L’Iran et le President-elect

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L’Iran et le President-elect

12 janvier 2009 — Les conditions politiques actuelles, avec l'attaque israélienne de Gaza et la très prochaine entrée en fonction d’Obama, le 20 janvier, réactivent la crise du Moyen-Orient, notamment, en arrière-plan de la crise de Gaza, autour de la question iranienne. Cette évolution est renforcée depuis hier par des déclarations d’Obama affirmant qu’il agira promptement dès son entrée en fonction pour établir une “nouvelle approche” de l’Iran. Le President-elect emploie des mots extrêmement choisis pour établir un équilibre dans ses propos entre une ouverture et un avertissement. (Signalons en passant, mais pour renforcer le cas de la “nouvelle approche”, que, presque comme par un hasard généreux, le général Petraeus, qui est un chef avisé ayant remplacé l’amiral Fallon à Central Command, annonce, selon un rapport du 9 janvier 2009 de The Voice of America, qu’il trouve désormais bien des vertus à l’Iran; pas toutes, certes, mais «…some common interests, particularly regarding the situation in Afghanistan. “Clearly, there are some common objectives [with the US] that no one, I think, would disagree on, that Iran is concerned about the narcotics trade, it doesn't want to see Sunni extremists, certainly ultra, ultra fundamentalist extremists running Afghanistan again any more than other folks do”.»)

Quelques lignes du Guardian ce matin, sur les déclarations d’Obama:

«The US president-elect, Barack Obama, said yesterday that he would act swiftly once in power to confront Iran, vowing to take a new approach focused on dialogue but warning Tehran that there were limits beyond which it should not go.

»Speaking on network television nine days before taking office, Obama said Iran was going to be one of the biggest challenges his incoming administration faced. He said Tehran's “exporting of terrorism through Hamas and Hezbollah” and its pursuit of an atomic weapon could trigger a nuclear arms race in the Middle East.

»A new US approach would be adopted, with engagement as its starting point, said Obama, adding that he would send out a signal “that we respect the aspirations of the Iranian people, but we also have certain expectations of how an international actor behaves.”

»One of the earliest decisions for Obama and his foreign policy team, led by Hillary Clinton, will be to decide whether to continue the covert operations programme started by the Bush administration last year. The mission is designed to block any attempt by Iran to build a nuclear weapon by breaking its supply chain of essential parts from abroad and by applying experimental techniques to disrupt essential computer and electrical systems. Details of those operations were disclosed by the New York Times yesterday.»

Le quotidien londonien cite des diplomates européens, exprimant leur satisfaction à propos de ces intentions d’Obama. C’est une satisfaction sans réelle surprise pour les observateurs, d’abord parce qu’on est au stade des intentions et que la chose est toute neuve et séduisante, ensuite parce que la “diplomatie” actuelle, notamment avec la participation de l’administration GW Bush, est dans un tel état de n’importe quoi que n’importe quelle (bonne) intention fait aussitôt l’objet d’une vive satisfaction.

«Obama's promise that he would swing his administration behind a more diplomatic approach to Iran has found favour among European diplomats who believe the west's Iran policy of the past six years has failed, and that Obama's election has opened the door to a new direction. […] “We must invent something new now that Obama is coming in,” said a senior European diplomat. He added that America's ‘taboo‘ on direct talks with Iran had to be broken for there to be any chan’e of stopping Iran building a bomb, which he estimated was less than two years away.»

Les déclarations d’Obama accompagnent ou suivent une recrudescence d’informations et de commentaires concernant la situation autour de la crise iranienne et les implications pressantes qui se manifestent. La publication de divers articles, de la “presse officielle” US notamment, est perçue comme significative dans certains de ces commentaires. Il s’agit notamment d’un article du New York Times, que le site WSWS.org considère, dans un article mis en ligne ce 12 janvier 2009, comme un avertissement de l’establishment à l’administration Obama.

«The New York Times published a lengthy article by its chief diplomatic correspondent, David Sanger, a long-time conduit for the concerns of the Pentagon and State Department, purporting to detail discussions between the Bush administration and Israel over the past year about possible air strikes on Iranian nuclear facilities. […]

»One passage in the article suggests that it represents an effort both to pressure the Obama administration to take action on Iran, and to begin the process of preparing American public opinion for such action. Sanger writes:

»“Since his election on Nov. 4, Mr. Obama has been extensively briefed on the American actions in Iran, though his transition aides have refused to comment on the issue. Early in his presidency, Mr. Obama must decide whether the covert actions begun by Mr. Bush are worth the risks of disrupting what he has pledged will be a more active diplomatic effort to engage with Iran. Either course could carry risks for Mr. Obama. An inherited intelligence or military mission that went wrong could backfire, as happened to President Kennedy with the Bay of Pigs operation in Cuba. But a decision to pull back on operations aimed at Iran could leave Mr. Obama vulnerable to charges that he is allowing Iran to speed ahead toward a nuclear capacity, one that could change the contours of power in the Middle East.”

»This suggests that Obama is being put on notice: Back down from ongoing plans for sabotage or military action against Tehran, and he could face a “Who lost Iran?” campaign in the media. Not that Obama needs much encouragement…»

William S. Lind élargit le débat en y incluant la référence israélienne, dans la perspective des élections du 10 février et de la victoire, probable selon lui, du Likoud, avec la perspective d’une attaque contre l’Iran; cela, pour en revenir, à la façon de Caton l’Ancien et de son delenda est Cartago selon la référence que Lind fait lui-même, à son sempiternel avertissement: une attaque contre l’Iran, même du seul Israël, impliquerait une riposte qui amènerait sans doute la mise en danger, voire la possibilité de la destruction du corps de bataille US déployé en Irak. Pour Lind, dans un texte qu’il met en ligne le 9 janvier 2009 pour UPI, l’élection israélienne aurait ainsi plus d’importance que celle d’Obama: «It may be that elections in Israel hold more meaning for the United States than did the United States' own domestic presidential election that Obama won two months ago…»

Dans ce même texte, Lind apprécie l’administration Obama comme proche d’être complètement prisonnière de l’establisment, dans tous les cas rencontrant très rapidement un moment de choix essentiel, où Obama aura besoin de beaucoup de courage et de sagesse… «… For Obama must now find the wisdom and courage to break with the Democratic Party's foreign policy establishment. That establishment is as tied to Israel as Russia's foreign policy establishment was tied to Serbia in 1914. Past, I suspect, is prologue to its repetition in the future.»

Dans une autre occurrence, impliquant la situation plus globalement considérée mais qui intègre la question iranienne, William S. Lind se montre encore plus, sinon définitivement pessimiste à propos de l’administration Obama. C’est dans un texte du 6 janvier 2009, sur le site Defense & National Interest. Cette fois, la future administration Obama est plus clairement complice que prisonnière de l’establishment.

«The advent of the new American President changes nothing, because in Washington nothing really changes. One wing of the Establishment leaves government and goes into the think tanks and lobbying firms, another returns from those same places to government. The Obama crowd will not face up to the problem of America’s over-extension. It is just as Globalist, interventionist and imprudent as Bush’s herd of Gadarine swine. Gates may prove the one exception, but in the land of the blind the one-eyed man is hated. Plan on more mad foreign military adventures, despite the fact that we now have to print the money to pay for them…»

Priorité et chronologie

Il est assuré que la question des relations avec l’Iran n’est certainement pas la priorité d’Obama. La crise iranienne, elle, l’est nécessairement. La chose lui est imposée, nous semble-t-il, mais par les événements bien plus que par les manigances des acteurs divers, qu’ils soient de rencontre ou de fortune. Depuis la crise de septembre 2008, les événements se chargent du déroulement des opérations.

Seulement, comme nous l’avons dit et répété, Obama est un personnage intéressant, qui tend à sortir du standard de l’establishment américaniste. La remarquable interview du couple Obama, datant de 1996 et débusquée par Le Monde du 11 janvier 2009, nous confirme cette dimension inédite. (L’interview nous montre que Michelle Obama ne dépare pas dans le tableau, comme certaines péripéties de la campagne des primaires l’avaient montré. Elle comptera dans la présidence Obama.) Obama a donc une manière intéressante d’appréhender les événements qui lui sont imposés.

Obama s’est fait sa religion. La priorité n’est pas l’Iran mais, bien entendu, la catastrophique situation intérieure des USA. Il prend pourtant la crise iranienne comme une priorité parce que la tension monte de ce côté et qu’il faut tenter de la désamorcer aussi vite que possible. L’activisme d’Israël n’est pas pour rien dans cette tension. Nous voyons plus que jamais la politique israélienne comme une politique à la fois dépassée et nihiliste, et une “politique de la peur”, sinon de l’obsession sécuritaire, – quelque justifiée qu’elle soit d’une façon ou l’autre, une obsession est une obsession avec la conséquence de subvertir et de déformer le jugement, de laisser parler les tensions internes pour juger de la réalité, plus que la perception elle-même de la réalité. Il y a un excellent texte de l’Observer du 11 janvier 2009, sur le thème de «Why Israel's war is driven by fear». Interrogé, un soldat israélien anonyme en opération près de Gaza répond que ce qui est fait doit être fait, sans espoir de rien résoudre, selon une démarche où le fatalisme pourrait être simplement qualifié de nihilisme («I don't know if this [attack on Gaza] will solve anything. Probably not. We cannot get rid of Hamas. But the lesson we've learnt is that we can't trust the Palestinians. We knew that with Arafat. Now we know it again.»).

Il est probable que cet état d’esprit gouverne le jugement de la direction israélienne lorsqu’elle est confrontée à la question de la sécurité. L’état d’esprit joue également pour considérer le cas de l’Iran, encore plus dans le chef des plus radicaux, – dont sans doute Netanyahou, possible ou probable vainqueur des élections. En suivant la démarche que nous privilégions en général, qui correspond à notre perception générale des événements, nous y voyons moins une manigance qu’une fuite en avant, alimentée par une méfiance chronique des dirigeants durs israéliens pour Obama, quels que soient les gages qu’a donnés le President-elect; d’autre part, il y a la crainte que la préoccupation de la crise économique envahisse tout le territoire de Washington et relègue au second plan les affaires du Moyen-Orient. Il y aurait, d’une façon très naturelle selon cette perception, une tentation d’imposer très vite, avant qu’Obama ne contrôle son “agenda”, une crise iranienne où Obama serait obligé de suivre une option agressive.

Obama a, par conséquent, tout lieu de craindre des pressions très fortes, venues d’Israël comme de la partie radicale de l’establishment washingtonien, dès sa prise de fonction, pour aborder “sérieusement” la question iranienne. Parce que cette question n’est pas sa priorité fondamentale, elle devient chronologiquement sa priorité, pour tenter d’empêcher la mèche israélienne d’être allumée. Pourra-t-il s’appuyer sur son “équipe de sécurité nationale” pour cela? D’une façon significative, Lind pense que Gates serait en l’occurrence le meilleur allié d’Obama, si l’on admet qu’Obama veut à tout prix éviter un conflit, – ce dernier jugement, sur lequel Lind est lui-même fort peu fixé («The Obama crowd […] is just as Globalist, interventionist and imprudent as Bush’s herd of Gadarine swine. Gates may prove the one exception, but in the land of the blind the one-eyed man is hated.»)

Lind parle des “mad foreign military adventures” à propos notamment de la poussée éventuelle pour une attaque contre l’Iran. C’est effectivement la bonne définition de la chose, en plus renvoyant évidemment à une époque dépassée, celle de GW et du reste, dont fait partie également la crise de Gaza. Ainsi, et quoi qu’il en veuille, Obama serait-il conduit à un dilemme, ou/et à un choix, dès que commencerait son mandat, – entre une époque finissante (le relance de la crise iranienne comme erreur tragique) et une époque commençante (la lutte contre la crise économique comme nécessité tragique); avec, comme moyen d’éviter le premier choix, la tentative d’une “nouvelle approche” de la question iranienne, d’ores et déjà annoncée. Il y a un an, au début 2008, alors que commençaient les primaires et que l’on en était encore à la question irakienne (poursuite de la guerre ou pas?), on n’attendait certainement pas que se pose cette question d’une façon aussi tranchée entre une “époque dépassée” et une “époque commençante”. C’est en ce sens que les événements, avec leur rythme de “turbo-crise”, imposent leur “agenda”. Cela est d’autant plus assuré que même si Obama est contraint, ou accepte avec les illusions d’usage le choix de l’époque finissante (attaque contre l’Iran), il est bien proche des 120% de chances d’accélérer le catastrophique effondrement de la puissance US, et d’en revenir encore plus vite aux trames serrées de la crise intérieure US. De toutes les façons, le destin est tracé: tout se joue aux USA même, qui est le centre du monde, donc le centre, le cœur grondant de la crise.