L’OTAN tonne creux

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’OTAN tonne creux

27 février 2024 (17H00) – Ces derniers temps, divers événements de divers horizons ont obscurci les discours des communicants : la chute d’Adeyevka et l’offensive qui s’ensuit, le retentissement de l’“interview métahistorique”, l’historique vague d’enthousiasme qui porte Donald Trump, et d’autres événements de moindre importance, et d’autres encore. On sent bien que l’Ukraine craque de partout et que Zelenski n’est que l’ombre pâle de lui-même, et sa courte barbe bien dans la mode des élites occidentales est devenue celle du type mal rasé des matins de banlieues.

Ceci est curieux à relever, que la seule parole assez sage de ces heures courantes est venue d’un des dirigeants européens, un membre de cette junte infâme et illégitime dénoncée comme totalitaire, incompétente et usurpatrice. Josep Borrell , qui sent la retraite arriver, paraît comme s’il devait prendre ses distances du simulacre général. Lui, au moins, voit large, et ne s’en tient pas aux considérations sur la ligne de front ukrainienne qui, bien, entendu,  ne cesse de reculer. Alors, il écrit sur son site, son ‘blog’, comme l’on dit :

« Si les tensions géopolitiques mondiales actuelles continuent d'évoluer dans le sens de “l’Occident contre le reste”, l'avenir de l'Europe risque d'être sombre. L’ère de la domination occidentale est en effet définitivement terminée. Même si cela a été théoriquement compris, nous n'avons pas toujours tiré toutes les conclusions pratiques de cette nouvelle réalité”. Selon lui, l'opération militaire spéciale en Ukraine et le conflit à Gaza ont “considérablement accru ce risque” d'affrontement entre l'Occident global et le Sud global, déjà “observé au Sahel et ailleurs en Afrique”.

» Il souligne que de nombreux pays du Sud accusent l’Occident de “deux poids, deux mesures”. Borrell considère ce fait comme injuste et en accuse la Russie et sa propagande.

» “La Russie a réussi à profiter de la situation”, estime-t-il. “Nous devons revenir sur ce discours, mais aussi aborder cette question pas seulement avec des mots : dans les mois à venir, nous devons faire un effort massif pour regagner la confiance de nos partenaires. »

Réunion à Paris

Et puis il y a cette réunion à Paris, d’hier ; une réunion de remobilisation avec des participants sûrs et invités en nombre insaisissable, d’autres présents mais présentés plutôt comme observateurs assez sympas, – dont les USA et le Royaume-Uni. Ainsi, par exemple, ‘Le Point’ nous assure qu’il y dix-sept pays invités (précipitez-vous pour connaître les heureux élus si vous y parvenez) et il ajoute, comme si l’on parlait d’une seconde classe qui ferait un peu tapisserie, – mais dont on pourrait croire également qu’ils sont là, juste pour mettre un petit doigt de pied dans l’eau et sentir si elle n’est pas trop froide, et absolument pas prêts à gambader avec les autres dans des décisions inconsidérées :

« Par ailleurs, des représentants ministériels du Canada, des États-Unis (un adjoint du secrétaire d'État Antony Blinken), du Royaume-Uni (le secrétaire aux Affaires étrangères, David Cameron) et de la Suède ont confirmé leur présence. »

Pourquoi y eut-il des invités, dont deux européens notablement impliqués, et des représentants formant une sorte de délégation d'une 'Anglosphère' boudeuse, et puis peut-être quelques autres qui traînaient, – mystère et bulle de gomme... La réunion dura longtemps, du style très-macronien “le temps qu’il faudra”, et l’on en sortit avec diverses déclarations. Je cite au passage celle, assez prudente, du président polonais Duba, venu avec son premier ministre Tusk : les deux hommes se haïssent et se combattent mais sont d’accord sur la question de l’Ukraine, tandis que les tracteurs polonais bloquent le frontière ukrainienne.

« “Si nous parlons de fournir une assistance spécifique, chaque pays décide du type d'assistance qu'il fournit à l'Ukraine. L'envoi de soldats en Ukraine a fait l'objet d'une discussion animée et il n'y a pas eu de compréhension mutuelle absolue sur cette question. Les opinions divergent. Mais je tiens à souligner qu'il n'y a absolument aucune décision de ce type”, a déclaré M. Duda aux journalistes à l'issue d'une conférence sur le soutien à l'Ukraine, qui s'est tenue à Paris. »

Cette déclaration résume un sentiment assez général, parfois plus affirmé (celui du premier ministre slovaque, ayant annoncé avant de venir, qu’il excluait tout envoi de troupes en Ukraine), parfois assorties de quelques épines d’avertissement comme celle de Scholz affirmant qu’il n’est question ni d’envoyer des troupes, ni de livrer des missiles ‘Taurus’ à très longue portée.

Note de PhG-Bis : « Toutes ces impolitesses sur les invités, qui sont-ils, combien sont-ils, pourquoi des représentants seulement, ne sortent pas du seul caprice de PhG pour jouer avec les mots. Il y a une véritable impréparation, une improvisation complète, comme si une mouche les avait tous piqués... Comme si l’armée russe avait attendu la primaire de la Caroline du Sud pour faire tomber cette forteresse d’Avdeyevka. »

En réalité, – on vous le cachait jusqu’ici, avec un sens prodigieux du suspens,  – le maître de ballet, le ‘Führer’ de la soirée, était bien le personnage que vous attendez tous avec impatience. Je cède donc à la pression de l’évidence. Comme il y eut le McCarthysme qui tint en haleine le Congrès des États-Unis dans les années 1950, on peut avancer “avec l’audace qu’il faut” qu’il y avait hier soir le McMacrisme qui dominait la réunion des pays européens. Le président français se trouve aujourd’hui dans une position où il se sent comme une sorte de président européen à l’intérieur de l’OTAN, c’est-à-dire vice-président de la société OTAN et adjoint du patron qui est bien empêtré dans des querelles intérieures. Du pur gaullisme, quoi.

Première observation à retenir, sur la dynamique des sentiments courant après la dynamique des événements, – mais avec au moins une ferme certitude que je traduirais par un impératif “Nous ferons ce qu’il faut pour que la Russie soit vaincue” :

« “Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer, de manière officielle, des troupes sur le terrain”, a déclaré M. Macron aux journalistes après avoir accueilli une réunion des dirigeants européens lundi à Paris. “Mais en termes de dynamique, nous ne pouvons rien exclure. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour empêcher la Russie de gagner cette guerre.” »

D’autre part, on cite cette déclaration qui est du pur sophisme bien dans le style macronien, ponctuée évidemment du “ce qu’il faut ” (“Nous ferons ce qu’il faut”)... Il explique qu’aujourd’hui tout le monde n’est pas d’accord pour envoyer des troupes, mais que la même chose s’est déjà produite (pas d’accord pour envoyer des chars, puis envoyant des chars ; pas d’accord pour envoyer des missiles, puis envoyant des missiles), et donc qu’il nous suffit d’attendre.

« Macron a fait remarquer que les alliés qui disent aujourd'hui “jamais, jamais” au sujet de déploiements directs de troupes en Ukraine sont les mêmes que ceux qui ont précédemment exclu les escalades de l'aide militaire qui ont été accordées par la suite, y compris les missiles à longue portée et les avions de combat

» “Il y a deux ans, beaucoup autour de cette table ont dit que nous allions offrir des casques et des sacs de couchage, et maintenant ils disent que nous devons faire plus pour fournir des missiles et des chars à l'Ukraine. Nous devons faire preuve d'humilité et nous rendre compte que nous avons toujours eu six à huit mois de retard, alors nous ferons ce qu'il faut pour atteindre notre objectif.” »

Macron nous donne une bonne leçon de cette humilité où il est passé maître. Là où il sophistique avec une belle complaisance et comme d’autres slaloment, c’est lorsqu’il omet d’expliquer la cause des hésitations qu’il note chez ses troupiers européens en les dénonçant fort amicalement : cela ne vient pas d’une absence de caractère, d’une faiblesse de jugement au contraire de ce qu’a constamment montré la France en fait de fermeté ; cela vient des événements sur le terrain de la guerre, demandant de plus en plus d’interevention pour tenbir l’Ukraine à bout de missile... Et lorsque, demain, nous déciderons d’envoyer des soldats, c’est que les Russes seront à Kiev, comme l’annonce Medvedev, – lequel, dit le dicton, “dit toujours aujourd’hui ce que Poutine dira demain”, –  et qu’en envoyant des soldats sur le terrain de la bataille face aux soldats russes, nous entrons en guerre contre eux. Est-ce bien le but recherché ?

Vous savez que la France a passé traité avec l’Ukraine qui ne lui interdit pas, s’il le faut, d’utiliser du nucléaire si l’Ukraine est en grave danger, c’est-à-dire contre les troupes russes en Ukraine. Je répète ma question : est-ce bien le but recherché ? L’idée a fait frissonner de terreur les deux vieux routards politiques Védrine et ‘le Che’, que j’ai beaucoup appréciés en leur temps mais dont je trouve qu’ils devraient rassembler ce qu’il leur reste d’énergie pour clamer ces choses-là un ton plus haut et avec une bien plus grande vigueur :

« Face au développement de la crise due à l’invasion de l’Ukraine et à des menaces récentes, des décisions aussi importantes que celles qu’entrainent l'Accord de sécurité conclu ce vendredi à Paris, ou les déclarations préalables à la Conférence de sécurité de Münich, notamment celles qui concernent une européisation de la dissuasion, méritent un débat public. Les récentes déclarations de Donald Trump remettant en cause le traité de l’Atlantique Nord et l’hypothèse de sa victoire à l’automne ne peuvent être ignorées. Elles impliquent que les États européens ne soient pas surpris par leurs conséquences. Ils doivent mesurer la portée de telles décisions. 

» C’est pourquoi, aussi, il serait raisonnable d‘engager dès aujourd’hui le débat politique sur le fond, et d’en saisir le Parlement. C’est affaire de démocratie, mais c’est également une question de responsabilité pour que l’Europe puisse affronter en bon ordre des échéances qui seront difficiles. De tout cela, chacun doit prendre conscience faute de risquer d’être entraînés dans un avenir proche dans un engrenage que nous ne maîtriserons pas. »

Echos de Caroline du Sud

J’ai été bien aise d’entendre avant-hier, alors que la France McMacriste venait de mettre sur la table de la roulette zélenkiste le sort de la sacro-sainte dissuasion nucléaire, Mercouris nous dire :

« Selon mon opinion aujourd’hui, l’événement le plus important dans l’évolution de la situation géopolitique en Ukraine, au Moyen-Orient, dans les relations de l’Ouest avec la Chine n’a pas eu lieu en Ukraine, au Moyen-Orient, en Chine ou dans le Pacifique, il a eu lieu aux États-Unis où Donald Trump a remporté une victoire impressionnante dans les primaires républicaines, dans la Caroline du Sud... »

Mercouris parlait de l’impressionnante victoire de Trump (60%-40%) sur sa rivale Haley, pourtant gouverneur durant deux termes de cet État, chez elle, chez ses amis et voisins. Cette victoire signait l’impressionnante cavalcade de Trump vers la candidature républicaine, et avec de fortes chances que cela le conduise à la Maison-Blanche. Comme je et nous ne cessons de le répéter, le centre matriciel de la GrandeCrise est aux USA et, désormais, le GOP est le parti de Trump, et il fera, au moins jusqu’en novembre prochain, et sans doute après, ce que Trump entend suivre comme voie politique, à l’intérieur comme à l’extérieur. Cela signifie un blocage de plus en plus verrouillé de l’engagement des USA en Ukraine, et une distance de plus en plus abrupte mise entre les USA et les entreprises européennes de l’OTAN.

Une de nos sources juge que l’article extraordinaire du New York ‘Times’ du 25 février, exposant avec une foule de détails, les installations de la CIA en Ukraine à partir de fuites évidemment dirigées, signifie effectivement un signal pour les Russes que les USA abandonnent la partie en Ukraine. Venu deux jours après la victoire de Trump en Caroline du Sud, il acte indirectement cette victoire comme un tournant majeur de l’orientation politique US, un tournant vers l’intérieur avec ses crises multiples.

Tout cela a pesé lourd dans la réunion parisienne d’hier qui ressemblait à un rassemblement d’orphelinat, comme a pesé de tout son poids la vigueur offensive que les Russes montrent désormais après la chute d’Adeyevka.

Ainsi les choses vont-elles, à une assez bonne vitesse et, comme l’écrit Andrew Korybko :

« Le débat de l'OTAN sur l'opportunité d'une intervention conventionnelle en Ukraine montre son désespoir... »

Et ledit Korybko, pourtant homme de grande mesure, ne montre pas un très grand optimisme pour une issue qui permettrait d’éviter l’une ou l’autre rencontre bien désagréable avec l’ogre russe. Il détaille quelques points de stratégie et même d’interventions possibles où les Européens de l’OTAN pourraient tenir un rôle sans paraître trop ridicules et en évitant si possible cette drôle de chose qu’on nomme Troisième Guerre Mondiale :

« Le bloc ne peut pas se permettre un autre désastre de type afghan, encore moins sur le sol européen dans le conflit le plus important sur le plan géostratégique depuis la Seconde Guerre mondiale, et c'est pourquoi il ne restera pas les bras croisés pendant que l'Ukraine s'effondre s'il y a une chance crédible que cela se produise et que la Russie se fraye un chemin à travers les ruines. La seule raison pour laquelle ses membres planifient actuellement cette éventualité est que la victoire de la Russie dans la “course à la logistique”-“guerre de la logistique” la rend concevable dans le courant de l'année, bien qu'il ne faille pas non plus la considérer comme acquise. »

Je ne sais pas s’il importe d’être aussi catégorique dans la perspective de ce qui serait un face-à-face qui aurait de fortes chances de tourner à l’affrontement. Mais si ce scénario est effectivement appliqué, c’est alors que les choses deviendront extrêmement délicates, et certains de nos dirigeants européens ne s’en doutent certainement pas. Les Russes en position de vainqueur irrésistible, malgré les tendances de Poutine à l’arrangement, exerceront une pression formidable.

Qui auront-ils en face d’eux ? Un Macron qui ne cesse de jouer des rôles sans aucune conscience de ce qu’est le risque nucléaire. Pendant plusieurs mois au début du conflit, il a joué à l’arrangeur tout en considérant les Russes comme battus d’avance (quelle extraordinaire prescience !), jusqu’à être traité de complice de Poutine par les autres acteurs de ce simulacre-‘Fantasy’ monté de toutes pièces par l’OTAN-compulsif. Aujourd’hui, il aurait tendance à jouer le chef de guerre intransigeant formant une “Europe de la défense” qui laisserait sa marque dans l’histoire. Même vaincus, ces maîtres de la communication en simulacre se croient plus que jamais les vainqueurs, maîtres de la morale... Voire combien de temps les Russes le supporteront...