L’Ouest en lambeaux

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L’Ouest en lambeaux


14 mars 2006 — Parfois, certaines périodes, certains jours voient l’accumulation de nouvelles sans liens évidents entre elles et qui, rassemblées, nous donnent une image précise de notre temps historique. C’est le cas pour ces deux derniers jours.

• La mort de Milosevic nous rappelle les conditions scandaleuses de propagande et de mensonges qui ont accompagné, justifié et sanctifié une aventure dérisoire et cruelle des pays occidentaux dans l’univers post-communiste, sous le manteau de bonne coupe du conformisme moraliste des intellectuels occidentaux. La crise de l’ex-Yougoslavie, culminant avec l’attaque contre la Serbie il y a sept ans, constitue la première manifestation massive de ce qui devrait être le dernier stade de la dégénérescence de la civilisation occidentale par la propagande transformée en auto-suggestion et en transformation des psychologies, — notre “virtualisme”. Nous avons qualifié la guerre contre le Kosovo de “première guerre virtualiste” et les conditions où elle se déroula méritent d’être remémorées. (On peut également se reporter à notre commentaire sur la série “Yougoslavie, guerre évitable”.) Aujourd’hui, la Russie envoie une équipe à La Haye pour une seconde autopsie du corps de Milosevic, tant le soupçon d’assassinat accompagne naturellement sa mort, à partir d’indices sérieux. Aujourd’hui, chaque acte collectif de l’Ouest est aussitôt soupçonné d’être un mensonge ; ce qui est à la fois attristant et presque plus surprenant (on s’habitue), c’est de constater combien ce soupçon est souvent justifié.

• Des révélations diverses sur l’attaque contre l’Irak, il y a trois ans, montrent un univers stupéfiant (enfin, de moins en moins, là aussi) d’incertitudes, de mensonges, de désordre, au cœur de l’activité militaire et politique ce que nous saluons en général comme la plus grande puissance que l’Histoire ait porté. Des révélations sur la conduite de la guerre en 2003 autant que la révélation d’un mémorandum britannique sur les semaines d’après la guerre montrent une situation pire que celle qu’imaginaient les esprits les plus mal intentionnés à l’encontre de l’aventure Bush-Blair. La suffisance et l’arrogance américanistes sont à la mesure de la naïveté et de la stupidité des actes qui sont posés par cette puissance. Que les dirigeants Européens continuent à la saluer officiellement de leur admiration inconditionnelle et de leur révérence empressée est aussi une mesure de la décadence de l’Occident, la démonstration courante que l’Europe s’est construite à l’image de son modèle, qu’elle suit la même voie suicidaire. C’est une question de civilisation, — et s’il y a effectivement une question encore posée, qu’on soit assuré d’une réponse démoralisante.

En passant et pour rendre hommage à une lucidité britannique dont on se demande l’usage qu’en font les Britanniques: « John Sawers, Mr Blair's envoy in Baghdad in the aftermath of the invasion, sent a series of confidential memos to Downing Street in May and June 2003 cataloguing US failures. With unusual frankness, he described the US postwar administration, led by the retired general Jay Garner, as “an unbelievable mess” and said “Garner and his top team of 60-year-old retired generals” were “well-meaning but out of their depth".

» That assessment is reinforced by Major General Albert Whitley, the most senior British officer with the US land forces. Gen Whitley, in another memo later that summer, expressed alarm that the US-British coalition was in danger of losing the peace. “We may have been seduced into something we might be inclined to regret. Is strategic failure a possibility? The answer has to be ‘yes’,” he concluded. »

• Le désordre de la Grande République vient d’être authentifié, en un sens, par les déclarations de l’ancienne Juge de la Cour Suprême Sandra Day O’Connors avertissant du risque de dictature. Nous pensons que c’est moins la dictature que risque l’Amérique, que le désordre, — et, en fait de désordre, nous y sommes parfaitement. La déclaration de la Juge O’Connors marque le divorce entre deux des trois piliers de la Grande République : la Cour Suprême et le Congrès. L’exécutif, lui, est depuis longtemps atomisé en une multitude de pouvoirs corrompus et irresponsables, avec un lunatique qui se juge inspiré à sa tête. De même que l’invasion de l’Irak fut “an unbelievable mess” selon l’auteur du mémo signalé plus haut, de même Washington et ses prétentions impériales sont devenus une caricature de grandeur, un désordre d’ambitions basses et de corruption, une politique transformée en une illusion virtualiste alimentée par un réseau de communication où la substance de l’information se confond avec le mensonge institué selon un cours normal et constant.

L’Histoire montre qu’il y a des causes extérieures qui contribuent à mettre à jour ou à accélérer la décadence des empires ou des civilisation. L’Occident, — ce terme générique confus et prétentieux pour désigner notre civilisation en bout de course, — nous offre la douteuse originalité d’avoir accéléré son déclin, sa décadence, sa désintégration, alors qu’elle atteignait le sommet de sa puissance et qu’elle n’avait plus d’“adversaire” pour le menacer. La situation est si pathétique que l’Occident s’est cru justifiée d’inventer quelques spécimens de cette sorte d’“adversaires” pour se justifier de ses difficultés autant que de ses agitations menaçantes. Son manque d’imagination dans la création de ces “ennemis”, comme en témoigne le ridicule de l’installation du terrorisme en menace universelle, est une autre marque de cette décadence.

Nous n’avons pas besoin de Barbares pour achever notre chute, nous sommes nos propres Barbares. Cela marche au quart de tour.