Litote orwéllienne - Editorial, de defensa, Volume 17, numéro 19 du 25 juin 2002

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A lire entre Européens

A l'heure où le programme JSF est le dernier lieu chic où l'on cause entre Européens de l'avenir de la puissance technologique et militaire de l'Europe, nous proposons à nos lecteurs l'éditorial de notre édition du 25 juin 2002 (Vol17, n°19) de notre Lettre d'Analyse de defensa. Ce texte commente la pensée et la rhétorique du secrétaire d'État à la Défense des Pays-Bas, qui se perçoit lui-même, in fine croyons-nous, comme un « bon européen », selon l'expression employée par Friedrich Nietzsche.


Litote orwéllienne

Il y a des moments formidables. Le 17 juin, par exemple, au Pentagone, avec “Pete” Aldridge et tous les amis néerlandais, où l'on célébrait la signature de l'accord JSF entre Néerlandais et Américains. Ces petites fiestas réchauffent le coeur. On se croirait revenu au temps béni de la bonne vieille Guerre froide, quand on ne se posait pas de questions, quand tout semblait aller comme sur des roulettes.

Bien. On est entre copains et “Pete” Aldridge cligne de l'oeil. Il fait son petit discours. «Good morning everyone. This is a great day. [...] We in the government treasure our very strong relationship with the Netherlands » La langue bureaucracito-américaine est formidable. Est-il vraiment nécessaire de s'y connaître pour sentir tout ce que contient ce verbe (« treasure ») ?

Bon. Trêve de vaticinations, voici que parle notre Néerlandais, le secrétaire d'État à la défense, Henk A.L. van Hoof. Discours habituel, pas de surprise. On célèbre, on est content, on s'applaudit. (On est Néerlandais, aussi, alors on compte ses sous. A un moment A.L. van Hoof, après avoir expliqué qu'on avait choisi le JSF, à La Haye, en fonction des promesses financières des Américains, précise, l'oeil un peu torve pour Aldridge : « That creates obligations. » OK. On verra.)

Mais voici la perle, le morceau de roi. Henk A.L. van Roof, avant de terminer, annonce, solennel, qu'il a encore quelque chose à dire avant de terminer. Et voici, et cela vaut le voyage à Washington, D.C. : « With JSF, the Netherlands did not choose for the United States and against Europe. On the contrary, in this respect the Netherlands has no tenets. With the U.S., the U.K., Canada, Denmark, and later perhaps countries like Norway and Italy, the JSF program has a broad, firm base and that makes me confident. It is [salient] that JSF has in this respect more European partners than any other program. »

La messe est dite ? Pas sûr. Nous dirions plutôt : le bal est ouvert. Ce que vient de nous dire A.L. van Hoof, c'est ceci : acheter JSF, c'est acheter européen. Ou encore : acheter américain, c'est être européen. C'est une philosophie orwéllienne, blanc c'est noir et inversement.

Mais c'est bien plus encore. A.L. van Hoof s'est cru obligé de dire, avec solennité, cette sympathique énormité. Comme si sa vertu (européenne) lui faisait quelque reproche. Comme s'il répondait à ces accusations que personne n'ose lancer. Comme s'il se sentait coupable. Ainsi ouvre-t-on le bal. D'ici à ce que ces pays commandent le JSF, nous allons pouvoir débattre sur ce que c'est qu'acheter européen, sur ce que c'est qu'être européen, et par quelle voie mirobolante on peut être européen en achetant américain. Débat du plus grand intérêt. Il faut remercier le mirobolant Henk A.L. van Hoof de l'avoir si complaisamment ouvert.