L’option BAE de Blair, — ou le suicide technologique d’une nation

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L’option BAE de Blair, — ou le suicide technologique d’une nation


14 juillet 2003 —Blair a l’intention ferme et définitive d’exiger, et d’obtenir éventuellement, un comportement responsable des Américains en matière de transfert de technologies. C’est ce que Blair doit dire à GW Bush. Un article très court, en date du 12 juillet, du Financial Times/New York Times fait un point approximatif sur cette question. (Nous revenons sur cet article après l’avoir déjà cité hier, dans notre présentation générale du voyage de Blair.) Nous le publions ci-dessous pour pouvoir mieux présenter les observations qu’il appelle, qui vont plus loin, finalement, que de simples observations sur une situation bilatérale courante. (L’article, de Dan Roberts et Peter Spiegel à Londres, est intitulé : « Blair to ask US to share defence technology »).


« Tony Blair, the UK prime minister, is to ask President George W. Bush next week for the US to share more sensitive defence technology — as a precursor to talks on the possible American purchase of Britain's largest arms maker. Mr Blair is visiting Washington on Thursday for talks expected to include a “shopping list” of requests aimed at fostering closer security co-operation.

» The issue of technology transfer is central to growing attempts to find a US partner for BAE Systems, formerly British Aerospace. BAE believes it needs to be part of one of the big five US defence contractors to close the rapidly growing gap between UK and US military technology.

» The argument is understood to be winning support within the premier's office in Downing Street, which has veto over any sale, so long as the Americans guaranteed that British factories would have full access to the latest research. “Technology transfer is likely to be on the agenda next week,” said one government insider. “If we are going to be fighting side by side, it is in US interests to make sure Britain has access to the same equipment. But we don't think it is in the UK's interest for BAE to be linked up if our factories will simply end up doing the metal-bashing.”

» Sir Richard Evans, BAE's chairman, recently warned that Britain's air force might have to cede control over crucial modifications to its new generation of F-35 fighters because Lockheed Martin, BAE's US partner on the project, was refusing to share vital source codes for the control software. Frustration at such restrictions has driven BAE to seek bids from potential US partners and begin convincing Downing Street to countenance the sale of a national champion.

» Treasury officials are understood to be relaxed about the plan, believing foreign ownership would make it easier to negotiate cheaper procurement contracts on a level playing field. »


Cet article vaut effectivement quelques commentaires. Il indique que non seulement l’argument de BAE, en faveur d’une fusion de BAE avec une société US, « is understood to be winning support within the premier's office in Downing Street », mais, plus encore, que BAE est en train de manipuler directement le Premier ministre britannique à son avantage. (Encore peut-on se demander s’il y a manipulation ou complicité à cet égard ?) L’argument est un mélange d’impératifs techniques qui sont complètement sans fondement, et d’arguments politiques qui renvoient directement à la schizophrénie de Tony Blair à propos de l’alliance avec les USA.

Les Britanniques, notamment à travers le cas du programme JSF/F-35, “découvrent” chaque jour un peu plus que les transferts de technologies US vers eux sont inexistants. On a vu les avertissements à ce sujet, notamment de sir Richard Evans, président de BAE. C’est alors que BAE se tourne vers le gouvernement et lui dit : « BAE believes it needs to be part of one of the big five US defence contractors to close the rapidly growing gap between UK and US military technology. »

Cette phrase est un amalgame de réalité et d’une inexactitude qui touche au mensonge délibéré. La réalité dans cette phrase, c’est ce qu’on commence à énoncer, sans terminer : si BAE veut profiter des transferts de technologies US, il faut qu’il fusionne avec une société US, — i.e., qu’il devienne US lui-même, car c’est bien ce qui va se passer. L’inexactitude, ou mensonge en langage populaire, se trouve dans cette phrase de pure propagande : « the rapidly growing gap between UK and US military technology » (à moins que BAE parle pour lui-même ?). Le “technological gap” en pleine expansion, entre UK (l’Europe par extension) et les USA, est une sornette. Exemple récent, sans doute connu de BAE : lorsqu’un pays comme les USA se dit intéressé par le Storm Shadow, missile de croisière européen, jusqu’à envisager de l’acheter, c’est qu’il n’y a pas de fossé technologique au profit des USA entre les USA et l’Europe. (Produire un tel missile de croisière implique une base technologique aux capacités générales à mesure de ce système. Le Pentagone, qui a vu le Storm Shadow européen en action en Irak, avec la RAF, reconnaît la supériorité du missile européen sur ses propres cruise missiles.) S’il y a un fossé entre USA et Europe (UK), c’est un “fossé budgétaire”, entre le budget-gaspillage titanesque du Pentagone et la situation européenne. Ce qui intéresse BAE, et ses actionnaires évidemment, c’est plus de contrats et plus d’argent, et c’est au Pentagone qu’on le trouve. La technologie est une question secondaire pour BAE.

La proposition implicite de BAE revient donc à cette double réalité :

• L’argumentation de BAE est en fait financière et économique, et nullement technologique.

• Si BAE fusionne avec un conglomérat américain, la question de la technologie sera résolue par l’absurde. BAE devient complètement US, a accès à toutes les technologies mais doit respecter les mêmes restrictions officielles US pour le transfert des technologies.

Sur ce dernier point, Philip Chaston, commentateur conservateur du site Electric Review, fait quelques remarques, où il met en évidence implicitement cette situation étrange où il semble bien que les fonctionnaires britanniques soient de plus en plus occupés à se convaincre de l’existence de situations qui n’existent pas (on retrouve une atmosphère similaire à celle que décrit Charles Grant pour le cas du Foreign Office) :


« Boeing is planning to merge with BAE in the same way as I merged with a takeaway Chinese meal last night. BAE would be inside the belly of the giant US beast. It would be acquired, subsumed, taken over, devoured.

» Intriguingly, when I talk to ministers and government officials about this potential risk, they seem unperturbed. How so? Well the imperative, they think, is to secure access for BAE to US technology, which is far and away the best in the world. And, slightly to my surprise, they seem to believe that the US government will not prohibit the transfer of such valuable and sensitive knowhow. »


Le dernier argument des Britanniques pour avoir accès à la technologie US, et donc contrôler leur propre production de systèmes d’arme, c’est qu’ils doivent pouvoir le faire pour mieux opérer avec les Américains. L’on sait d’autre part (voir notamment ce qu’en dit Mongrot) que l’évolution militaire britannique à cet égard va être de s’orienter vers une quasi-intégration de facto dans les structures US. Le résultat probable, après quelque délai de décence, sera l’acquisition de matériel US produit par Lockheed Martin (BAE), ou Boeing (BAE), pour le contingent britannique de l’U.S. Army.

Nous parlons de “suicide technologique d’une nation”, ce qui suppose qu’il y a encore une nation. On peut commencer à s’interroger à ce propos, à propos du Royaume-Uni dans la voie suivie actuellement. Selon la réponse la plus probable, c’est alors, certainement, que Tony Blair aura, comme il le désire, sa place assurée dans l’histoire.


... Peut-on dire pour autant qu’ils (Britanniques et Américains) sont complètement intégrés les uns aux autres jusqu’à la non-existence des Britanniques ?

Peut-on dire pour autant que le complot des partisans de l’américanisation du Royaume-Uni est en train de l’emporter ? A côté de l’évidente réponse positive que suggèrent BAE et compagnie, il y a d’autres situations qui suggèrent des réserves sérieuses, y compris sur le fait qu’il y ait complot, — c’est alors plutôt l’hypothèse d’un immense désordre qui doit être explorée. Que penser du climat existant entre les services de renseignement britanniques et américains ? Il suffit de lire l’article du Guardian de ce jour pour être fixé. Ci-dessous, extraits choisis, — nous conduisant à la conclusion qu’aujourd’hui, le bateau anglo-américain est un bateau ivre.


« Relations between British and American intelligence agencies, a central pivot of “the special relationship”, are in disarray over disputed claims about Iraq's attempts to procure weapons of mass destruction. In a dispute with serious political repercussions for Tony Blair and George Bush, the CIA and MI6 have made it clear that they do not believe each other's intelligence, notably about a claim that Iraq was trying to obtain uranium from the west African state of Niger for nuclear weapons.

» While George Tenet, the CIA's director, is expressing doubts about the claim, MI6 is adamant it is accurate. Documents claiming that Iraq was seeking uranium from Niger have turned out to be forgeries. But British intelligence sources said yesterday that MI6 had separate information to back the claim. MI6 was provided the information by a third party which insisted neither the source nor the intelligence could be passed on.

» “Certain protocols have to be observed,” an intelligence official said yesterday. He added that if Britain failed to respect such protocols, sources would refuse to provide MI6 with intelligence again.

» Whitehall officials suggested yesterday that the claims came from a “close ally” but one which did not want Britain to give it to the US as a further pretext for war. It is extremely rare for Britain not to pass on intelligence to the US, even more so when it refers to a common enemy, in this case, Iraq.

» In the past, the CIA's station chief in London has had close links with Whitehall's joint intelligence committee, the body which compiled the government's controversial September dossier. »