L’Iran, les limites russes et la folie occidentaliste

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Il y a un intéressant texte d’analyse de Dmitri Babitch, de Novosti, du 16 avril 2010, sous le titre provocateur de «L'Iran trahi par la Russie?». Babitch commente les déclarations récentes de Medvedev (à Washington, lors du sommet sur le nucléaire des 12-13 avril) et les réactions occidentales. («Medvedev a reconnu que l'Iran posait des problèmes. […]Pour l'instant, a fait remarquer le président russe, “l'Iran ne répond pas aux questions qui lui sont adressées, ou bien il se borne à lancer des phrases grandiloquentes”. [...] “Certes, je ne voudrais pas que des sanctions soient prises, mais elles pourraient à un certain moment s'avérer inévitables”.»)

Babitch observe:

«Les déclarations sévères faites par le président russe Dmitri Medvedev au sujet de l'Iran au cours de sa récente visite aux Etats-Unis ont étonné et réjoui la presse occidentale et israélienne. […]

»Cependant, le problème est que certains partenaires occidentaux de la Russie attendent trop de l'influence russe sur l'Iran. Après la déclaration faite par Obama le 17 septembre 2009, selon laquelle le bouclier antimissile américain ne serait pas déployé en Pologne et en République tchèque, des rumeurs affirmant qu'en échange la Russie devrait persuader l'Iran de désarmer se sont répandues aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Un journal polonais s'est exprimé encore plus laconiquement: Moscou a promis de “livrer” son “allié proche-oriental”. Dans la mesure où aucune percée n’a été enregistré après le 17 septembre, de nombreux médias occidentaux se sont mis à faire des reproches à la Russie: pourquoi Moscou ne rend-t-il pas la pareille après les concessions faites par Washington?

»Hélas, tous ces espoirs et offenses sont infondés. L'Iran n'a jamais été un des “nôtres” et nous ne pouvons donc le “trahir”…»

Babitch explique alors la position de la Russie vis-à-vis de l’Iran, d’une façon beaucoup moins tortueuse et complexe que l’analyse qu’en font en général les commentateurs occidentaux.

«[I]l est absurde de considérer l'Iran comme un “allié” de la Russie ou, à plus forte raison, une “marionnette”. Seules les personnes qui ont subi l'influence d’une presse antirusse primaire, considérant la Russie comme la source de tous les maux de l'humanité, y compris le programme nucléaire iranien, peuvent y croire.

»Naturellement, la Russie, de même que tous les autres pays du monde, n'est pas intéressée à la création de l'arme nucléaire par l'Iran. Mais elle n'est pas non plus intéressée à une “guerre préventive” contre l'Iran à l'instar de l'intervention de George W. Bush en Irak en 2003 qui, comme on le sait, invoquait aussi, pour se justifier, l'existence d'armes nucléaire dans l’Irak de Saddam Hussein, ce qui n'a toujours pas été confirmé.

»N'importe quel conflit en Iran peut avoir pour la Russie des conséquences pires que la campagne irakienne. Premièrement, l'Iran, à la différence de l'Irak, est limitrophe de l'ancienne Union Soviétique, deuxièmement, une grande minorité azerbaïdjanaise réside en Iran. Il est inutile d'expliquer quelles conséquences pourraient avoir pour la Russie la transformation de l'Azerbaïdjan en Etat “de la ligne de front” et sa déstabilisation.

»Mais la Russie a aussi un autre intérêt: donner à l'administration Obama la possibilité de garder la face, car elle manifeste ces derniers temps une approche saine et pragmatique à l'égard de la Russie en renonçant à considérer notre pays comme un ennemi. La Russie est l'une des rares orientations de la politique étrangère américaine dans lesquelles Obama peut se vanter d'avoir enregistré des progrès. Ailleurs, la situation est pire. Les tentatives faites par le président américain pour contribuer à la réconciliation entre les Israéliens et les Palestiniens au Proche-Orient ont conduit Obama à un conflit presque ouvert avec le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou. L’arrivée de nouveaux contingents américains en Afghanistan n'a pu prévenir la querelle flagrante avec le président afghan Hamid Karzaï. Bien que le président afghan ait retiré ses critiques adressées aux Etats-Unis après un avertissement lancé par la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton, l'idylle d'antan est désormais impossible dans les rapports entre Karzaï et Washington.

»Contrairement à l'avis de nombreux “faucons” américains et est-européens, la Russie n'est pas intéressée à l'échec des tentatives d'Obama d'implanter la stabilité et la non-violence dans les relations internationales (ne pas confondre avec le “nouvel ordre mondial” de George W. Bush). C'est ainsi qu'il faut interpréter les paroles prononcées par Medvedev sur le problème iranien: “Certes, je ne voudrais pas que des sanctions soient prises, mais elles pourraient à un certain moment s'avérer inévitables”.»

Notre commentaire

@PAYANT Voilà une bonne remise en perspective, qu’aucun commentateur digne de ce nom dans la sphère américaniste-occidentaliste n’entendra, – “digne de ce nom”, c’est-à-dire avec cette vision mélangeant l’hystérie du jugement et la conception propre à la politique de l’“idéal de puissance” qui voit le monde divisés entre suzerains et vassaux, entre puissances manipulatrices et “marionnettes”, avec le succès qu’on constate chaque jour. Cette vision colore absolument toute la politique occidentaliste et la vénération pour la force qui prévaut dans les milieux concernés, – la force US particulièrement bien qu’elle soit aujourd’hui réduite au niveau du mythe dépassé. Elle colore également la vision occidentaliste de la Russie, à la fois “anti-russe primaire” comme écrit Babitch, à la fois exigeant de la Russie qu’elle exerce son “droit de cuissage” sur les diverses “marionnettes” dont cette puissance disposerait, comme au temps de la Guerre froide.

Les cerveaux occidentalistes sont réduits à l’état le plus primaire dans l’analyse de la situation du monde. Il y a le bloc des puissances qui triomphent dans leur affirmation de force évidemment fondée sur le droit et la vertu naviguant de concert, et les autres qui doivent s’y soumettre. C’est la caractéristique de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, que suivit l’administration Bush comme on suit aveuglément ses illusions schizophréniques, et dont l’administration Obama est le plus souvent la prisonnière en même temps qu’elle y cède parfois sous la pression du système dont elle dépend, voire sous la pression de sa propre vision. Le jugement sur la Russie et sur la politique russe dépend de ce schématisme effectivement primaire.

Dans cette comparaison, la raison et la mesure sont du côté russe. Alors que le jugement “anti-russe primaire” prête à la Russie la même perception, le même jugement et le même comportement que ceux des pays occidentaliste, la Russie suit au contraire, autant que faire se peut, une politique mesurée tout en s’assurant que ses propres droits et son statut de puissance souveraine sont respectés. Son comportement actuel avec la Pologne montre à l’envi la souplesse dont cette politique peut faire montre lorsque l’occasion s’en présente et que les intérêts russes l’y poussent. Plus encore, comme l’écrit Babitch et comme l’avait dit Poutine en février 2007 à Munich, la Russie est intéressée par l’établissement de relations internationales stables et contrôlées. Elle déteste par nature et selon l’analyse qu’elle fait de la situation dangereuse prévalant actuellement cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui emprisonne la sphère américaniste-occidentaliste depuis de nombreuses années; elle la déteste et elle en comprend le fondement, qui rejoint effectivement nos analyses sur la forme systémique de cette politique; l'ambassadeur de la Russie à l'OTAN Rogozine l'avait bien montré lorsqu’il parla en juillet 2008 d’une politique occidentale conduite par le “technologisme” (le système du technologisme, selon notre propre classement).

Par conséquent, effectivement, la politique iranienne de la Russie est beaucoup plus simple et compréhensible qu’il n’y paraît à nos commentateurs martiaux. La Russie veut le moins de remous possible, le moins de pressions déstabilisantes possible, elle rejette absolument et catégoriquement l’idée d’une attaque de l’Iran dont l’Occident ne cesse de s’enivrer depuis cinq ans. Elle n’a aucun moyen décisif d’influer sur l’Iran. Elle n’apprécie pas nécessairement l’idée d’un Iran armé de systèmes nucléaires mais attend toujours la preuve que ce soit effectivement l’intention de l’Iran. En même temps, elle observe que la situation stratégique dans cette zone demande quelques corrections, à commencer par le statut d’Israël, ce pays qui a, illégalement selon le système international au nom duquel on fait pression sur l’Iran, autour de 200 têtes nucléaires. Tout cela relève d’une logique diplomatique à la fois simple et de bon sens, tout ce dont semble privé aujourd’hui le bloc américaniste-occidentaliste.

La Russie, qui est, comme la Chine et quelques autres puissances curieusement dites “émergentes”, à la fois “en dedans et en dehors” du système occidentaliste, développe une politique qui, par son bon sens et sa mesure, constitue une critique objective de la course folle que suit notre système. La Russie a ses défauts et ses qualités mais elle a, au moins, la perception de la nécessité de rechercher la stabilité dans les relations internationales. Dans le cas iranien, elle ne peut faire que ce qui est dans ses moyens mais, au-dessus de cela, elle a la conscience de la folie à la fois déstabilisatrice et paralysante que constitue cette politique de menace et de pressions constantes que l’ensemble occidentaliste suit depuis 5 ans, comme aveuglément. L’explication de Babitch a l’avantage d’exprimer simplement cette réalité qui devrait être évidente à l’observateur objectif. Bien peu, en Occident, liront ce commentaire en n’y voyant pas aussitôt une nouvelle manœuvre tortueuse et machiavélique.


Mis en ligne le 22 avril 2010 à 06H47