L’OTAN comme “carcasse pourrie”

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Le général canadien Rick Hillier, qui a commandé le contingent canadien en Afghanistan, fut également commandant de l’ISAF (désignant les forces alliées en Afghanistan, sous contrôle de l’OTAN depuis 2003) de février à août 2004. Il vient d’écrire un livre qui sera publié la semaine prochaine : A Soldier First: Bullets, Bureaucrats and the Politics of War. Ci-après, quelques phrases et jugements extraits de ce livre, qui présente l’OTAN en général comme une créature type-Frankenstein et comme une “carcasse pourrie” – entre autres formule d’identification de la chose.

• Dès les débuts de son engagement en Afghanistan, «NATO was dominated by jealousies and small, vicious political battles and bemoaned its lack of cohesion, clarity and professionalism».

• «Afghanistan has revealed that NATO has reached the stage where it is a corpse decomposing and somebody's going to have to perform a Frankenstein-like life-giving act by breathing some lifesaving air through those rotten lips into those putrescent lungs or the alliance will be done…»

• «Any major setback in Afghanistan will see it off to the cleaners, and unless the alliance can snatch victory out of feeble efforts, it's not going to be long in existence in its present form.»

• «It was more important within the alliance that every nation get to build up its fiefdom than it was to put together a solid team for a successful mission. Some nations were meticulous about selecting the best people for the job ... many did not, and some of my headquarters officers didn't show up at all.»

• «When NATO took over control of ISAF in 2003, it had no strategy, no clear articulation of what they wanted to achieve ... it was abysmal. […] NATO had started down a road that destroyed much of its credibility and in the end eroded support for the mission in every nation in the alliance. Sadly, years later, the situation remains unchanged.»

…Oops! Et maintenant, quelques commentaires tout de même, après ceux du général Hillier, homme d’expérience, connaisseur de l’OTAN elle-même et de la guerre en Afghanistan.

@PAYANT …Quelques commentaires, qui commenceront pas la question : qui pourrait s’étonner de tels commentaires? (A part ce seul motif d’étonnement que, dans cet univers d’un conformisme aussi uniforme que le désert de Gobi, un officier général puisse avoir l’audace – qui, en d’autres temps, ressortirait du devoir de la dignité et de la loyauté à l’égard du bien public – de publier un livre effectivement assorti de tous ces commentaires.) Tout, absolument tout ce que Hillier énonce et dénonce devrait se voir comme le nez au milieu du visage dans l’OTAN “en guerre” en Afghanistan, pour qui sait simplement poser un regard sur la chose.

L’Afghanistan est, littéralement, une guerre incompréhensible, sorti des salons people et des commentaires de Bernard-Henri Lévy où l’on vous explique la chose avec emphase et certitude. Cette guerre n’a ni sens, ni but, ni tactique, ni stratégie, elle est le reflet du nihilisme et de la bêtise qui dévorent l’Occident postmoderniste comme un incendie grondant. La plupart des pays qui s’y trouvent ont “choisi” de s’y engager pour complaire au principal d’entre eux, dito les USA. Quant aux USA eux-mêmes, ils sont en Afghanistan conformément aux absurdités utopiques, irréfléchies et grotesques de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”. Chaque pays se bat en prenant le minimum de risque, en bannissant toute réelle solidarité et en se foutant absolument de la moindre coordination, simplement dans le but d’éviter autant que faire se peut des pertes qui pourraient rappeler à son peuple qu’il y a une guerre en Afghanistan, que cette guerre est impopulaire et que nul ne sait à quoi elle sert, et par conséquent réduire d’autant la popularité du gouvernements auprès de ce peuple. L’Afghanistan montre bien que si l’OTAN est une machine de guerre américaniste, au service du système de l’américanisme, elle est totalement inefficace et auto-destructrice – mais, là aussi, comme le système lui-même – dans tout cela, au moins, triomphe une certaine logique.

Dans ces conditions, toute tactique est impossible à appliquer, pour une stratégie que personne ne peut déterminer. (Quand aux grands desseins géostratégiques et autre “Grand Jeu” qui se cacheraient derrière la présence de l’OTAN en Afghanistan, il faudrait que quelqu’un dans ses bureaucraties foisonnantes et ses réunions d’experts chics sache encore ce que tous ces termes signifient.) On ne peut faire une guerre qui, littéralement, selon la raison politique et la logique militaire, n’existe pas. De ce point de vue, l’Afghanistan se révèle comme n’ayant une seule fonction, celle d’être effectivement le plus formidable abcès de fixation qu’une alliance militaire se soit jamais imposée à elle-même, et l’OTAN est effectivement en train d’y perdre ce qui lui reste de substance, éventuellement sous le regard goguenard des Russes qui s’empressent de laisser passer par leur territoire tout le matériel de soutien logistique et de renforcement dont a besoin l’OTAN pour s’enfoncer encore plus dans ce bourbier. Le problème de l’Afghanistan n’est donc pas tant de savoir si et quand les talibans et tous ceux qui se battent en même temps qu’eux l’emporteront, mais combien de temps l’apparence de cohésion de l’Alliance continuera. L’année 2011 (départ prévu et fermement décidé, notamment, des contingents canadien et hollandais) sera intéressante pour cela.

Mais allons encore plus loin dans nos propositions… L’Afghanistan est peut-être la démonstration que le concept de guerre est en train de disparaître au profit d’autre chose encore à déterminer, du moins dans le chef des puissances occidentalistes prétendument dominantes dans le domaine de la puissance militaire. Les conditions opérationnelles chaotiques pour des armées conventionnelles et l’absence d’ “ennemis” réels (sauf ceux qui sont créés par les interventions) y sont pour beaucoup. D’autre part, et surtout, selon les commentaires du général Hallier, une cause centrale en est que les directions politiques ont atteint un tel niveau de conformisme, d’intoxication par la communication, de réduction de la politique aux événements quotidiens les plus triviaux, d’incapacité d’apprécier une situation pour ce qu’elle est dans son ampleur et d’en juger, que les seules interventions guerrières qu’elles sont capables de décider le sont pour des motifs tels, de conformisme et d’aveuglement sur les situations, qu’elles débouchent sur des conflits absurdes qu’il est impossible de mener à bien en tout état de cause. Par nature, l’Occident décadent ne sait plus ce qu’est une guerre, non par pacifisme mais par bêtise, et fait par conséquent des guerres “fausses” qui sont destinées à se terminer en désastre.

Le témoignage du général Hillier, furieux comme seul un général canadien peut l’être (certaines fureurs de généraux canadiens affectés aux troubles en ex-Yougoslavie durant les années 1990, comme le général Fitzpatrick, sont restées fameuses), est donc d’un apport précieux. Il a l ‘avantage de juger avec fureur et justesse, ou disons avec une juste fureur, d’une situation générale qui concerne l’OTAN et l’Occident en tant que tels. Même si l’on n’en parle pas trop à haute voix, ce bouquin va contribuer à semer un trouble sérieux dans les capitales occidentalistes et à l’OTAN. On n'osera pas en parler à haute voix et on le dévorera sous le manteau, en baissant les yeux.


Mis en ligne le 21 octobre 2009 à 13H29