L’OTAN, Rogozine et l’initiative Medvedev

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 526

On note avec un grand intérêt les termes employés par Rogozine, le délégué permanent de la Russie auprès de l’OTAN, lors d’une visite qu’il a rendue (hier) au président Medvedev, à propos de l’“initiative Medvedev” et de l’attitude de l’OTAN vis-à-vis d’elle. La courte dépêche de Novosti à cet égard, datée d’hier soir, est suffisamment explicite; il suffit effectivement de constater le ton et l’insistance de Rogozine pour conclure qu’il y a aujourd’hui une agitation très révélatrice autour de cette question, c’est–à-dire la question générale de la sécurité européenne.

«L'Alliance de l'Atlantique Nord s'intéresse sérieusement à l'initiative russe sur un nouvel accord de sécurité européenne, a indiqué jeudi le délégué permanent de la Russie auprès de l'OTAN lors d'une rencontre au Kremlin avec le président russe Dmitri Medvedev. “L'initiative émise par vous pour conclure un nouvel accord juridiquement contraignant sur la sécurité européenne suscite un grand intérêt”, a dit M.Rogozine.

»“Dans un certain sens, les délégations des pays membres travaillant au QG de l'Alliance considèrent cette initiative comme une nouvelle philosophie des relations entre les Etats dans les conditions où le monde a radicalement changé depuis la dernière rencontre de ce genre en 1975”, a poursuivi l'ambassadeur russe auprès de l'OTAN. Et d'ajouter que tout indique que l'OTAN craint de perdre son rôle dans le monde à l'issue de la mise en application de cette initiative, mais ne peut dire rien contre elle. “A chacune de nos rencontres avec le secrétaire général (de l'OTAN) et mes collègues – les délégués permanents – il s'agit de cette initiative”, a souligné M.Rogozine.»

Cette insistance roborative de Rogozine à propos de ses rapports avec l’OTAN, concernant la proposition Medvedev qui constitue l’axe central de la politique de sécurité russe en Europe, est confirmée par certains compte-rendus de la conférence Wehrkunde de Munich, où l’accent est mis sur cette problématique plus que sur les interventions américaines à cette conférence. Manifestement, la perception russe est que l’heure de cette proposition et, plus généralement, d’un arrangement général de la sécurité européenne, est venue. Une dépêche, de Novosti également, du 9 février, qui présentait une synthèse de la conférence, notait après avoir passé en revue les interventions US dans un sens optimiste (du point de vue russe):

«La création d'une nouvelle structure de la sécurité européenne a constitué le thème principal de la conférence de Munich. Bien que les participants aient été unanimes à reconnaître le caractère universel de cette conception, leurs avis se sont néanmoins partagés quant au rôle de la Russie dans sa mise au point et son application. […]

»La plupart des représentants européens sont tombés d'accord que la sécurité sur le continent était inconcevable sans la participation de Moscou. “Le président Dmitri Medvedev a formulé une série de propositions. Je tiens à souligner qu'elles reposent sur des idées qui méritent d'être prises au sérieux”, a déclaré le Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana. La chancelière allemande Angela Merkel estime, pour sa part, que la Russie doit faire partie du système de sécurité européenne. De son côté, le premier ministre polonais Donald Tusk a fait comprendre qu'il s'opposait à l'initiative du président russe.»

Tout cela doit également être considéré à la lumière de la prise de position commune Merkel-Sarkozy du 3 février, où une large place est faite à une hypothèse de nouvelle architecture européenne de sécurité. Ces divers pays, – essentiellement l’Allemagne, la France et la Russie, – sont diversement intéressés, ou disons à titres divers, mais sans aucun doute très intéressés, par la perspective d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Il n’est pas sûr que les uns et les autres aient rencontré chez les Américains (à Munich, notamment) des positions fermes et arrêtées, – notamment, et certainement pas, dans un sens négatif et restrictif, comme du temps de l’administration GW Bush. Croire qu’il n’existe pas à ce propos de changement de position des USA, c’est s’en tenir à l’observation d’un cadre bien restreint et aux apparences des formules convenues. La réalité semble bien être que tout l’appareil de sécurité nationale des USA est décentré vers des préoccupations qui sont désormais polarisées par un centre bouillonnant, qui est la crise, aux USA et dans ses conséquences générales de désordre.

De ce point de vue, on pourrait estimer que le document annuel des agences de renseignement US qui fait de la crise financière et économiques, et ses conséquences diverses, la principale menace contre les USA, implique une position plus que réservée et archi-prudente des USA vis-à-vis de divers potentiels de déstabilisation, et notamment vis-à-vis de la situation européenne; c’est-à-dire que cette “politique” de l’administration Obama impliquerait un complet renversement de posture par rapport à l’administration GW Bush, de l’offensif au défensif. Dans ce cadre, on comprend que les acteurs européens ou évoluant en Europe (y compris l’OTAN, selon les dires de Rogozine), veuillent explorer un concept d’architecture de sécurité européenne qui constituerait effectivement un cadre fixateur des tensions selon un arrangement acceptable pour tous. La phrase de Rogozine, à première vue sibylline, peut recevoir un éclairage logique à cette lumière, puisqu’alors la recherche d’un nouvel arrangement de sécurité deviendrait une nécessité pour tous, y compris pour l’OTAN, malgré ce qu’il lui en coûte: en substance, «tout indique que l'OTAN craint de perdre son rôle dans le monde à l'issue de la mise en application de cette initiative, mais ne peut dire rien contre elle».


Mis en ligne le 13 février 2009 à 18H06