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30 avril 2006 — Du temps où la fable de l’Amérique unilatéraliste avait cours, Richard Perle avait brillamment montré (le 28 novembre 2002) qu’il n’en était rien. Il proposait de transformer l’OTAN en une vaste “ONU de la sécurité”. La chose n’attira guère l’attention et l’on eut bien tort. Il est bien possible que nous soyons aujourd’hui en marche vers cette OTAN-là.
Revigorés par leur incontestable et brillantissime triomphe irakien, dont les effets peuvent être chaque jour mesurés, les néo-conservateurs continuent à conduire le bal malgré leur disgrâce régulièrement annoncée. La raison en est bien simple: il n’y a aucune autre pensée disponible aux États-Unis. On fait donc avec, et avec enthousiasme après tout puisqu’il s’agit, au bout du compte, d’en découdre.
Les néo-conservateurs n’ont jamais cessé d’être multilatéralistes. Le multilatéralisme américain implique la présence, voire la consultation de tous, pour que tous puissent, au bout du compte, obtempérer aux consignes de Washington. L’unilatéralisme complique les choses : il faut voir les ambassadeurs les uns après les autres, pour leur donner les consignes ; avec le multilatéralisme, une réunion suffit : tout le monde écoute et obtempère.
Quelques pions essentiels sont en place. Nous avons imaginé que l’attaque contre l’Iran, si elle a lieu, prendrait sans doute le chemin IAEA-ONU, puis attaque US. Pourquoi n’envisagerait-on pas : IAEA-ONU, puis OTAN? (Puis attaque US, cela va sans dire.) Les “neocons” ont leurs “hommes” en place : Bolton à l’ONU, Victoria Nuland à l’OTAN (ambassadrice US à l’OTAN).
(Victoria Nuland est fort brillante, disent ceux qui l’ont rencontrée en séance ; autoritaire, précise, habile. Elle vient de l’état-major de Cheney et elle est l’épouse du gros Robert Kagan, auteur de la thèse “Mars & Venus” et néo-conservateur pompeux et notoire. Bref, on ne sort pas de la famille, même si on est à Bruxelles.)
Aujourd’hui, à la lumière des propositions du sénateur Warner, mentionnées par ailleurs, dans un autre F&C ce même jour, le propos initial (de novembre 2002) de Richard Perle pourrait se trouver éclairé. Il ne s’agit que d’une prémisse, ou de ce qui n’est encore qu’une hypothèse, mais le passage par l’OTAN pour globaliser l’attaque contre l’Iran et regrouper les alliés pourrait sembler une bonne piste pour les Américains.
L’appréciation générale courante est effectivement que les USA prendraient en charge l’attaque, seuls ou avec l’un ou l’autre “allié privilégié” (Israël, voire le Royaume-Uni, sont cités). On devine d’ores et déjà que les autres, — et d’ailleurs, peut-être même les Britanniques semble-t-il, — seront plus que réticents. Un appel à l’OTAN à prendre en charge le problème pourrait conduire à la résolution de cet autre problème du regroupement (un peu forcé) autour des USA. Comme Warner présente la chose, cela ne fait pas un pli : « [A] nuclear-armed Iran represents “the greatest threat” to NATO allies [and] Sen. John Warner, R-Va., called on the alliance to surround Iran with “a ring of deterrence” aimed at preventing the importation or eventual export of materials associated with Tehran’s nuclear weapon drive. “Iran is a very relevant subject for NATO, and I challenge the organization and its professional staff to embrace this mission”... »
On comprend que l’intérêt de la proposition de Warner n’en est pas au premier chef le contenu (organiser un blocus agressif, militaire, frisant le déploiement provocateur et faisant marcher encore un peu mieux l’industrie d’armement US) mais bien son caractère de type jurisprudence, — si cette sorte de précaution juridique a encore un sens. A partir du moment où l’OTAN est impliquée une fois, cet engagement pour d’autres missions devient quelque chose qui va de soi.
Cela observé, le contenu de la proposition Warner n’en est pas moins intéressant parce qu’il peut servir de base à des actions futures, par exemple si l’Iran se montrait agacé par l’encerclement de l’OTAN ou s’il s’avérait que le blocus n’est pas aussi impénétrable qu’il prétend l’être. Cette sorte d’événement regrettable se bricole aisément. A partir de là, l’hypothèse de l’attaque devient presque du business as usual.
Quoi qu’il en soit, l’essentiel qu’il faut retenir de l’intervention de John Warner est qu’elle ouvre effectivement le front de l’OTAN dans la crise iranienne. Lors de la crise irakienne, l’OTAN avait été proclamée comme devant être tenue complètement en dehors de la crise (principe de la coalition “of the willings”) ; elle y avait été tout de même impliquée par le biais de la question du soutien ou non à la Turquie en cas d’“attaque” irakienne, faux-nez classique manié par Washington pour forcer tous les alliés de l’OTAN à suivre les USA. Cela avait conduit à une crise majeure dans l’Alliance, en janvier-février 2003. La France, la Belgique et l’Allemagne refusèrent de suivre les consignes.
Cette fois, les Américains n’ont plus de ces dédains apparents pour l’OTAN. Au contraire, ils ne parlent que de l’OTAN “globalisée”. Le secrétariat général de l’OTAN se débat avec cette notion dont il sait qu’elle terrorise nombre de membres. La rencontre des ministres des affaires étrangères des pays membres, le 28 avril à Sofia, a montré des réticences extrêmes.
• L’agence AFP notait, le 27 avril, à la veille de la réunion : « Some NATO members are cautious about a soft pseudo-expansion of the Alliance into the Asian region. ”We’re talking about what? The Pacific, Taiwan? ... That risks upsetting China and Russia,” one diplomat told AFP. ”If it’s about creating a global club meant to solve all the world’s problems, the Europeans are wary,” another said. »
• Un texte de Defense News observait après la réunion : « NATO Secretary-General Jaap de Hoop Scheffer, who next week will receive Japanese Foreign Minister Taro Aso at alliance headquarters in Brussels, denied there was any plan to turn NATO into a global alliance. “NATO does not want to turn itself into a global gendarme,” he told a news conference in Sofia, insisting the plan was not to extend the pledge of NATO’s 26 alliance members to defend each other in the event of an attack. »
Déjà, en janvier-février, lorsque les Américains avaient lancé leur idée d’OTAN “globalisée”, des inquiétudes étaient apparues. (Sauf chez l’un ou l’autre écervelé. Un Premier ministre d’un petit pays européen notablement opposé à toute idée d’affirmation de l’OTAN, avait rencontré Bush qui lui avait parlé du “truc”. Le PM, séduit par le qualificatif de “globalisé” autant que par la dialectique bushiste, avait approuvé avec enthousiasme, ce qui avait contribué à convaincre les Américains qu’ils n’auraient aucune difficulté en général avec les membres de l’OTAN. Le ministère des affaires étrangères de ce PM avait donc dû longuement travailler pour faire comprendre aux Américains qu’il y avait erreur sur la réaction.)
Début février, le ministre britannique de la défense John Reid observait : « “Nato today faces greater threats to its long term future than it ever did at the height of the Cold War. [... Nato is not guaranteed to] survive and prosper as the cornerstone of the collective security we need. »
L’historien Gabriel Kolko notait, le 17 mars, à propos de la poussée US vers la globalisation de l’OTAN : « American objectives – beyond fighting a war on ‘terror’ – are inherently indefinable as to length and location but certain to be very ambitious. Fear is the adhesive that creates alliances and keeps them together, and the fear of Communism and the USSR that led to NATO’s creation has been replaced by the fear of Muslim fundamentalism, terrorism, and the like. But just as the dangers of Communism proved illusory, so too will American threats of universal terror and chaos also prove to be a myth. The problem is what the US will do before its allies grow tired of its paranoid politics.... (...)
» ... we are at the beginning, not the end, of a profound crisis in the US’ relations with NATO. European nations may now articulate a political identity that is both in their national interests and conforms to their values – the very thing that the US hoped NATO would prevent from occurring when it created it over a half-century ago. The Bush Administration may very well compel them to become more independent. That is to be welcomed. »
A la lumière des propositions Warner et des perspectives de la crise iranienne, la question qui se dessine est de savoir si l’Iran ne serait pas le premier test en grandeur nature de l’OTAN “globalisée”. Si c’est le cas, la crise de l’OTAN qui ne manquerait pas d’éclater pourrait s’avérer encore plus explosive que celle de l’Iran. Comme dit Kolko : « That is to be welcomed. »
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