L’ombre symbolique des Malouines-1982

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En mars prochain, nous fêterons (?) le trentième anniversaire de l’invasion des îles Malouines (Falkland), possession britannique, par l’Argentine. Les bruits se répandent, ainsi que quelques confidences, selon lesquels cette date symbolique pourrait bien être l’occasion d’un regain de tension à propos de cette affaire, voire pire pour certains. Pour les militaires britanniques, furieux de l’effondrement des capacités militaires du royaume, c’est l’occasion de dénoncer cette situation en affirmant que le Royaume-Uni serait aujourd’hui dans l’incapacité de renouveler son exploit de mars-juin 1982, lorsque les Malouines furent reprises par la force.

Le Telegraph du 28 janvier 2012 interroge l’ancien chef d’état-major des forces armées, le général Michael Jackson, à ce propos. Réputé “grande gueule”, Jackson ne dément pas cette réputation.

«In an interview with The Sunday Telegraph, the former head of the army, General Sir Michael Jackson, says defence cuts have made it "impossible" to win the islands back after a successful invasion, in the way the British task force did in 1982.

»"What if an Argentinian force was able to secure the Mount Pleasant airfield? Then our ability to recover the islands now would be just about impossible," says General Jackson, who was Chief of the General Staff until five years ago and led the army into Iraq. “We are not in a position to take air power by sea since the demise of the Harrier force.”

»Britain no longer has an aircraft carrier and the Harrier fleet which performed with such distinction during the Falklands War has been sold to the US Marine Corps. “Let us hope we do not live to regret that decision,” says General Jackson, responding to what he calls “disagreeable noises coming from Buenos Aires” as the 30th anniversary of the war approaches. President Cristina Fernandez de Kirchner has restated Argentina's claims to sovereignty over the islands it calls the Malvinas, saying, “We are going to get them back.” […]

Ces déclarations de Jackson sont évidemment contredites de source officielle britanniques, pour diverses raisons. La principale est que la garnison de l’île principale est aujourd’hui de 1.400 hommes au lieu de 100 en 1982, qu’il y a un aéroport stratégique qui peut accueillir des renforcements d’urgence. (On ajoutera, – mais est-ce un renforcement de la dissuasion ? – que le Prince Edward doit arriver sous peu dans l'archipel pour un tour d’opération, comme pilote d’un hélicoptère SeaKing.) Enfin, par le simple rapport de ce débat en cours, la possibilité d’une “surprise stratégique” n’existe plus, comme cela fut le cas en 1982, comme “un choc stratégique” complètement inattendu que rappelle Jackson.

«The original invasion was “a strategic Shock” that surprised defence chiefs, says General Jackson, who worked for the head of military intelligence in Whitehall during the Falklands War. “There was a small amount of intelligence – which was gold – from the British naval attache in Buenos Aires, who was clearly watching with great care, and no doubt listening to this and that conversation and he said, ‘Look, these people are up to something.’ Basically, that was discounted in London.”»

…Aussi n’est-ce pas sur le plan stratégique et opérationnel que nous commenterons cette information, non plus sur le plan de la “tactique bureaucratique” qui est de faire de telles sombres prévisions essentiellement pour mettre en évidence la catastrophique situation budgétaire des forces armées britanniques. Ce qui nous importe est, à nouveau, le domaine de la communication. Cette tension autour des Malouines a son importance, non pas à cause de la possibilité d’une attaque “par surprise” puisque toutes les personnes et les parties concernées ne parlent effectivement que de la possibilité de cette attaque (au contraire de 1982), mais exactement dans le fait d’en parler même si l’on sait que cette possibilité est complètement improbable. L’empire du système de la communication interdit, dans ce climat de crise générale où chacun cherche à compenser ses faiblesses structurelles par des effets de communication, aucun des deux acteurs de le céder à l’autre en fait de surenchère.

Le seul fait de l’évocation de l’anniversaire dans l’ambiance de crise générale qui affecte les relations internationales en entretenant constamment la tension entre le monde du bloc BAO (dont fait partie UK) et le reste (dont fait partie l’Argentine) conduit la présidente argentine Kirchner à rappeler la thèse de son pays, qui est à terme le droit de reconquérir l’archipel, pour resserrer les rangs de l’opinion publique. Le seul fait de l’affaiblissement dramatique des capacités militaires UK, à cause de la crise générale, conduit des Jackson à mettre en cause les capacités britanniques à défendre les Malouines, et les autorités en place à surestimer ces capacités et la justesse selon eux de la position de Londres. Les exigences argentines sont tout de même définies de cette façon assez brutale, qui n’est pas faite pour arranger la situation diplomatique puisqu’elle revient à traiter les Argentins de menteurs et d’imbéciles, par le gouverneur de l’archipel, Nigel Haywood : «Their claim is founded on a complete myth. Their arguments are getting louder and louder and weaker and weaker. They are saying some very stupid things.» Tout cela n’est que communication mais la communication est de plus en plus la condition de la puissance, et de plus en plus quand les autres attributs de la puissance (le technologisme sous la forme des capacités des forces armées) ne cessent de se réduire.

L’anniversaire lui-même (qui pourrait concerner toute une période de temps, entre l’attaque argentine initiale en mars et la fin de la reconquête, début juin) doit exacerber les deux positions antagonistes puisqu’il permet de glorifier la puissance nationale. Il est un motif de fierté pour les Britanniques, pour l’exploit stratégique accompli à l’époque par leurs forces (et qui serait impossible à renouveler aujourd’hui, à cause de l’absence de moyens) ; il ne l’est pas moins pour les Argentins, technologiquement inférieurs aux Britanniques mais dont les pilotes accomplirent durant cette campagne de 1982 certains des plus extraordinaires exploits de la guerre aérienne moderne grâce à leur courage et à leurs incroyables capacités et audaces de pilotage dans leurs attaques contre la flotte britannique.

Les deux pays vont donc commémorer ce souvenir, chacun avec des motifs de fierté nationale, donc d’autant plus de susceptibilités l’un par rapport à l’autre. Là aussi, la communication va nourrir la tension, dans un environnement de crise générale où le continent sud-américaine a de très fortes tendances à s’unir, à la fois au nom d’un passé d’humiliation et au nom de ses revendications présentes, contre le bloc BAO, et surtout le monde anglo-saxon et ses tendances constantes à l’impérialisme mercantiliste. (Se rappeler la fameuse conférence de presse commune Lula-Gordon Brown à Brasilia en mars 2009, en pleine première phase de la crise financière, – voir le 27 mars 2009, – où le président brésilien accusa “l’homme blanc aux yeux bleus” de la responsabilité de cette crise qui, déjà, frappait le monde entier : «In Brazil, Gordon Brown continued his pre-[G20] summit tour but there was embarrassment when his host, President Luiz Inacio Lula Da Silva, said the financial crisis was caused by “white people with blue eyes”. He told a joint press conference with Mr Brown that he had never met a black banker.») Le vieux souvenir des Malouines, s’il ne ressuscitera pas nécessairement une guerre, loin de là, fournit d’ores et déjà un foyer de tension de plus qu’il faut ajouter au bouillonnement de la crise générale dont l’un des axes est la rancœur grandissante et affichée du reste du monde contre les représentants et serviteurs privilégiés, et anglo-saxons, du Système. Le souvenir et la commémoration, comme le reste des activités internationales courantes, peuvent avoir, par la communication et le symbole, une dimension antiSystème bienvenue et vertueuse.


Mis en ligne le 30 janvier 2012 à 05H32