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14 février 2006 — C’est dans l’indifférence tranquille de l’habituelle “clameur médiatique” que leur morale vigilante est censée inspirer aux médias en cas de malheur que se noue un conflit majeur entre le pouvoir politique et la science. L’enjeu principal est la confrontation avec des catastrophes naturelles et le destin de l’espèce ; le moteur est la simple psychologie hystérique du pouvoir politique, exprimée par un obscurantisme idéologique où l’aveuglement est nourri par la vanité et le conformisme (celui-ci imposé par le pouvoir de la communication). Il n’y a aucun complot de forces sombres mais la seule expansion universelle et industrieuse de cet obscurantisme par le biais du couple infernal politique-communication, appuyé sur l’inertie de la bureaucratie générale. (Il faut nous habituer à penser en termes simples : obscurantisme suscité par la vanité et le conformisme, sans compter une indifférence pour le bon sens qui confine à la sottise ; ce sont ces traits de notre psychologie malade qui nous enferment dans des orientations désastreuses.)
Après l’affaire Hansens aux Etats-Unis, une autre affaire de la même sorte illustre cette situation. Il s’agit d’un scientifique australien forcé à démissionner, toujours pour la même raison : parce qu’il avait voulu rendre publique la probable réalité de la très proche catastrophe universelle engendrée par la crise climatique.
Quelques mots, du 13 février, du site australien The Age.com sur le cas du Dr. Pearman : « A former CSIRO senior scientist and internationally recognised expert on climate change claims he was reprimanded and encouraged to resign after he spoke out on global warming. Graeme Pearman told The Age that he believed there was increasing pressure in Australia on researchers whose work or professional opinions were not in line with the Federal Government's ideology.
» His view accords with that of a growing number of scientists concerned about the pursuit of “intensely political” areas of science, such as the debate over climate change, amid fears that views contrary to government policy were unwelcome
» Dr Pearman says he fell out with his CSIRO superiors after joining the Australian Climate Group, an expert lobby group convened by the Insurance Australia Group and environment body WWF in late 2003. A core aim of the group was to encourage Australian political leaders to consider carbon trading — where industry pollution is capped and there are financial incentives to reduce emissions — and other measures including a target to reduce greenhouse gases by 60 per cent by 2050.
» The Federal Government has said it will not pursue carbon trading at this stage. It accepts that global warming is real and poses a threat to the Australian environment, but does not support mandatory targets for reducing carbon emissions. Dr Pearman, who headed the CSIRO Division of Atmospheric Research for 10 years until 2002, said he was admonished by his Canberra superiors for “making public expressions of what I believed were scientific views, on the basis that they were deemed to be political views”.
» ”In 33 years (with CSIRO), I don't think I had ever felt I was political in that sense. I've worked with ministers and prime ministers from both parties over a long period of time, and in all cases I think I've tried to draw a line between fearless scientific advice about issues and actual policy development, which I think is in the realm of government,” he said.
» Dr Pearman is one of three leading climate experts quoted on the ABC's Four Corners tonight who say they have been repeatedly gagged in the public debate on greenhouse gas cuts. Dr Barrie Pittock, who was awarded a Public Service Medal for his climate work, has told Four Corners he was instructed to remove politically sensitive material from a government publication on climate change. And Barney Foran, a 30-year CSIRO veteran, cited a case in August when CSIRO managers told him they had fielded a call from the Prime Minister's Department suggesting he should say nothing critical about ethanol as an alternative fuel. »
Nous n’entendons pas un mot d’exclamation vertueuse des communautés scientifiques officielles ni des médias officiels/indépendants sur ces affaires, sinon les entrefilets assurant le “minimum syndical”. Mesurez le volume d’informations, de commentaires, d’alarmes et d’alertes sur le sort de la civilisation et de nos valeurs, dans les deux sens et pour les deux parties, à propos de l’affaire des caricatures, —mesurez ce tintamarre pour le comparer au silence glacé sur cette question des scientifiques éliminés ou censurés à propos de la crise climatique, et le silence sur cette crise climatique arrivant à grands pas. Cette mesure faite, admettez qu’on ne peut que poursuivre avec alacrité, sans céder au découragement du désespoir quotidien, notre enquête sur le triomphe général, non des complots, non de la perversion, mais simplement sur le triomphe de l’obscurantisme officiel, peinturlurant en idéologie une bouillie infâme née de l’enfermement de l’esprit dans des dogmes autoritaires.
(On rapprochera ce cas, pour le mettre dans la même catégorie, de celui du terrorisme à la lumière de la réalité. L’inénarrable Michael Brown a eu le mot génial qu’il fallait pour décrire le comportement, c’est-à-dire l’inertie de l’administration GW Bush face au désastre Katrina : « It is my belief, that if we've confirmed that a terrorist has blown up the [New Orleans] 17th Street Canal levee, then everybody would have jumped all over that and been trying to do everything they could. » Pour avoir dit cela, Brownie sera absous par le Très-Haut, nous le savons de source sûre, de bien de ses turpitudes notoires. Bref, si les affaires Hansen et Pearman comprenaient une composante “choc de civilisation”, si le global warming pouvait être lié à Al Qaïda, l’attitude de pouvoir politique changerait du tout au tout et la mobilisation serait considérable, jusqu’à sauver la planète.)
Le cas est grandissime. De plus en plus de dirigeants du Big Business partagent ces alarmes sur les calamités naturelles qui menacent à peu près tout le cadre de la vie de l’espèce, y compris la civilisation, nos valeurs et la publication des caricatures. Selon George Monbiot, le 20 septembre 2005 dans The Guardian, « At a conference organised by the Building Research Establishment [in September 2005], I witnessed an extraordinary thing: companies demanding tougher regulations — and the government refusing to grant them. [...] In January [2005] the chairman of Shell, Lord Oxburgh, insisted that “governments in developed countries need to introduce taxes, regulations or plans ... to increase the cost of emitting carbon dioxide”. He listed the technologies required to replace fossil fuels, and remarked that “none of this is going to happen if the market is left to itself”. In August [2005] the heads of United Utilities, British Gas, Scottish Power and the National Grid joined Friends of the Earth and Greenpeace in calling for “tougher regulations for the built environment”. »
Un silence quasi-polaire répond à cette situation. Comme Monbiot le dit justement dans le texte référencé, le blocage pour prendre des mesures se trouve au niveau des autorités politiques, pilotées par la com, appuyées sur l’inertie de leurs bureaucraties. La cause en est le carcan idéologique du non-interventionnisme du dogme hyper-libéral que les pouvoirs politiques se sont forgé autour d’eux-mêmes, les poussant à agir d’une façon complètement discrétionnaire et autoritaire, notamment à l’encontre de leurs propres scientifiques, comme dans les cas Hansen et Pearman. (Monbiot : « So why won't the government act? Because [... d]eregulation has become the test of its manhood: the sign that it has put the bad old days of economic planning behind it »)
Les pouvoirs anglo-saxons sont, de loin, les plus activistes dans cette matière. Avec eux, l’idéologie absurde par son extrémisme conduit toutes les politiques et structure toutes les perceptions. (L’idéologie ultra-libérale entraînant le dogme du saccage effrénée des ressources naturelles, avec l’enchaînement qu’on sait, n’est soutenue que par ces franges du pouvoir qui tiennent tous les moyens de communication et de renforcement du conformisme.) L’affaire Pearman montre une singulière proximité entre l’Australie et les USA.
Dans ce cas, le Royaume-Uni est dans une position beaucoup plus ambiguë et contradictoire. A côté du blocage idéologique du gouvernement pour l’action régulatrice nécessaire, les Britanniques sont au contraire les plus inquiets de l’ampleur terrifiante de la crise climatique. La communauté scientifique britannique est remarquable et le pouvoir ne l’entrave pas trop. Voilà qui justifie un jugement plus nuancé sur le Royaume-Uni, qui conserve quelques valeurs de responsabilité nourries par sa forte perception des nécessités et des responsabilités de la souveraineté. Voilà qui nourrit également la crise intérieure de ce pays, qui s’exprime très fortement aux niveaux psychologique et moral. (D’où l’ampleur, d’autre part, de la crise britannique face au problème du JSF lorsqu’il devient le problème ontologique de la souveraineté nationale. Dans ce vaste monde, les affaires en apparence les plus éloignées sont toutes liées par la crise générale de notre psychologie, exprimée par l’obscurantisme du conformisme qui domine les psychologies malades.)
…Et, par pitié, parlons un peu moins de complot. Pour le principal, l’obscurantisme postmoderne fait l’affaire.