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1045L’Ukraine est un bon candidat pour former une crise presque parfaite de type postmoderne. On y trouve des composants de tous ordres, avec les suite de l’ère soviétique, les influences américanistes déstabilisantes, les pressions russes, la corruption générale, les tendances centrifuges et, dernier élément, les pressions sur la stabilité du pays de la crise systémique générale. Après diverses péripéties, on ne dira pas qu’on “entre dans la phase décisive”, – cela a été dit à de trop nombreuses reprises; il n’empêche, on peut faire au moins l’hypothèse que l’on s’en rapproche…
Les dernières insultes entre les deux ex-alliés “orange”, la première ministre Ioulia Timochenko et le président Viktor Iouchtchenko, concernent la situation économique et monétaire de l’Ukraine. Timochenko veut la démission du président, coupable, selon elle, d’un complot machiné avec le président de la banque nationale ukrainienne.
Rapportée par Novosti, ce 20 décembre, une diatribe de Timochenko accusant Iouchtchenko d’être l’instigateur de la chute vertigineuse de la monnaie ukrainienne.
«La première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko a exigé samedi la démission du président Viktor Iouchtchenko, selon elle responsable du plongeon de la monnaie nationale, le hryvnia. “J'estime que le président du pays, qui fait tout pour que la situation aille de mal en pis et tire profit des problèmes actuels, doit présenter sa démission demain aux côtés du président de la Banque nationale”, a déclaré Mme Timochenko en direct sur la chaîne Ukraïna.
»Selon elle, le président Iouchtchenko et la direction de la Banque nationale d'Ukraine (BNU) ont selon elle spécialement provoqué l'affaiblissement du hryvnia, la monnaie ukrainienne, qui a perdu la moitié de sa valeur en trois mois. Le 18 décembre, le cours officiel a enregistré un nouveau plus bas historique à plus de 9 UAH/USD, contre environ 5 UAH en juillet.
»En outre, affirme Mme Timochenko, le but de ce chaos financier pourrait être de renforcer le pouvoir présidentiel en proclamant l'état d'urgence dans le pays.»
Commentaire de cet affrontement et de la situation générale du pays par le président de la Rada (le Parlement), Vladimir Litvine. Son commentaire est très pessimiste et met en cause l’équilibre structurel du pays. (Novosti, également aujourd’hui.)
«La crise politique et économique dans laquelle est plongée l'Ukraine pourrait provoquer l'effondrement de l'Etat ukrainien, a mis en garde le président de la Rada suprême (parlement), Vladimir Litvine, dans une interview publiée samedi par le journal ukrainien Zerkalo Nedeli.
»“Malheureusement, ce risque est bien réel et très élevé. Le pouvoir ne peut tolérer cela. Nous traversons une crise non seulement économique et politique, mais également identitaire. (...) Notre Etat état a été bâti selon un modèle étranger, sans tenter de l'adapter ni d'en développer l'idée à notre manière. La faiblesse de notre Etat n'a fait qu'aggraver les conséquences du cataclysme mondial dont nous ne faisons que commencer à sentir les effets”, estime M. Litvine. […]
»Cependant, estime M. Litvine, la crise pourrait avoir des effets bénéfiques. “Nous sommes arrivés à un seuil critique au-delà duquel soit nous entrerons dans une nouvelle ère, soit ce sera la ruine”, a conclu le président du parlement en référence à l'Ukraine troublée du XVIIe siècle, plongée dans une crise du pouvoir et une décadence politique et sociale.»
L’Ukraine présente donc le cas de crise le plus proche de la “perfection” en Europe (“a perfect storm”, disent les Américains). La crise est économique, politique, stratégique, identitaire, conjoncturelle et structurelle, et attisée par diverses influences extérieures. Elle est à la fois intérieure et extérieure. Pour la Russie, l’Ukraine a beaucoup plus d’importance que la Géorgie parce qu’elle joue un rôle stratégique majeur et qu’elle possède une population russe d’une très grande importance. Une crise de la Russie avec l’Ukraine devrait normalement entraîner des changements beaucoup plus profonds que la crise avec la Géorgie.
Les milieux européens sont extrêmement alarmistes à propos de la situation ukrainienne. Ils estiment qu’un risque de crise, à la fois externe et interne, est aujourd’hui très élevé, à peu près de même intensité qu’entre la Russie et la Géorgie au printemps dernier. Les facteurs de déclenchement sont classiques, d’abord avec les relations énergétiques entre la Russie et l’Ukraine (dépendance ukrainienne de la Russie) ; avec la situation potentiellement séparatiste entre la partie orthodoxe d’origine russe et l’ouest du pays (les Ukrainiens d’origine russe disposent de passeports russes, selon la politique développée par la Russie vis-à-vis des minorités russes de la région) ; avec la situation politique explosive enfin. L’état d’extrême fragilité de l’Ukraine à cause de la crise systémique internationale aggrave les conditions générales. Ce facteur est perçu par certains experts comme un possible détonateur incontrôlable pour une crise nationale active débouchant sur une explosion; on pourrait alors considérer l’Ukraine comme le premier exemple d’une grave crise internationale suscitée par les effets de la crise systémique sur une situation nationale.
Les intentions des Russes sont un des facteurs importants de la situation. Là aussi, la crise systémique générale peut jouer son rôle et pousser la Russie à un durcissement contre l’Ukraine, si la situation interne russe se détériorait trop fortement suite à cette même crise systémique; le durcissement russe serait alors le résultat de tensions internes au sein du pouvoir, et l’on verrait également l’un des premiers effets déstabilisants importants de la crise systémique générale. Enfin, il y a l’hypothèse plus tactique de la direction russe voulant imposer une pression sur Obama en durcissant les relations de la Russie avec l’Ukraine, selon l’analyse qu’Obama voudrait un apaisement en Europe et serait prêt à diverses concessions pour éviter une crise active russo-ukrainienne.
Dans tous les cas, l’Ukraine suscite désormais de très nombreuses hypothèses de crise. Cette abondance même, sans s’attarder au crédit à donner à l’une ou l’autre hypothèse, est un signe significatif. L’Ukraine a remplacé la Géorgie dans le rôle de foyer principal de tension dans cette partie des confins européens. Mais il semble bien, cette fois, que cette dynamique de tension soit au moins à parts égales due à une détérioration “objective” de la situation, à cause de la crise systémique générale.
Mis en ligne le 20 décembre 2008 à 18H29
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