Lugubre anniversaire

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On “célèbre” ces jours-ci le premier anniversaire de la crise financière du monde et l’on en est encore tout ébahi. C’est ce qui caractérise effectivement, en plus des détails techniques, le premier texte, publié ce 3 août, d’une série d’articles que le Financial Times(FT) consacre à cette célébration. Un an déjà et, plus que jamais, les couleurs de l’incertitude jusqu’à l’angoisse irrépressible, – où tout cela s’arrêtera-t-il? – à la lumière d’une crise que toutes les autorités et sommités authoritative ne virent pas un instant venir, – même si Hiroshi Nakaso se doutait de quelque chose («Just over a year ago, Hiroshi Nakaso, a senior official at the Bank of Japan, started to fear that the global financial system was heading for a jolt. Back then, most American policymakers assumed that the western banking system was extraordinarily strong. Thus while US mortgage defaults were rising, western officials were convinced that such losses would be easily “contained”»).

C’est là le premier constat: rien, nous ne vîmes rien venir, se lamentent les dirigeants du système (sauf Hiroshi Nakaso).

«What has made this upheaval so shocking is not simply its scale and duration but the fact that almost all western policymakers and bankers were caught unawares. “If you had said a year ago that America could suffer a banking crisis on the scale of Japan, people would have laughed,” one former senior US regulator admits.

»Or as the Bank for International Settlements, which groups central banks, observes in its latest annual report: “The duration of the turmoil, its scope and the growing evidence of effects on the real economy have come as a great surprise to most commentators, private as well as public.”»

Quelle est la cause de la crise, finalement? Pour notre goût, l’intérêt de l’analyse du FT est effectivement moins dans son aspect technique que dans son aspect psychologique implicite, – c’est-à-dire, pour ce cas, qui va de soi. Les certitudes du système reposaient, et reposent encore sans nul doute, sur une “foi” générale qui prend en compte le principe progressiste de la vertu de l’innovation; il s’agit bien de la foi dans le Progrès. Il y a effectivement dans l’optimisme aveugle des “opérateurs”, – pléonasme inévitable dirions-nous, tant il nous semble que l’optimisme aujourd’hui implique l’aveuglement, – quelque chose d’inéluctable et d’inévitable. On ne peut prendre une part significative dans l’activité et l’activisme du système, et ne pas partager en même temps la vision nécessairement optimiste (aveugle) qu’il offre. Il s’agit d’une sorte de logique in vitro consubstantielle, ou bien une sorte de “sélection naturelle” pour participer à l’activité de l’artefact qu’est le système financier; pour garder sa cohérence et sa cohésion initiales, ce système ne peut concevoir comme assise de sa démarche que cet optimisme qui se vit finalement comme une “foi”. Le FT parle effectivement de “faith” et énonce les trois “articles of faith” qui ont conduit le système dans son fonctionnement et dans sa chute. C’est effectivement retrouver l’état de l’esprit des années 1920, avant la Chute. (Voir notamment notre texte sur “le soleil noir de la Beat Generation”: «A l’été 1929, cet état d’âme était proche de l’extase. L’astrologue Evangeline Adams, interrogée par WJZ Radio sur les perspectives de la bourse, avait prédit aux Américains : “The Dow Jones could climb to Heaven.”»)

Ainsi le FT nous énonce-t-il les trois “articles de foi” qui présidaient aux destinées du système financier:

«The first of thèse [articles of faith] was a belief that modern capital markets had become so much more advanced than their predecessors that banks would always be able to trade debt securities. This encouraged banks to keep lowering lending standards, since they assumed they could sell the risk on. “Abundant market liquidity led some firms to overestimate the market’s capacity to absorb risk,” says the Institute of International Finance, a Washington-based lobby group, in a recent report. “The same buoyant environment resulted in market pressure for high returns ... and high levels of competition among financial firms.”

»Second, many investors assumed that the credit rating agencies offered an easy and cost-effective compass with which to navigate this ever more complex world. Thus many continued to purchase complex securities throughout the first half of 2007 – even though most investors barely understood these products.

»But third, and perhaps most crucially, there was a widespread assumption that the process of “slicing and dicing” debt had made the financial system more stable. Policymakers thought that because the pain of any potential credit defaults was spread among millions of investors, rather than concentrated in particular banks, it would be much easier for the system to absorb shocks than in the past. “People had looked at what had happened to the Japanese banks and said, ‘this simply cannot happen here’, because the banks were no longer holding all the credit risk,” one senior European policymaker recalls.»

Et nous en sommes un an plus tard. La chute intervenue entre temps ne fut pas prévue parce qu’elle ne pouvait pas l’être. Vous ne pouvez demander à des croyants d’anticiper la chute de leur foi, cela n’a aucun sens. Cette situation, la réalité de la foi comme moteur principal du système, implique que toutes les critiques contre lui n’ont aucun sens, – critiques de l’imprévision, de l’immoralité, de l’irresponsabilité. De même, on ne voit pas comment le système pourrait se raisonner, se réformer, se restructurer d’une manière durable. La raison, y compris la raison du technicien, n’y a pas une place décisive, elle doit se soumettre nécessairement au diktat de la foi.

Le FT ne pêche pas, lui, par optimisme pour ce qui concerne l’avenir, et la référence désormais obsessionnelle à la Grande Crise est bien présente: «A year later, there is still no sign of an end to these problems. Instead, the sense of pressure on western banks has risen so high that by some measures this is now the worst financial crisis seen in the west for 70 years.»


Mis en ligne le 4 août 2008 à 13H57