Logique chinoise — de defensa, extraits de la rubrique “de defensa”, Volume 19, n°10 du 10 février 2004

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Logique chinoise — de defensa, extraits de la rubrique “de defensa”, Volume 19, n°10 du 10 février 2004


Ci-dessous, nous publions l’analyse de la question de la possible levée de l’embargo sur la vente d’armes européennes à la Chine, aujourd’hui envisagée par la Commission européenne, avec le soutien de certains États-membres (la France et l’Allemagne ont le plus clairement parlé en faveur d’une telle mesure).

Notre constat est que cette initiative s’est développée au sein de la Commission pour des raisons économiques et bureaucratiques essentiellement. Notre analyse est que le débat va pourtant très rapidement prendre des dimensions stratégiques et politiques considérables, avec un très probable affrontement avec les USA.

Il y a déjà des signes indubitables de cette évolution vers un affrontement. On les trouve dans la presse US, qui se fait à cet égard un porte-parole officieux/officiel des “préoccupations” de l’administration.

On en mentionne deux  :

• Dans le le Washington Times du 3 février, un éditorial du journal, Arming Red China (le Red a toute sa signification) attaque avec violence l’Europe pour son intention de lever l’embargo. L’attaque concerne aussi certains pays, dont la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. (Surprise pour ce dernier pays.) Le Washington Times, très conservateur, est très proche de l’administration. Il n’écrit pas un tel texte sans avoir reçu des indications, sinon des incitations précises à ce sujet.


«  At the behest of France and Germany, the European Union is reconsidering the arms embargo on China. The Dutch support lifting the ban, and other nations are lining up to follow suit. Many of the same governments opposed U.S. efforts to oust Saddam Hussein in Iraq. There is now a growing pattern of America's old allies in old Europe working to counter — if not undermine — U.S. interests, American security and human rights around the world. The EU desire to arm Communist China is another example of that. »


• Dans The International Herald Tribune du 9 février, John Vinocur fait un commentaire amer et plein de vinaigre sur la conférence annuelle de Wehrkunde, à Munich. Européens et Américains ont été polis, parfois avec des paroles très sucrées, voire mielleuses (les Européens, surtout les allemands), — mais, selon Vinocur, des tonnes d’arrière-pensées (surtout les Européens, bien sûr). Dans le cours du texte, trois sujets sont mentionnés par Vinocur comme trois graves sujets de mésentente entre Américains et Européens. L’un des trois est l’intention européenne de lever l’embargo des armements pour la Chine. Lisez Vinocur en sachant que cette plume sera rarement désavouée par l’administration US en place, au contraire.


«  In recent weeks, both Chancellor Gerhard Schröder and President Jacques Chirac have said they would like to consider arms sales to China. The U.S. State Department responded disapprovingly, calling this a very poor idea. The EU will probably be asked to consider lifting a ban on weapons deals soon. »


Ci-dessous, l’extrait de la rubrique de defensa, dans de defensa, Volume 19, n°10 du 19 février 2004.


@SURTITRE = La longue marche


(...)

@TITREDDE = Logique chinoise

@SOUSTITRE = Vendre des armes européennes aux Chinois ? Les Européens ne peuvent faire autrement que répondre, et répondre oui. Façon de choisir.

Depuis quelques semaines, la Commission européenne est particulièrement sensibilisée sur la question des ventes d'armes à la Chine. La question concerne la levée de l'embargo. Plusieurs États-membres, dont la France qui l'a fait savoir publiquement, sont partisans de cette mesure.

Certains voient des avancées possibles dans ce domaine très rapidement, tant la pression est forte au sein des institutions européennes. Une source explique qu’« il y a quelques semaines, on parlait de quelque chose de nouveau dans ce dossier dans les deux années qui viennent. Maintenant, on parle de quelque chose d'ici l'été. » Personne n'ignore plus, depuis quelques mois, les pressions permanentes des Chinois vers les Européens, pour obtenir une telle décision. Les pressions de la Chine, aujourd'hui, ce n'est pas rien, venant d'un pays de près de deux milliards d'habitants, dont le taux d'expansion est de 9%, et dont les économistes calculent que son PNB, c'est-à-dire sa puissance économique, dépassera celui des USA autour de 2020. (Parmi les connaisseurs de ces questions, les planificateurs du ministère sud-coréen des affaires étrangères jugent que cette croissance sera maintenue sans à-coups pendant la perspective prévisible, et que les États-Unis seront effectivement dépassés par la Chine avant 2020.) Résumons par deux points :

• Il est bien difficile, aujourd'hui, de résister aux pressions chinoises.

• Décider, aujourd'hui, au seuil de telles perspectives, d'abandonner l'embargo des armements vers un tel pays, c'est poser un acte stratégique fondamental.

Restons-en à ce dernier point. Si, demain, effectivement, l'UE décide d'entamer ce processus de levée de l'embargo et le mène à terme, ce sera un tremblement de terre comme on est bien loin d'imaginer, — et un tremblement de terre stratégique, c'est-à-dire politique. C'est alors que certains, étonnés, commenceront à avancer qu'il y a, dans les décisions européennes des dimensions stratégiques et politiques de la plus grande importance.

Certains mesurent cette perspective. La même source que nous avons citée observe également que l'un des points de résistance, au sein des débats européens, pour la levée de l'embargo vers la Chine, c'est « la crainte d'une réaction défavorable, voire d'une réaction brutale des Américains ». Mais il ne nous semble pas que cet argument soit considérablement justifié, et justifié selon son véritable poids. Pour une institution comme sont les institutions européennes, l'armement est d'abord un “produit” économique, quelque chose qui se mesure selon son coût, selon sa valeur industrielle, selon l'importance économique et technique des technologies qui y sont intégrées.

La dimension stratégique de l'acte est perçue mais elle n'est pas perçue à sa juste mesure, avec son vrai poids, simplement parce que, pour ces esprits qui jugent, le stratégique et le politique sont dépassés en importance par l'économique. Par conséquent, cette importante décision, si elle était prise, serait d'abord l'objet d'une appréciation économique. Il est évident, par ailleurs, que sa substance est politique et stratégique.


L'exemple chinois est caractéristique d'une bureaucratie, mais c'est aussi caractéristique de l'Europe : comment envisager une décision stratégique sans en avoir peur

Mais il faut revenir, pour saisir la substance même de cette évolution européenne, par conséquent pour saisir le rôle que cette évolution tient dans la question politique, à ses causes et à son mécanisme. Pour la source déjà citée, « la cause principale de l'évolution de la bureaucratie européenne, c'est qu'elle se trouve engagée dans nombre de négociations avec la Chine, qu'elle s'y trouve souvent coincée par l'intransigeance chinoise, bien qu'exprimée “à la chinoise” certes, et qu'elle a besoin d'un bras de levier. La fin de l'embargo en est un, d'une puissance exceptionnelle ». Certes, l'on comprend que la bureaucratie a horreur du vide qu'impliquent une négociation bloquée et l'intransigeance feutrée d'un partenaire par ailleurs indispensable et incontournable. Elle évolue donc là où elle peut le faire. La perspective de la levée de l'embargo est, pour la Chine, une “carotte” absolument immanquable.

Ce n'est pas de la grande stratégie. Les états d'esprit et conceptions qu'on a exposés plus haut expliquent qu'on fasse de la grande stratégie sans y prendre garde, ou, plus précisément, sans y croire vraiment, car la bureaucratie ne croit pas vraiment à l'importance fondamentale de la stratégie et, par conséquent, du politique. Les pressions, d'abord discrètes puis bientôt fermes et à visage découvert, des pays-membres, accélèrent et renforcent la tendance générale.

Les Chinois, eux, doivent montrer de la souplesse. On leur fait comprendre qu'une concession ou l'autre dans le domaine des droits de l'homme serait une excellente chose. Le Parlement européen, temple de l'irresponsabilité et, par conséquent, de la politique “droit-de-l'hommiste”, y sera sensible ; non qu'on ait besoin de l'approbation du PE, mai pane qu'on a besoin de la vertu de bonne réputation. Les Chinois comprennent cela, bien qu'en ouvrant parfois des yeux bridés et étonnés.

Ainsi, aujourd'hui, se prennent des décisions stratégiques fondamentales. La bureaucratie européenne sera étonnée, demain, si l'embargo est levé, de mesurer les conséquences d'une telle décision ; mais les États-membres aussi, et, sans doute, les Américains également, qui hurleront bientôt contre une initiative qui, dans leurs idées, arme l'adversaire de demain. Cette idée n'est pas absente non plus de nombre d'esprits européens, y compris (et même surtout ?) français, malgré l'intérêt que la France a dans cette affaire.

Notre appréciation est que ces alarmes sont injustifiées, La Chine, malgré toute sa puissance chiffrée, ne verra pas, c'est l'essentiel, sa psychologie immémoriale transformée en psychologie de conquête par de la quincaillerie. Cette quincaillerie ne lui donnera pas les moyens et la capacité de créer une base technologique nécessaire à une politique de conquête ; aujourd'hui, la puissance ne répond plus qu'en partie, de plus en plus faible au demeurant, à ce facteur pour se définir. Par contre, cette évolution générale constitue, pour l'Europe, dans la perception qu'on ne peut manquer d'avoir, une décision fondamentalement stratégique et politique. La perception règle tout. Ainsi en vient-on, aujourd'hui, à faire des choix politiques et stratégiques, —  sans le vouloir, sans le mesurer, etc. La question de l'armement de la Chine selon les normes occidentales est désormais sur la table. Cette révolution ne nous quittera plus et l'Europe en est l'inspiratrice.