L'Iran post-12 juin et son nucléaire

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Le mouvement de protestation en Iran s’avérant être beaucoup plus qu’un feu de paille et ayant déjà des effets politiques dans la position internationale de ce pays, les spéculations sur l’avenir des négociations sur le développement du nucléaire iranien évoluent d’une façon désormais plus ouverte. Lorsque l’hypothèse prévalait que cette contestation cesserait rapidement, la conclusion était que la position de l’Iran ne changerait pas. Et maintenant?

Dans Huffington.Post, ce 17 juin 2009, le président du Ploughshares Fund, Joe Cirincione, développe l’idée que la situation est différente et que l’Iran va devenir beaucoup plus accommodante, voire pourrait finir par abandonner son programme parce que son pouvoir et sa position sont affaiblis, et aussi et essentiellement pour des raisons de choix intérieur. Dans l’hypothèses où Ahmadinejad reste président (ce qu’il n’estime “en aucun cas assuré”), il juge que sa position sera affaiblie et qu’il devra faire des concessions.

«The Iran Uprising is a game changer. The regime has been delegitimized for large portions of the Iranian population. If Mahmoud Ahmadinejad prevails – and that is by no means certain – he will be greatly weakened, handcuffed in his ability to play the nuclear card as a nationalist rallying cry. Pressed at home, the regime will need to show some gains internationally; the nuclear issue must be compromised to realize those gains.»

D’autre part, Cirincione évoque l’autre hypothèse (départ de Ahmadinejad) et la juge aussi réconfortante. Là aussi, il estime que l’Iran ira vers un compromis…

«If Ahmadinejad is forced out, prospects also improve. Some analysts have somewhat mechanically assumed that because Mir Hossein Mousavi was involved in the revival of the Shah's nuclear weapons program by the Islamic Republic in the 1980's, he would champion the uranium enrichment program now. If he had barely won election, and while the issue remained a nationalist touchstone spanning political camps, there was some truth to this prediction.

»But that was before the Uprising. Nationalism now has new, more powerful and more meaningful expressions. Mousavi was always more open to dialogue with the West. As president, his discourse could now include the nuclear program with much less fear of attack.»

Dans tous les cas, la perspective est optimiste, du point des vue des pays occidentaux qui considèrent que le nucléaire iranien serait une menace qu’il faudrait contenir à tout prix, et une menace en soi, sans intervention de la perception extérieure, du fait de l'Iran seul. L’idée sous-jacente est que l’Iran reviendrait à “plus de raison”, se concentrerait sur ses véritables problèmes, – qui sont économiques, avec la suggestion également sous-jacente, comme une logique implicite, que l’Iran voudrait se rapprocher du “modèle” occidental pour trouver une évolution plus “civilisée”, plus prospère, – puisque, effectivement, c’est le modèle occidental qui est capable de donner tout cela, comme il le prouve chaque jour, et plus que jamais depuis septembre 2008…

«The nuclear program could lose its security appeal. Just as conservatives in the United States promote missile defense as a security placebo, presenting it as the answer to foes real and imagined, only to see it crash when real problems come to the fore and its empty promise is exposed, the Iranian government's fetishization of its uranium enrichment program could collapse.

»The program has nothing to do with Iran's real problems. It offers no solution to the economy, to equality, to security. It is a drain on the country, not its salvation. It will not be abandoned quickly, but its role and importance could be greatly reduced, its progress slowed, its threat contained.»

Ces réflexions sont intéressantes par les éléments justes et les éléments contestables qu’elles contiennent. Curieusement, Cirincione place la question du programme nucléaire iranien en parallèle et en équivalence avec la question de la défense anti-missile US (BMDE) dans la perception du public et des directions politiques des pays respectifs, ce qui est pour le moins audacieux. Jamais la question du BMDE n’a été une question publique de sécurité nationale aux USA, ni pour le public, ni pour la direction politique. Ce fut un automatisme d’investissement du complexe militao-industriel (CMI), avec appui des néo-conservateurs et d'une campagne de promotion et de corruption à mesure, qui se développa selon sa propre logique et rien d’autre. Aujourd’hui, comme l’on sait, le sort du BMDE est négocié directement avec les Russes, ce qui achève de discréditer complètement de l’apprécier dans le cadre de la question iranienne.

Au contraire, un Iran et une direction iranienne affaiblis peuvent très bien se juger obligés de tenir encore plus fermement sur la question du nucléaire iranienne, pour tenter justement de compenser cet affaiblissement. Un affaiblissement iranien n’est en rien le garant d’un affaiblissement de l’expression du nationalisme dans ce domaine; le programme nucléaire est loin de devoir être restreint à son seul “security appeal” («The nuclear program could lose its security appeal»); il contient également une forte part de fierté nationale et, plus encore parce que c’est la fonction même du nucléaire, d’affirmation souveraine.

Ecrire, lorsqu’on se réfère à l’establishment occidental, et surtout US, comme modèle implicite, que «The program has nothing to do with Iran's real problems. It offers no solution to the economy, to equality, to security. It is a drain on the country, not its salvation», – cela est assez ironique… Donner l’exemple du système BMDE et annoncer qu’on l’abandonne (ce qui n’est pas fait) comme signe qu’effectivement les USA ont compris que le surarmement n’est pas une solution à leurs problèmes, voilà qui est peu convaincant. On acceptera l'intérêt de l'analogie lorsque le président’Obama aura réussi à faire passer son budget du Pentagone de $650 milliards et des poussières à $300 milliards.

Enfin et surtout, l’analyse pêche parce qu’elle est complètement influencée par l’aspect artificiel de la politique occidentaliste qui a été d’isoler l’Iran depuis que Bush a proclamé ce pays membre de l’“axe du Mal”. Du coup, la question nucléaire est analysée en fonction du seul Iran, comme si l’Iran était effectivement isolé. On sait que cette question nucléaire iranienne constitue d’abord un faire valoir, un faux masque pour les factions extrémistes US, pour le CMI et pour le gouvernement israélien, avec les Européens en bandoulière dans leur plus catastrophique évolution (comme celle de la France de Sarkozy sur cette question). Ce n’est pas pour rien que les néo-conservateurs auraient voulu que Ahmadinejad reste au pouvoir dans sa position de force, car ils auraient eu alors l’argument essentiel de leur propagande faussaire basée sur la déformation et la désinformation. Une conséquence importante d’un Iran affaibli éventuel après cette crise, au moins aussi importante que l’attitude iranienne vis-à-vis de son propre programme nucléaire, sera l’évolution de la politique extrémiste à l'Ouest, – autant la fraction extrémiste aux USA poussée par le CMI que, surtout, Israël et ses projets bellicistes contre l’Iran. Cette politique va être beaucoup plus difficile à poursuivre et les tentatives dans ce sens, notamment d’Israël, devraient augmenter les tensions, notamment entre Israël et l'administration Obama. Pour la direction actuelle d’Israël qui ne se contente guère des mots d’ordre “droits de l’homme-démocratie”, l’Iran, quels que soient sa position, sa direction, etc., reste l’adversaire direct numéro un, avec son poids géopolitique et son influence.

Dans ce sens général, la crise iranienne pourrait aussi bien mettre à jour la réalité de la crise nucléaire iranienne derrière laquelle on court depuis 6 ans: que cette crise est aussi bien le produit d’une surenchère extrémiste des factions concernées du camp occidentaliste, qu’il existe effectivement une crise entre deux approches occidentaliste, modérée et maximaliste, du problème iranien et du problème de la sécurité de la zone, et qu’elle vaut bien la crise du nucléaire iranien elle-même. En fait, de tels développements pourraient plutôt avoir comme conséquence d’accélérer l’idée, déjà évoquée, d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient pour tenter de résoudre la question générale de la sécurité à ce niveau, tout en allant dans le sens de la politique de l’administration Obama; et, là aussi, avec des tensions internes aux USA et en Occident, d’une très grande force. Ce qu’il faut admettre, c’est que la crise nucléaire iranienne depuis 6 ans est encore plus une expression extérieure des tensions internes aux USA et en Occident qu’une crise en soi, et toute modification de la position de l’Iran aura des répercussions importantes sur ce volet.


Mis en ligne le 18 juin 2009 à 13H50