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8188 janvier 2014 – Il est tout de même assez rare, non il est rarissime qu’un ministre de cette importance, qu’un homme de cette réputation de retenue et de “serviteur de l’État” (s’il y en a un aux USA), ayant quitté son poste en apparence dans les meilleurs termes possibles avec son président, assène à ce même président toujours en exercice un tel coup, et sur des matières de sécurité nationale d’une aussi critique importance à la fois conjoncturelle et structurelle. Le secrétaire à la défense est le second en importance du cabinet, derrière le secrétaire d’État (affaires étrangères), et il exerce dans le domaine qui est le pilier de la puissance du Système. Nous parlons respectivement des USA, des mémoires de Robert Gates et du président Obama, et jugeons la publication du livre de Robert Gates telle qu’elle nous est rapportée et avec l’écho qui en est fait comme très férocement critique de l’action politique du président. Il s’agit sans aucun doute d’un événement exceptionnel par sa rareté et sa signification critique très profonde, qui est une marque de la profonde crise du pouvoir washingtonien.
Si l’on veut une référence de cette sorte de circonstance exceptionnelle, on citera le précédent récent du secrétaire au trésor Paul O’Neill, démissionnaire qui écrivit aussitôt des mémoires dévastatrices pour l’administration GW Bush et pour le président, – on donne cette précision administration-GW, parce que ce président-là était tout de même assez effacé dans son poids pour les responsabilités des décisions avec lesquelles O'Neill était en désaccord. En effet, à la différence de Gates, O’Neill démissionna en décembre 2002 sur un profond désaccord, dont il ne chercha aucunement à dissimuler la gravité, justifiant d’autant ses mémoires vengeresses brisant le semi-tabou du “devoir de réserve”.
Ces circonstances sont complètement différentes du départ de Gates, à la mi-2011, départ qui était prévu d’abord pour fin 2009 puis fut reporté une première fois fin 2010, dans des conditions politiques en apparence très positives. Son départ fin 2009, reporté ensuite deux fois, était la condition de l’acceptation de Gates de poursuivre au Pentagone avec une administration démocrate l’exercice d’une fonction commencé en novembre 2006 en remplacement de Rumsfeld. Ces conditions mises par Gates étaient vraiment de convenances personnelles de ce point de vue, évidentes très rapidement après la prise même de ses fonctions de 2006 et sans cesse aggravées par l’âge et la fatigue, et se traduisirent par une détestation sans mesure de ce “devoir” (Duty, titre de son livre) qu’il devait remplir. Bob Woodward note dans son article du Washington Post du 8 janvier 2014 : «Gates writes, “I did not enjoy being secretary of defense,” or as he e-mailed one friend while still serving, “People have no idea how much I detest this job.”»
Ses mémoires se nomment donc Duty, signifiant effectivement qu’il a fait ce qu’il a fait non par goût ni par ambition mais par devoir. Cela correspond à sa psychologie de serviteur du bien public, quelles que soient par ailleurs les vilenies qu’on peut lui attribuer, notamment lorsqu’il menait la CIA ; ce “devoir”, il l’a accompli sans aucune satisfaction personnelle et sans doute avec une réelle amertume et bien peu d’espoir de parvenir à un résultat notable. On comprend dès lors que son acte, toujours contre le semi-tabou du “devoir de réserve”, est sans le moindre doute d’une extraordinaire signification, et bien plus significatif que le précédent de O’Neill, et sans comparaison comme on l’a dit. Plongé dans la chose militaire dès le début de sa carrière, avec assez d’autorité critique vis-à-vis de l’institution mais toujours du côté de cette institution, l’attaque de Gates représente sans nul doute une attaque du Pentagone contre Obama. Elle ne renforcera certainement pas la position d’Obama, ni ne contribuera à contenir, sans parler de la réduire certes, la crise chronique, profonde et générale du pouvoir à Washington dont nous parlions plus haut, et dont l’antagonisme président-Pentagone est un aspect parmi d’autres.
L’avis du prudent Woodward (l’un des deux hommes du Watergate avec Bernstein), toujours dans les petits papiers du pouvoir en place quelle que soit l’orientation de ce pouvoir, est assez juste à cet égard. Quels que soient tous les vices et les vilenies de cet alignement-Système, disons “systématique”, Woodward n’en demeure pas moins très bien informé, et avec une solide expérience ; dans la matière qui nous occupe, son commentaire est du plus haut intérêt parce qu’il n’est retenu par rien dans son appréciation critique de Gates, dont les mémoires vont certainement être ressenties comme une très violente attaque, – ne parlons pas de trahison puisque Gates ne fut jamais un inconditionnel... «It is rare for a former Cabinet member, let alone a defense secretary occupying a central position in the chain of command, to publish such an antagonistic portrait of a sitting president.
»Gates’s severe criticism is even more surprising — some might say contradictory — because toward the end of “Duty,” he says of Obama’s chief Afghanistan policies, “I believe Obama was right in each of these decisions.” That particular view is not a universal one; like much of the debate about the best path to take in Afghanistan, there is disagreement on how well the surge strategy worked, including among military officials.
»The sometimes bitter tone in Gates’s 594-page account contrasts sharply with the even-tempered image that he cultivated during his many years of government service, including stints at the CIA and National Security Council. That image endured through his nearly five years in the Pentagon’s top job, beginning in President George W. Bush’s second term and continuing after Obama asked him to remain in the post. In “Duty,” Gates describes his outwardly calm demeanor as a facade. Underneath, he writes, he was frequently “seething” and “running out of patience on multiple fronts.”»
... C’est surtout en tant qu’homme du Pentagone, représentant du Pentagone, de ses civils et de ses militaires, que Gates a conduit ces quelques années avec Obama avec une fureur à peine rentrée et une frustration qui apparut plus souvent qu’à son tour et qui concernent moins les politiques menées, – parce qu’il n’y avait pas vraiment d’alternative, parce que le Système n’en permet pas, – que les conditions dans lesquelles elles furent menées. Duty en porte largement témoignage, aussi bien dans des réflexions générales que dans des scènes ponctuelles : «At a March 3, 2011, National Security Council meeting, Gates writes, the president opened with a “blast.” Obama criticized the military for “popping off in the press” and said he would push back hard against any delay in beginning the withdrawal. According to Gates, Obama concluded, 'If I believe I am being gamed...’ and left the sentence hanging there with the clear implication the consequences would be dire.”
»Gates continues: “I was pretty upset myself. I thought implicitly accusing” Petraeus, and perhaps Mullen and Gates himself, “of gaming him in front of thirty people in the Situation Room was inappropriate, not to mention highly disrespectful of Petraeus. As I sat there, I thought: the president doesn’t trust his commander, can’t stand [Afghanistan President Hamid] Karzai, doesn’t believe in his own strategy, and doesn’t consider the war to be his. For him, it’s all about getting out.”»
On ne tentera certainement pas ici de donner une appréciation complète du livre, quitte à y revenir selon les circonstances et compte tenu d’aspects inédits et intéressants que nous relèverions. De nombreux (premiers) comptes-rendus peuvent être trouvés dans tous les grands médias, en général avec toutes les indications nécessaires et pas encore avec les déformations ou prises de position toujours instructives et révélatrices. (On peut par exemple consulter le New York Times du 7 janvier 2014, le Guardian du 7 janvier 2014, Russia Today le 8 janvier 2014.) Pour l’essentiel, nous relèverions trois points qui nous paraissent fondamentaux dans les critiques de Gates (Duty est complètement un dossier à charge, quoiqu’il en paraisse dans des notations ic ou là), et qui nous paraissent surtout essentiellement fondés.
• L’un des grands thèmes est que BHO ne croit pas aux stratégies qu’il ordonne, et qu’il semble en fait considérer comme lui étant imposées ; même s’il s’en plaint, même s’il les critiques parfois sans la moindre retenue, il ne dispose pas, par son expérience réduite mais aussi à cause d’une psychologie fautive parce que faible, de la capacité de les refuser. C’est la guerre en Afghanistan qui est mise en évidence, mais tout le reste est du même tonneau. Cet homme agit contre ses convictions, mais ces convictions sont si faibles, mal substantivées par l’absence de la moindre expérience, appuyées sur une petite part d’instinct et sur une très grande part d’homme de communication très postmoderne, qui suit des thèmes qui sont peut-être justes en profondeur mais qui sont présentées et même “compris” d’une façon superficielle comme tout dans la communication-Système jugeant sur la séduction immédiate et nullement sur la substance profonde. (D’où l’extrême faiblesse des pseudo-“convictions” d’Obama, et son incapacité de seulement vouloir les imposer.) Il n’empêche, psychologiquement c’est au moins un abstentionniste des affaires du monde, et, avec un peu des circonstance aidant, une sorte de neo-isolationniste, nous dirions type New Age, sans vraiment comprendre l’aspect politique ce cette tendance.
• Il respecte les militaires, les bureaucrates du Pentagone essentiellement en tant que personnes au service de leur institution et professionnels dans leurs domaines, avec la compétence qui va avec. Mais, d’une façon assez paradoxale qui complète le premier point, il ne croit absolument pas dans la justesse de leurs choix, – tout en les acceptant en général à cause de cette faiblesse de la psychologie qui nourrit une faiblesse fondamentale de caractère. Ses rapports avec le Pentagone, quoiqu’empreints d’un respect mutuel, furent donc et restent sans le moindre doute marqués par l’affrontement réciproque larvé et policé, c’est-à-dire des rapport souterrainement très tendus et pouvant devenir explosifs dans certaines circonstances (sans doute très rares, à cause de sa prudence et de sa séduction, mais tout de même le risque existe). C’est peu dire que les chefs militaires ne l’aiment pas, même s’ils respectent l’homme ; et l’on comprend que les différents bruits de mésentente poussant certains à parler exagérément de “complots“ (des militaires) ont sans aucun doute des fondements circonstanciels.
• Obama est aussi isolé, retranché, croyant être assiégé par tous et voulant tout contrôler sans consulter personne, que l’était Nixon («His White House was by far the most centralized and controlling in national security of any I had seen since Richard Nixon and Henry Kissinger ruled the roost.”»). Il est meilleur que Nixon dans la dissimulation de ce que d’aucuns jugeront être une paranoïa, mais bien moins armé pour conduire cette position d’une façon acceptable (comme Nixon le fit pour sa politique extérieure, ce qui lui valut le Watergate, né de cette structuration entraînant l’hostilité des militaires, mis de côté sur les questions essentielles). Le résultat est que sa Maison-Blanche hyper-centralisée ne débouche sur rien de constructif, aucune “politique personnelle”, là complètement au contraire de Nixon. On doute qu’Obama puisse réussir un “coup” comme la reconnaissance de la Chine communiste en 1971 avec voyage-surprise et rencontre de Mao à la clef (par exemple, faire la même chose avec l’Iran), – alors que sa Maison-Blanche est organisée pour cela. Il est donc aussi hypercentralisé que Nixon, mais sans les avantages politiques de cette hypercentralisation, et tous les inconvénients (paranoïa pour les “fuites”, acharnement contre les whistleblower, conduite personnelle de politiques aussi douteuses et criminelles que l’utilisation des drones, etc.)
Sur tous ces sujets, on ne versera pas dans la dichotomie habituelle et si tentantes pour les commentateurs du parti des salonards : militaires s’en-va-t’en-guerre, président isolé parce que “pacifiste” (ce schéma était beaucoup plus proche de la présidence Nixon, particulièrement dans les rapports essentiels avec l’URSS et la Chine ; c’est même pour cela que Nixon, jugé trop arrangeant, ou trop “colombe”, est tombé). Au contraire, Obama, quoique neo-isolationniste, est parfois va-t’en-guerre pour des questions de communication (de pub’, rien d’autre), tandis que les militaires sont la plupart du temps contre les aventures. Un exemple récent est la prise de position de Gates sur la crise de l’attaque US contre la Syrie d'août-septembre 2013, finalement avortée. On pouvait lire dans le New York Times du 18 septembre 2013... «“My bottom line is that I believe that to blow a bunch of stuff up over a couple days, to underscore or validate a point or a principle, is not a strategy,” Mr. Gates said during a forum at Southern Methodist University. “If we launch a military attack, in the eyes of a lot of people we become the villain instead of Assad,” he added, referring to President Bashar al-Assad of Syria. Mr. Gates, the only cabinet member from the administration of George W. Bush whom Mr. Obama asked to stay, said missile strikes on Syria “would be throwing gasoline on a very complex fire in the Middle East.” “Haven’t Iraq, Afghanistan and Libya taught us something about the unintended consequences of military action once it’s launched?” Mr. Gates said.»
Il y a un passage dans Duty, que relève Woodward, qui nous paraît intéressant, – où Gates semble ne parler que de ses rapports avec Obama et l’équipe du président, et où il s’avère en fait qu’il parle de Washington en général, et finalement qu’il parle du Système : «... In “Duty,” Gates complains repeatedly that confidence and trust were what he felt was lacking in his dealings with Obama and his team. “Why did I feel I was constantly at war with everybody, as I have detailed in these pages?” he writes. “Why was I so often angry? Why did I so dislike being back in government and in Washington?” His answer is that “the broad dysfunction in Washington wore me down, especially as I tried to maintain a public posture of nonpartisan calm, reason and conciliation.”»
Nous ferons l’hypothèse que c’est pour une bonne part cette colère qui a poussé Gates à poser cet acte vraiment extraordinaire par rapport aux coutumes et aux règles internes du Système autant que des normes de la Grande République, – c’est-à-dire, cette attaque dévastatrice dans ses considérations contre un président toujours en fonction et sous l’autorité duquel il a servi. Disposant d’un crédit considérable, donc figurant comme une référence de sérieux et de probité (quoi qu’on puisse lui rapprocher dans d’autres mandats, seule compte ici la référence de la réputation), Gates lamine absolument l’attitude du président, son absence de conviction, ses choix sans assise intellectuelle pour son compte, sa détestation de ses partenaires obligés (Karzaï), au moment précis où les difficultés s’amoncellent dans les négociations en cours en Afghanistan pour la situation post-2014, pour les négociations sur la situation en Afghanistan à partir de 2014, au moment précis où les rapports d’Obama avec Karzaï se détériorent rapidement, – si c’est possible...
Puisqu’il est difficile de soupçonner Gates de machiavélisme politique, en raison de son âge et de sa retraite, autant que de ses antécédents bureaucratiques et de son respect du “devoir”, on doit considérer que ce deuxième point (la sortie de son livre au moment où elle a lieu, et avec l’écho qui en est fait) est directement lié au premier (sa colère dénotant un état d’esprit durable et profond). Effectivement, nous n’attribuerons certainement pas le premier fait (sa colère dénotant un état d’esprit durable et profond) au seul domaine du caractère, à la colère d’un homme, à son amertume (même s’il en parle dans ce sens), à tous ces faits psychologiques qui comptent pour peu de choses, dans une situation normale, par rapport aux enjeux soulevés. Nous croyons d’une façon différente qu’il s’agit là d’une situation de tension de personnes avec leurs spécificités, leurs responsabilités et les pouvoirs qu’elles ont assumés et assument encore, mais aussi de ces mêmes personnes qui ne peuvent être autre chose que des serviteurs du Système (pour Obama, d’une certaine façon par son propre choix puisqu’il a refusé d’être un “American Gorbatchev”). Ce qui pourrait paraître comme des mouvements d’humeur ou des règlements de compte prend dans le contexte une toute autre dimension.
De ce point de vue, selon nous, c’est sans aucun doute la pression de la crise du Système qui pousse ces hommes à exprimer leurs sentiments dans une mesure qui interfère (interférera) directement sur la politique générale dans des domaines essentiels. Ce constat ne fait que signifier la voie employée pour signaler une situation très grave, que les protagonistes eux-mêmes n’identifient pas nécessairement comme telle. Gates fait un portrait du président assez ambivalent ; d’un côté, il lui reconnaît nombre de qualités, de l’autre il lui reproche des comportements, des attitudes, des décisions qu’il présente de facto comme absolument condamnables, avec la gravité des conséquences à mesure puisqu’il s’agit du président. En d’autres mots, il fait le portrait d’un homme prisonnier du Système, et amené à ces comportements, attitudes et décisions en dépit de ses qualités certaines, parce qu’il lui est impossible de procéder autrement en raison de cet emprisonnement. D’ailleurs, peut-être Gates en a-t-il autant à son propre service, et sa colère concerne-t-elle également son propre emprisonnement, sa propre incapacité à avoir réalisé ce qu’il aurait voulu réaliser. (On sait que Gates avait de vastes ambitions de réforme du Pentagone pour son service dans l’administration Obama [voir le 18 mars 2009] et qu’il a complètement échoué.)
Ainsi peut-on avancer l’hypothèse que se que dépeint Gates, c’est toute une structure, le système de l’américanisme si l’on veut, prisonnière d’elle-même, c’est-à-dire prisonnière du Système en un sens. Nous ignorons précisément ce que Gates dit à propos de sa propre position sur l’Afghanistan sinon les approbations du bout des lèvres de la stratégie poursuivie mais le fait est que, dans ces années-là, Gates lui-même n’était guère enthousiaste pour la guerre en Afghanistan, et finalement pas si loin de la position du président quant à la conviction. Il poussait à la roue parce qu’il espérait qu’on pourrait encore trouver une issue honorable et que, de toutes les façons, la bureaucratie militaire exerçait sa propre pression ; mais, sur la fin de son mandat, nombre de signes montrèrent qu’il avait perdu tout espoir à cet égard et qu’il jugeait qu’on aurait fait bien mieux de se passer de ce conflit. (Nombre de généraux n’étaient et ne sont pas loin de ce jugement, considérant le prix des efforts entrepris pour les résultats obtenus, – c’était notamment le cas de McChrystal, qui précéda Petraeus sur ce théâtre d’opération.)
Selon cette appréciation, les critiques que Gates adresse à Obama, tout en restant fondées sans aucun doute de son point de vue, se nuancent fondamentalement de cette réserve que tout ce qu’il reproche à Obama, il pourrait également se le reprocher s’il poussait son autocritique jusqu’à des considérations fondamentales. Ainsi son tableau revient-il effectivement à décrire un Washington complètement prisonnier du Système, avec ses principaux acteurs, ceux dont on pourrait espérer des changements salutaires, se heurtant à des impossibilités et à des impuissances qui alimentent d’une façon pathétique toutes les frustrations et toutes les colères. Finalement, il s’agit d’une situation où tout le monde est contraint de soutenir et de développer des stratégies et des politiques dont tout le monde constate chaque jour la vanité, le coût et finalement l’échec. Seul le Système est satisfait, bien entendu, puisqu’il domine tout et impose sa loi qui est celle du développement aveugle de sa dynamique de surpuissance.
L’épisode, – le contenu du livre tel qu’il nous est rapporté autant que les circonstances qui l’accompagnent, – devient alors une démarche générale qui nous instruit sans nul doute sur l’état de la situation à Washington. Il ne s’agit plus de tel ou tel dossier, telle ou telle guerre, telle ou telle bataille bureaucratique mais d’un climat général, prégnant, écrasant, – Washington devenu une prison du Système... Le programme surpuissance-autodestruction fonctionne à toutes vapeurs, Robert Gates en semi-dénonciateur du président devient un dénonciateur du Système qui s’ignore et effectue un parcours antiSystème sans faute. L’impression générale qu’on en retirera, déjà perceptible à son départ, est l’impossibilité pour quiconque de briser ce cercle vicieux, cette mainmise écrasante. Les paroles prophétiques de Donald Rumsfeld, “le jour d’avant” (voir le 11 septembre 2001) devraient résonner, si l’on s’en rappelle encore, tout au long des pensées et des jugements que cette intervention de Robert Gates fait naître :
«The topic today is an adversary that poses a threat, a serious threat, to the security of the United States of America. This adversary is one of the world's last bastions of central planning. It governs by dictating five-year plans. From a single capital, it attempts to impose its demands across time zones, continents, oceans and beyond. With brutal consistency, it stifles free thought and crushes new ideas. It disrupts the defense of the United States and places the lives of men and women in uniform at risk.
» Perhaps this adversary sounds like the former Soviet Union, but that enemy is gone: our foes are more subtle and implacable today. You may think I'm describing one of the last decrepit dictators of the world. But their day, too, is almost past, and they cannot match the strength and size of this adversary. The adversary's closer to home. It's the Pentagon bureaucracy. Not the people, but the processes. Not the civilians, but the systems. Not the men and women in uniform, but the uniformity of thought and action that we too often impose on them.»
Remplacez Pentagone par Washington et l’administration, élargissez le tableau, placez-y, au centre, le président des États-Unis dont vous décrivez toutes les faiblesses qu’on jugerait quasiment inévitables s’il refuse de se révolter comme on est en général conduit à faire, et tout est dit. Il s’agit bien du Système, et d’ailleurs le Pentagone c’est aussi le Système. Le rapport que nous en fait involontairement Robert Gates est que la crise du Système est bien en vitesse de croisière, et qu’elle n’épargne rien ni personne à Washington, – et nous-mêmes terminant par l'observation qu'elle n'épargnera même pas le Système lui-même.
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