L’UE, l’OTAN, le Congo et les Américains

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L’UE, l’OTAN, le Congo et les Américains


4 juin 2003 — Pendant que le monde regarde la civilisation occidentale sauver l'humanité en Irak, une crise politique et humaine d’ampleur considérable se développe au Congo. Nous allons tenter de décomposer en phases générales, non fixées dans le temps mais plutôt selon l’évolution de l’état d’esprit, les répercussions et les effets de cette crise congolaise en Europe. Observons néanmoins que cela se passe en gros entre avril et juin, avec les dernières décisions prises ces trois derniers jours.

• La situation s’aggrave au Congo. La guerre civile s’y développe et l’on sait où cela mène : désordre, troubles, massacres, génocide peut-être. Il y a déjà des interventions mais rien de suffisamment sérieux pour les risques qui s’annoncent.

• La “communauté internationale”, c'est-à-dire essentiellement les Européens en plus des Africains, se consulte pour envisager une intervention. Finalement, il apparaît que la France est prête à assurer l'essentiel de cette intervention. D'autres Européens assurent des aides parcellaires.

• Fin mai, alors que l'intervention se prépare, son caractère incontestablement européen fait s'interroger : pourquoi n'en pas faire une intervention UE, ce qui permettrait de mettre en pratique une PESD que d'aucuns jugent si languissante ? La chose paraît non seulement logique mais aussi excellente d'un point de vue européen.

• D'un point de vue transatlantique, maintenant : la logique nous dit que les Américains ne peuvent être que satisfaits de ce partage du travail, ou “partage du fardeau” (burden-sharing, expression psalmodiée depuis des décennies pour articuler les critiques américaines contre l'inaction européenne). On décide alors, entre Européens heureux de donner un signe de respect des engagements passés, d'activer la procédure UE-OTAN, qui doit être une formalité : l'UE avise l'OTAN qu'elle va faire une opération. Cette procédure indique qu’alors l'OTAN doit déclarer qu'elle est intéressée d'y participer ou qu’au contraire elle ne l’est pas. Dans le deuxième cas, soit l'UE dit qu'elle voudrait des moyens de l'OTAN, soit elle dit qu'elle n'en a pas besoin. Le cas est simple car tout le monde sait de quoi il retourne (ne jamais oublier que les uns et les autres sont quasiment les mêmes : la plupart des pays-UE sont des pays-OTAN) : l'OTAN n'est pas intéressée par l'opération, l'UE n'a pas besoin de moyens OTAN.

• La consultation se passe ce week-end et se transforme en une véritable “mini-crise”. La position américaine, au sein de l’OTAN, se révèle incroyablement dure, tatillonne, abrupte, refusant tout arrangement, repoussant toute possibilité d'entente là où, pourtant, il n'y a besoin que de bonne volonté et de l'acceptation de la réalité pour arriver à l'entente. Des sources ayant participé à ces négociations-confrontations ne sont pas encore revenues de la facilité avec laquelle on est passé d'un terme (négociation) à l'autre (confrontation). « Même les Anglais, dit une de ces sources, étaient stupéfaits par l'attitude des Américains ». (Nous pensons que les Anglais ne sont pas au bout de leur stupéfaction avec les Américains.)

• Finalement, les négociations n'ont pas abouti. L'UE a repris sa liberté et décidé l'opération de son propre chef. Des négociations engagées avec les Américains pour la location de 25 transports stratégiques C-17 ont été interrompues et un accord a rapidement été atteint pour la location d'Antonov russes. La force UE sera composée principalement de forces françaises (premier contingent) et de Forces Spéciales suédoises (un fait intéressant). Divers engagements de soutien d'autres pays européens sont décidés, dont celui des Britanniques qui fournissent quelques avions C-17 de transport stratégique (loués aux Américains par la RAF en attendant le A400M !). (Ce dernier point rend compte de la justesse, non seulement stratégique mais politique, de lancer la production du transport stratégique européen A400M.)

• Cette opération UE est, dans ces conditions d'autonomie de décision, la première du genre. Une opération du même type (autonomie de décision) avait failli avoir lieu, avec l'UEO cette fois, en 1991, lorsque Français, Belges et Allemands proposèrent une intervention en Slovénie (les vetos britannique et néerlandais l'empêchèrent.) En 1994 et en 1996, les Français intervenant au Rouanda (1994) et les Franco-Italiens intervenant en Albanie (1996) avaient proposé que leurs interventions se fassent sous drapeau UEO ; les projets n'avaient pas abouti.

• Les stratèges et les experts européens devront tirer quelques enseignements de cette affaire, en ce qu'elle a montré la réalité de la position américaine vis-à-vis de la politique européenne PESD. Ces enseignements, s’ils sont loyalement acceptés, déchireront bien des illusions.