L’Iran tient-il dans ses mains impies les élections présidentielles US?

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L’Iran tient-il dans ses mains impies les élections présidentielles US?


10 avril 2008 — Nous observions hier le spectacle pathétique, notamment des trois candidats à la présidence US devant le catéchisme du général Petraeus, au Sénat des Etats-Unis, décrivant une situation irakienne catastrophique, que les USA sont incapables de contrôler. Nous observions que la médiocrité catastrophique de la politique extérieure, et au-delà la médiocrité du système envahissaient dans un processus métastasique les personnes présentes, dont les susdits trois candidats à la présidence. (Nous ne retirons pas une lettre à ce commentaire, malgré les bonnes intentions affichées ici ou là pour l'un ou l'autre candidat, Barak Obama en l'occurrence...)

«Cette fois, le spectaculaire de la nouveauté de la procédure l’a cédé devant la médiocrité de la chose: médiocrité du général, médiocrité de sa stratégie, médiocrité des interventions des sénateurs pompeux et satisfaits d’eux-mêmes (mais pas toujours de Petraeus, il faut bien se donner l’illusion de l’esprit critique). Bref, nous avons eu confirmation que la médiocrité intellectuelle extraordinaire du système et de ses acteurs est à la base de la catastrophe inégalée dans l’Histoire pour de telles conditions qu’est l’Irak.»

Cette médiocrité générale fut assombrie encore, ou éclairée c’est selon, par la présence implicite mais formidablement pesante de l’Iran sur ces festivités, – alors que, vous le savez bien, le sujet était bien l’Irak. Sur ce point, qui concerne notre commentaire aujourd’hui, nous nous tournons vers une analyse de Martin Walker, de UPI, le 9 avril. Le titre, fataliste ou ironique, on ne sait, est celui-ci: «Iran wins again.»

Allons-y pour les joyeuses contradictions des politiciens et penseurs politiques de l’américanisme:

• Les démocrates, Hillary et Obama, dont on sait l’attitude critique sur la question irakienne et aussi qu’ils appartiennent à un parti qui est officiellement assez (?) critique de la politique agressive de guerre de l’administration GW Bush. Le fait est qu’on les entend donc prendre bien garde, dans leurs commentaires, à ne pas écarter, – oh non, surtout pas, – l’option militaire de l’attaque contre Iran:

«But over one of the key themes raised by the testimony of the top military and civil U.S. officials in Iraq, Sens. Hillary Clinton and Barack Obama are in agreement. Each of them has said that they would not rule out “the military option” when it comes to Iran's nuclear ambitions.»

• Obama annonce-t-il qu’il veut parler éventuellement avec l’Iran, comme le rappelait un de nos lecteur? Et alors? Tout le monde parle avec l’Iran, d’ores et déjà et pas “éventuellement”. Walker décrit en détails le processus qui a mené à l’arrêt des combats entre le gouvernement central et Sadr fin mars, largement orchestré par le chef des “Gardiens de la Révolution” d’Iran (classée organisation terroriste, notamment par 75 voix de majorité au Congrès, – dans laquelle, rendons-lui cette justice, ne figurait pas celle du sénateur Obama). Quant aux Américains officiels, ceux de l’équipe GW? Eh bien, ils font comme vous et moi, et sans doute n’importe quelle administration à venir: dénoncer l’Iran comme fauteur de guerre en Irak et agir sur le terrain en conséquence (cogner et encore cogner), et négocier parallèlement avec l’Iran pour tenter de contenir la catastrophe irakienne...

«... Petraeus and Cricker both warned in their Senate testimony that Iran is a major part of their problem in Iraq.

»Iran is “funding, training, arming and directing the so-called special groups,” which left unchecked, “pose the greatest long-term threat to the viability of a democratic Iraq,” Petraeus said.

»Crocker said that while the U.S. was seeking “aggressively to uproot and destroy” these forces, diplomacy remained essential, implying that Iran was now too important a player in internal Iraqi politics to be ignored.

» “We support constructive relations between Iran and Iraq and are participating in a tripartite process to discuss the security situation in Iraq. Iran has a choice to make,” Crocker said.

»U.S. officials disagree on the course that Iran is taking. The military tends to see Iran as the problem, the diplomats tend to see it as a potential part of the solution. They may both be right...»

• Ajoutons-en une couche avec le désormais inénarrable John McCain, notre possible futur-Président restaurateur des liens transatlantiques sacrés et autres joyaux de notre civilisation. McCain, c’est aussiBomb, bomb, bomb Iran”, sur l’air de Surfin’ USA des Beach Boys. “Bombing McCain”? Pas si vite, nous dit Walker.

«But this also gets interesting for the Republican champion, Sen. John McCain. He stressed Sunday, ahead of the Petraeus-Crocker testimony, that even though he knew the two men would warn about Iran's arming and training of America's enemies in Iraq, this did not mean necessarily that the United States should do anything about it.

»“Let me say categorically, because I'm worried about Iranian influence doesn't mean that I'm ready to go to war with Iran,” McCain said. “Please, I'm not.”

McCain, who argues that the only thing worse than bombing Iran would be sanding by as Iran developed a nuclear weapon, is now realizing just how complex the Iran-Iraq equation has become. On the one hand, he sees Iran as a dangerous enemy. On the other, he knows Iran now decides whether Iraq goes up in flames or it doesn't.

»McCain has staked his presidential campaign on his support for the U.S. military “surge” and the reduction in Iraqi and U.S. casualties it has brought about. But if Iraq falls apart before November, so does McCain's campaign. It begins to look as if Iran's Revolutionary Guard leader has McCain's presidential campaign in the palm of his hand.»

Vous voyez l’astuce? McCain a basé toute sa campagne sur le succès en relations publiques du “surge”, donc sur le succès exceptionnel de l’aventure américaniste en Irak. De quoi aurait-il l’air, “Bombing McCain”, si demain l’Irak s’effondre et se morcelle en autant de Sadr et Maliki locaux et que Petraeus-Crocker se retrouvent assiégés dans la “zone verte”? Du coup, “Bombing McCain” prend des allures de “Doving McCain” (nous nous permettons pour l’occasion le néologisme “doving” à partir de “dove”, ou colombe, les Iraniens et Mccain nous pardonneront). Il nous informe qu’après tout les Iraniens pourraient être utiles pour maintenir l’Irak en place, au moins jusqu’à son élection. Possible que Ahmedinejad soit engagé comme consutant dans l’équipe électorale de “Bombing McCain”, à un bon prix...

(Par ailleurs, et pour faire bonne mesure de la meilleure logique du monde, on conviendra qu’il était bon que McCain réafirmât, comme il l’a fait hier, qu’on ne peut écarter la possibilité de nouvelles “guerres préventives” contre des pays possédant des armes de destriction massive, comme on l’a fait en Irak, où l’on sait quelle fructueuse moisson d’ADM l’on fit, et le succès de la formule de la “guerre préventive”, et ainsi de suite.)

Bien, – nos lecteurs peuvent maintenant poser leurs mouchoirs après avoir cessé de pleurer de rire. La séance est terminée.

Imbroglio d'obligations et de contraintes diverses avec l'Iran

Après l’explosion de spéculations politiques du début de l’année, avec les tensions et les rebondissements des premières élections primaires, le monde politicien américaniste se trouve à nouveau embourbé dans le guépier irakien avec toutes ses interférences de plus en plus rocambolesques. Les rapports avec l’Iran, avec l’Irak interposé ou pas, sont exemplaires à cet égard. Il apparaît de plus en plus difficile de concevoir comment, dans cette perspective, une politique étrangère et de sécurité nationale rompant avec les contraintes et obligations infernales qui la caractérisent puisse être dégagée. A moins d’une rupture du système ou d’une rupture avec le système, les hommes ne comptent guère dans une politique qui n’a nul besoin d’être formulée puisqu’elle se contente de répondre aux pressions des diverses forces en présence.

Encore une fois, le paysage nous surprend. Alors que les rapports USA-Iran sont, depuis trois ans, décrits, détaillés, attendus comme devant être explosifs (une attaque US, la guere, etc.), ils évoluent d’une façon très différente vers un imbroglio d’obligations et de contraintes diverses avec l'Iran, où les USA se retrouvent plus que jamais dans ce qui semble désormais leur rôle favori: Gulliver empétré. Plus cette évolution s’affirme et plus l’Iran apparaît comme un acteur essentiel de la situation en Irak, moins les rapports entre les USA et l’Iran peuvent se définir dans ces termes d’une brutalité affectionnée par l’administration au pouvoir à Washington, et d’une façon générale par les experts occidentaux. La “force brute” dont on menace l’Iran depuis des années a de moins en moins la possibilité de s’exprimer dans un cadre général aussi contraint, aussi imbriqué, où les situations deviennent de plus en plus dépendantes les unes des autres.

La catastrophe irakienne avec ses multiples et infinies conséquences ne cesse donc de pénétrer au coeur du processus américaniste, par toutes les voies possibles. Lorsqu’on l’écarte par la porte, elle revient par la fenêtre. Chaque parti croit l’utiliser à son avantage et cet avantage se retourne contre lui. Elle a fait directement incursion sur la scène intérieure US puis elle l’a fait par le biais de la crise économique; elle le fait maintenant par le biais de la campagne présidentielle, où elle joue à nouveau un rôle important dans la structure argumentaire même des candidats.

La position de McCain est sans doute la plus spectaculaire puisque son argument de campagne dépend désormais d’une certaine façon du bon vouloir du régime iranien, pour intervenir dans les affaires intérieures de l’Irak et empêcher un éclatement du pays. Il est vrai qu’un véritable catastrophe irakienne, spectaculaire, du type-partition, obligerait toute la campagne à s’incurver à nouveau vers l’Irak et plongerait tous les candidats, à cause de l’urgence de la situation, dans la confusion la plus complète. (Même les candidats les moins partisans de la guerre, comme Obama en théorie, seraient obligés de présenter une position tendant à chercher à protéger ce qui peut l’être encore d’une telle catastrophe stratégique.)

Il s’agit d’une situation très originale. Tous les candidats sont coincés d’une façon ou l’autre dans les contradictions stupéfiantes d’une politique extérieure dont ils sont tous comptables, que cela leur plaise ou non, qu’ils l’approuvent au fond ou pas. Pour arriver à trancher ce noeud gordien, il faudrait une véritable candidature indépendante que rien ne laisse plus désormais prévoir ni espérer, tant le duel Hillary-Obama a complètement brouillé les cartes. Ou bien, – reparler d’une candidature Gore? Même cette dernière piste, dans la confusion actuelle, reste bien brouillée.

Pendant ce temps, la crise financière et économique pôursuit imperturbablement son galop.