L’UE et Erdogan, ou le discrédit d’une “politique extérieure”

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D’une façon qu’on caractérisera après tout d’encourageante, les pays de l’UE se sont aperçus qu’il se passait quelque chose du côté de la Turquie dans les relations de ce pays avec l’Iran, avec les déclarations d’Erdogan et son voyage en Iran. Lors d’une réunion qui vient d’avoir lieu au début de cette semaine, les délégués des Etats-membres de l’UE se sont intéressés à la chose puisque, finalement, la Turquie est un pays ami de l’Europe, membre de l’OTAN, et un grand pays à l’importance stratégique importante.

@PAYANT Pour percer le mystère que constitue pour eux la position de la Turquie dans cette affaire, et ses liens avec l’Iran qui leur semblent bien étranges, les délégués des Etats-membres de l’UE se sont tournés lors de cette réunion vers Robert Cooper, qui fut l’inspirateur idéologique de Tony Blair et eut son heure de gloire en avril 2002 avec ses thèses sur le “néo-impérialisme” à forte tendance humanitariste, on vous l’assure, dans les intentions. Cooper assurait la partie intellectuelle et britannique, fortement colorée de nostalgies impériales repeintes aux couleurs postmodernes, de l’entreprise bushiste et néo-conservatrice applaudie par Tony Blair et fortement partagée par le Premier ministre britannique d’alors. Son heure de gloire passée, Robert Cooper passa au secrétariat général de l’UE où il tient, comme un des adjoints et proches de Solana, au secrétariat général, le même rôle d’inspirateur, sans doute rassuré et assuré par le remarquable succès des entreprises qu’il a cautionnées de ses conceptions (Irak, Afghanistan, après le Kosovo).

Interrogé par les représentants des pays de l’UE sur l’évolution de la Turquie, Robert Cooper a répondu par le simple et impératif constat que la Turquie ne comprenait pas la situation et n’avait aucune idée des enjeux et du danger que représentait l’Iran dans ses ambitions nucléaires («Les Turcs ne savent pas, ils ne se rendent pas compte»). Cette intervention impliquait l’appréciation de la méconnaissance générale des problèmes de la région par la Turquie, au contraire des appréciations de l’UE et des siennes propres (de Robert Cooper). La position de Cooper sur cette question iranienne est décrite par une source européenne comme «absolument radicale, sans la moindre concession d’aménagement de son appréciation, ressortant du maximalisme des néo-conservateurs classiques qui avaient classé l'Iran dans l'“axe du mal”»; cela apparaît même dans les échanges personnels qu’on peut avoir avec Cooper sur cette question, qui sont complètement marqués par une émotion extrême de la part de l’inspirateur, surtout lorsqu'il sent chez son interlocuteur une certaine réticence vis-à-vis de ses thèses. Il est manifeste qu’il y a dans cette position une certaine rancœur de l’échec de toutes les entreprises à caractère “néo-conservatrices” et “néo-impérialistes” selon les propres thèses de Cooper telles qu’on a pu les mesurer ces dernières années, et une volonté forcenée, marquée de l’utopie caractéristique des tenants de ces thèses, de continuer à prôner celles-ci – cela, en plus d'un caractère manifestement exalté.

Par l’importance du poste qu’il occupe, par l’influence qu’il a et par la révérence qui lui est en général accordée, on peut avoir une idée du sentiment général qui prédomine aujourd’hui au sein de l’UE vis-à-vis de la question iranienne. C’est-à-dire que Cooper n’est pas la cause d’un climat mais qu’il le renforce par ses prises de position impérative et ses certitudes d’idéologue. Il entretient un courant général au sein de l’UE sur cette question. C’est du maximalisme complet, de l’extrémisme qu’on peut effectivement comparer à certaines attitudes de commentateurs néo-conservateurs US aujourd’hui complètement discrédités et dépassées. Cette position générale dans l’UE influe, par exemple, sur la position purement émotionnelle qu’on rencontre chez un Sarkozy sur la question. L’administration Obama elle-même a fait discrètement savoir, non sans un certain agacement, qu’elle jugeait cette attitude très contre-productive, et handicapant fortement les négociations en cours avec l’Iran. L’UE est aujourd’hui l’acteur le plus extrémiste dans cette affaire, sur une ligne assez proche de celle d’Israël et, par conséquent de plus en plus marginalisée. Le chemin parcouru depuis 2003 où l’UE lançait des négociations avec l’Iran et menait le camp modéré vis-à-vis de l’Iran est considérable et donne une idée du discrédit qui touche aujourd’hui une éventuelle “politique extérieure” européenne. Plus elle avance, plus elle recule vers les conceptions d’une autre époque dont l’histoire récente a montré et démontré aujourd'hui l’étrange et catastrophique développement.


Mis en ligne le 29 octobre 2009 à 06H54