stratégie devient également une version rationnalisée du phénomène de surpuissance devenue autodestruction, puisqu’il entretient aussi bien le processus d’effondrement des USA, notamment par les ponctions formidables que les engagements US exercent sur l’économie intérieure, et par le trouble et le désordre civils ainsi entretenus et accentués.
La thèse de Zolotarev tend à rationnaliser une situation de blocage par l’intervention d’une volonté délibérée, voire d’une stratégie élaborée. L’évidence montre également la crise du pouvoir US paralysé par les effets contraires de ses pulsions bellicistes et (dans le cas iranien) des pressions d’Israël d’une part , par les limitations de plus en plus évidentes de sa puissance dues autant à ses difficultés intérieures et à son déclin qu’à la lourdeur et à la paralysie de son appareil militaro-bureaucratique d’autre part. Lorsque Zolotarev évoque la difficulté pour les USA d’envisager une opération d’offensive terrestre contre l’Iran, difficulté qu’il a l’air de juger comme conjoncturelle (élections, crise économique), il ignore ou écarte l’enseignement des études faites en 2007 (avant la crise financière et économique qui a, depuis, affaibli encore plus, sinon décisivement, les USA) sur l’hypothèse d’une invasion terrestre de l’Iran par des experts du War College ; on aboutissait à la nécessité d’une mobilisation pour réunir une force armée et ses soutiens de un million à 1.3 million d’hommes, nécessitant pour sa constitution et sa préparation opérationnelle (avant d’envisager l’opération) un laps de temps de deux à trois ans. C’est une perspective qui était quasiment inenvisageable en 2007, dans les conditions économiques autant que de l’état de l’opinion publique et des pressions du système de communication, et qui est simplement impensable aujourd’hui à moins d’une tentative d’établissement d’un régime policier autoritaire, – ce qui nous renvoie à d’autres difficultés et crises elles-mêmes quasiment insurmontables…
Pour ce cas, nous nous en tiendrons au constat que la thèse de “la crise sans fin”, ou du “chaos sans fin”, est une marque “objective” de l’évolution de la situation. La rationalisation et la spéculation à propos d’une situation incompréhensible par elle-même sont passées en dix ans de la construction de la thèse du “chaos créateur” à celle du “chaos sans fin”. C’est le témoignage assuré, au moins, de l’évolution de la situation générale et de celle des USA vers le chaos. Greffer une thèse là-dessus revient, pour la raison spéculative, à céder à la situation selon laquelle on est conduit à embrasser ce qu’on ne peut étouffer, – expliquer artificiellement ce qu’on ne peut comprendre à première vue d’une façon satisfaisante pour la raison. L’évidence du “chaos sans fin” comme une phase supplémentaire et sans doute ultime de l’effondrement du Système n’est nullement contredite par la thèse de “la crise sans fin” volontairement entretenue ; ce qui est ici l’accident structurel dans une chronologie générale d’effondrement devient là la substance rationnelle d’une volonté délibérée. L’expérience historique de ces dix dernières années (passage du “chaos créateur” de l’hégémonie triomphante au “chaos sans fin” de l’hégémonie nihiliste) ne découragera pas l’esprit simple de voir dans la situation actuelle, tout simplement, “une phase supplémentaire et sans doute ultime de l’effondrement du Système”.
Mis en ligne le 13 avril 2012 à 06H15
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