L’opportune visite de Sarko en Irak

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Parfois, le temps et la chronologie font bien les choses. Le président français Sarkozy se rend, en visite-surprise, en Irak, le 10 février. Flons-flons sous haute sécurité, embrassades et enthousiasme des discours, et serments d'une amitié sans fin, – disons, comme au temps de Chirac-Saddam? Voici un extrait de la chose, du Figaro du même 10 février:

«Le président Sarkozy a affirmé que “la France est aux côtés de l'Irak et salue ses efforts. Elle soutient son ancrage démocratique, sa réappropriation progressive de la souveraineté, sa réconciliation nationale et sa reconstruction”, a affirmé une source de la présidence française présente à Bagdad.

»“Nous souhaitons collaborer sur le plan économique, en matière d'énergie, de reconstruction. Nous pouvons vous aider à former vos élites, [...] nous pouvons vous aider s'agissant des forces de police et de sécurité, nous pouvons collaborer, former et équiper aussi l'armée irakienne”, a-t-il poursuivi. “Et nous pouvons également vous aider sur le plan diplomatique”, a-t-il encore dit. “Notre appui sera constant et sans ingérence”.»

C’est la première visite du chef d’Etat d’un pays non-membre de la coalition en Irak, depuis 2003. Certains commentaires, saisis au vol d’une émission d’actualité sur un JT hexagonal, parlait d’un “geste de réconciliation” pour les USA. C’est la preuve qu’un commentaire d’actualité, actionné selon les automatismes habituels des journalistes assermentés mais pas plus vifs pour autant, peut se référer aussi bien à la fiction qu’à l’histoire revue et corrigée en prétendant nous annoncer du neuf.

Le même jour où le président français nous surprenait à sa façon, le Premier ministre irakien nous surprenait à peine, lui, en envoyait de vertes et de pas mûres à ses “amis américains”. Entre Maliki (Irak) et Karzaï (Afghanistan), les conquêtes américanistes ont le don d’accoucher de marionnettes extrêmement roboratives et jubilatoires.

Dixit Maliki, selon le site arabe The News.com du 11 février, en réponse à de fines remarques du vice-président Joe Biden expliquant qu’il faudrait que les USA se montrent “plus agressifs” en poussant les réformes évidemment démocratiques, – réponse du type : “Eh, les gars, vous n’êtes plus chez vous…”

«Iraqi Prime Minister Nuri al-Maliki said on Tuesday that “the era of US dominance is over”, in a broadside to Washington almost six years after the invasion that ousted Saddam Hussein. The premier, boosted by the strong showing by his allies in provincial elections, said Iraq was now taking charge of its own destiny and was making good progress toward rebuilding the war-torn country.»

Puis, en réponse précisément à ces remarques de Biden, que citait un journaliste, Maliki à nouveau: «“The time for putting pressure on Iraq is over,” Maliki told reporters, asked about Biden’s comments. “The Iraqi government knows what are its responsibilities. We are carrying out reform and we are in the last step of the reconciliation.”»

C’est de ce point de vue qu’il faut se placer, pour avoir l’esprit amusé et le jugement peut-être édifié, lorsqu’on relit les déclarations de Sarkozy en Irak, notamment celle où il dit (souligné en gras par nous): «Notre appui sera constant et sans ingérence.» Il est difficile de n’y pas voir une allusion, que nous jugeons absolument involontaire (cela écrit presque sans rire, disons à 90% sans rire). Le sens de la phrase est confirmé implicitement mais sans intention de nuire par une remarque du Figaro, présentant le reste du voyage de Sarko dans la région, – toujours avec le passage intéressant souligné en gras par nous: «Cette visite [en Irak] du président intervient juste après les élections provinciales du 31 janvier. Le chef de l'Etat se rendra ensuite à Oman, au Bahreïn et dans le Koweït. Elle vise à renforcer la position de la France dans cette région, où l'influence américaine est très forte

Sarkozy, toujours enthousiaste pour ses “amis américains” et pour le Dream qui va avec, continue allégrement à témoigner de cette franche et loyale amitié en pratiquant une concurrence franche et loyale, – tout cela, amitié et concurrence, sans la moindre dissimulation. Il y a deux ans, le voyage en Irak (c’était presque le temps de la visite boiteuse de Kouchner, qui veille à ses intérêts) aurait paru proche d’un acte d’allégeance, – aux amis américanistes, pas aux Irakiens, – aujourd’hui il ressemble plutôt à l’ouverture de la chasse aux amitiés, fructueuses ou pas, sur un territoire de plus en plus exaspéré par les restes de la présence US; et le reste de la tournée se présentant selon la même ligne. Le président français, fascinés par l’éclat et la notoriété de ses propres déplacements comme le papillon par son vol le long des rayons de l’ampoule éclairée, nous enseigne involontairement que l’éclat et la notoriété sont aujourd’hui conditionnés à une attitude de concurrence critique, et parfois antagoniste, de l’influence des USA. Ainsi soit-il du pro-américanisme libéral et réformiste.


Mis en ligne le 11 février 2009 à 12H38