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3248Comme l’on sait, depuis quatre jours, la Crimée joue un rôle central dans la crise ukrainienne. Ce rôle n’est que tactique, mais il renverse la situation stratégique. Rien n’est joué, parce que le modus operandi aujourd’hui de ce qu’on nommait la “révolution” hier est de renverser la définition initiale. On ne joue pas contre-révolution versus révolution, mais “révolution” contre “révolution”, – ou pseudo-révolution contre pseudo-révolution, puisque la simple description de ce mouvement de contrepied indique bien que le terme “révolution” mérite techniquement une révision complète. En un sens, dans cette description de “la révolution qui swingue”, ceux qui ont été “vaincus” par la prise du pouvoir révolutionnaire ne doivent pas avoir pour but tactique de reprendre ce pouvoir mais de poser à ce nouveau pouvoir “révolutionnaire” un nouveau problème “révolutionnaire”. C’est la Crimée qui joue ce rôle, avec cette singulière situation où ceux qui, hier, développaient un mouvement de rue contestataire en mettant en cause la légalité du pouvoir en place, et ceux qui les appuyaient, sont aujourd’hui sur la défensive en “dénonçant” les mouvements de rue contestataires, avec une rupture contestataire des autorités locales, qui mettent en cause la “légitimité” du pouvoir en place (depuis six jours), – démontrant par là que leur propre légitimité est une fiction qui n'a même plus le temps d'être maquillée en narrative.
• Que s’est-il passé en Crimée hier ? Il y a eu des interventions de groupes armées qui se sont saisis du Parlement de Crimée et de l’aéroport de Simferopol (la capitale de la Crimée). Ces groupes armés, qui agissent en agitant les couleurs de la Fédération de Russie signifiant leur engagement pour une autonomisation de la Crimée et son rapprochement/rattachement à la Russie, retournent contre le nouveau pouvoir de Kiev la même méthode que les membres de ce pouvoir ont utilisé pour s’y installer. Une rapide description de la manœuvre en Crimée est donnée par le Guardian de ce 28 février 2014.
«Fears of a major regional conflict in Crimea pitting Russia against the west intensified on Thursday after pro-Russian gunmen seized the regional government and parliament building in a well co-ordinated military operation. According to witnesses, men dressed in fatigues stormed Crimea's administration in Simferopol at 5am, hoisting a Russian flag above the parliament building. About 120 men were holed up inside, armed with heavy weapons including rocket-propelled grenades and sniper rifles, witnesses said. [...]
»It was unclear whether the gunmen were undercover Russian soldiers or members of a pro-Russian self-defence militia formed in response to Ukraine's revolution, which has included radical nationalist groups. The former head of the Crimean parliament, Serhiy Kunitsyn, described the men as professionally trained and armed with enough weaponry to defend the complex for a month. Early on Friday morning about 50 armed gunman were reported to have taken over Simferopol's airport – arriving in Kamaz trucks, cordoning off the domestic terminal and then moving on to other areas. Russia Today described them as similarly dressed and equipped to the "local ethnic Russian 'self-defence squads'" that seized the parliament and government buildings.»
• «Fears of a major regional conflict...», constate le Guardian, parlant de ce cas de la Crimée ? Bigre, – mais pour ce qui est des “craintes d’un conflit régional majeur”, nous y étions déjà les 20-21 février, mais à Kiev cette fois, lorsque le ministre des affaires étrangères polonais Sikorski disait aux délégués de l’opposition protestant contre l’accord qu’on leur imposait (lequel ne fut jamais appliqué, bien entendu) : «Si vous ne soutenez pas cet accord, vous aurez la loi martiale, l’armée. Vous serez tous morts.» (le 22 février 2014).
A part ces remarques d’une lucidité tragique, et cette nuit de négociations où il agit dans le sens qu’on voit, Sikorski, en bon Polonais et en bon membre du bloc BAO inspiré par les neocons US nous avait habitués à son soutien indéfectible pour cette foule d’Euromaidan qui contestait et défiait le pouvoir en place représentant l’autorité (oh, de façon bien faiblarde et déjà en déroute...). Toujours dans la même veine, mais pris au piège de la “révolution qui swingue”, de son art du contrepied, Sikorski soutient (oh, de façon bien faiblarde, et déjà en déroute...) le pouvoir en place depuis le 22 février qui dénonce une autre foule contestatrice qui défie le 27 février le pouvoir en place depuis le 22 février. (Toujours du même Guardian) :
«After meeting Angela Merkel, David Cameron said he and the German chancellor were particularly concerned. Nato's secretary general, Anders Fogh Rasmussen, urged Russia not to do anything that would escalate tension or create misunderstanding. Poland's foreign minister, Radoslaw Sikorski, described the seizure of government buildings in the Crimea a “very dangerous game”. He told a news conference: “This is a drastic step, and I'm warning those who did this and those who allowed them to do this, because this is how regional conflicts begin.”»
• Vous avez compris : «...this is how regional conflicts begin.”» Mais que disait-il de différent, Sikorski, dans la nuit du 20 au 21 février, et là s’adressant à l’opposition qui prétendait avoir tout le pouvoir pour elle toute seule, et immédiatement ? Ainsi Sikorski décrit-il involontairement cet aspect qu’on identifie ici de cette “révolution” qui change de “révolutionnaires” comme de chemises, cet aspect du mouvement de swing (to swing : balancer, osciller, mais avec rythme, rapidement, etc.). La “révolution” a swingué vers la Crimée. Les groupes armées dénoncés par les révolutionnaires précédents qui semaient le désordre dans les rues de Kiev et qui réclament aujourd’hui l’ordre dans les rues de Simferopol, ne sont pas partis au baston (surtout “baston de communication”, car l’intentionnalité des actes suffit à la représentation de l’action) sans quelque précaution. Occupant le Parlement de Crimée, ils ont bien pris soin d’autoriser, – et comment, – le Parlement à siéger en session extraordinaire. Il est ressorti de cette session que le Parlement démettait le gouvernement de la région autonome de Crimée, qui obéissait à Kiev, pour le remplacer par une équipe nouvelle, pro-russe, donc allant complètement dans le sens des groupes contestataires. Du coup, la contestation de la rue est adoubée, légitimée, comme à Kiev le 21-22 février, mais contre le pouvoir de Kiev du 21-22 février. Dans les deux cas, techniquement, et quelles que soient les accointances diverses et évidentes, les contestataires illégaux de la rue ont mis dans leur poche leurs Parlements respectifs et obtenus l’onction démocratique qui importe. La “légitimité”, elle aussi, swingue diablement. Description de la séquence par Russia Today, le 27 février 2014...
«The Supreme Council of Ukraine’s Autonomous Republic of Crimea has dismissed the regional government, electing a pro-Russian party leader as its new chair. The MPs have also voted in favor of holding a referendum to decide the future of Crimea on May 25. Fifty-five out of 64 MPs voted for the government’s dissolution. The decision was announced by parliament official Olga Sulnikova. The decision to dismiss Crimea’s Council of Ministers was supported by 55 out of 64 Crimean MPs. The no-confidence motion came as a result of “unsatisfactory” work by the regional government in 2013, Interfax-Ukraine reported.
»The Chairman of the Council of Ministers, Anatoly Mogilyov, was also dismissed. The leader of Crimea’s Russian Unity party, Sergey Aksyonov, has been voted in as the new chairman, RIA Novosti reports. The pro-Russian politician was supported by a majority of 53 MPs of the Crimean parliament, with 64 MPs taking part in the vote out of 100. The new council of ministers is to be formed Friday.
»The regional parliament then voted in favor of holding an All-Crimean referendum on the status of the Autonomous Republic, with 61 out of 64 MPs supporting the poll. On May 25, Crimeans will vote “yes” or “no” on whether the “Autonomous Republic of Crimea has state sovereignty and is a part of Ukraine, in accordance with treaties and agreements.”»
• Là-dessus, ou plutôt tout autour, on s’agite... «Fears of a major regional conflict...», vous comprenez. Les incendiaires initiaux, dito le bloc BAO dans ses diverses accointances qui ont fait naître les «Fears of a major regional conflict...», se mettent à couiner horriblement parce que la Russie est diablement au charbon depuis trois jours, déployant la mise en marche d’une grandiose manœuvre militaire grandiose (prévue avant les événements d’Ukraine, si si...) qui organise un rassemblement d’une force considérable pas loin de la frontière ukrainienne mais selon les normes d’information de telles initiatives conformes aux accords Russie-OTAN sur la transparence (voir ITAR-Tass, le 27 février 2014 [les manœuvres] et le 27 février 2014 encore [la transparence]) ; activant ses réseaux de soutien à l’activisme de la majorité pro-russe de Crimée ; renforçant sa base de Sébastopol par des contingents de Marines ou de forces spéciales (“Pourquoi envisager une invasion russe de la Crimée puisque la Russie se trouve en Crimée ?”, observe un observateur qui ne manque pas de saupoudrer d’humour ses observations) ; et ainsi de suite. Russia Today se scandalise de ces réactions du bloc BAO (le 28 février 2014) et les deux partis “extérieurs” (bloc BAO et Russie) s’accusent mutuellement ... Contrairement à ceux qui y verraient un pas de plus vers «a major regional conflict...» (voir DEBKAFiles, le 27 février 2014), nous y verrions plutôt un jeu de rôles car aucun des deux camps n’a l’intention de se lancer dans «a major regional conflict...»
Dans ce cas, les Russes forcent leur indignation devant des statements du bloc BAO qui sont bien plus prudents que menaçants, mais ayant beau jeu par contre de rappeler que le susdit bloc n’a pas encore pu faire appliquer l’accord du 20-21 février signé par tout le monde et envoyé aussi sec aux poubelles de l’histoire par Euromaidan et sa foule en colère. «Moscow has urged NATO to refrain from provocative statements on Ukraine and respect its non-bloc status after a chorus of Western politicians said Russia should be “transparent” about its military drills and avoid any steps that could be “misunderstood.” “When NATO starts giving a consideration the situation in Ukraine, it sends out the wrong signal,” the Russian Foreign Ministry said in a statement published on its website on Thursday. [...]
»At the same time, the EU-brokered agreement to settle the Ukrainian political crisis which was signed on February 21 and certified by the foreign ministers of Germany, Poland and France “is still not being implemented,” Russia said. “Militants, who still haven’t surrendered arms and not vacated administrative buildings, announced their intention to ‘bring order’ to all Ukrainian regions,” the Russian ministry said.»
• Le 27 février 2014, dans le Guardian, Luke Harding & compagnie développent l’analyse de l’évidence, exactement contraire à celle qu’on faisait le 22 février après qu’Euromaidan ait imposé la destitution de Ianoukovitch (tiens, celui-ci est à Rostov-sur-le-Don, en Russie, portant beau et proclamant qu’il est toujours président) : Poutine a la main, et diablement («Vladimir Putin can inflict a costly revenge on Ukraine, – President Putin's latest war games do not mean Russia is planning a military intervention, but the Kremlin has plenty of other options»)
Ces nouvelles rejoignent et confirment l’analyse générale de Dimitri Minine, le 28 février 2014 sur Strategic-Culture.org, sur “la pendule ukrainienne”, ou “la crise qui swingue”... «The Ukrainian Pendulum: Has Russia Lost and the West Won?», interroge Minine, et l’on sait bien que poser la question c’est y répondre : non, la Russie n’a pas perdu et (surtout) l’Ouest n’a pas gagné, car hier les “révolutionnaires” vainqueurs le 22 février avaient installé une nouvelle “légitimité”, aussitôt contestée aujourd’hui avec efficacité comme on a vu. Par conséquent, ils ne peuvent rien faire parce que leur “légitimité” prend eau de toutes parts, parce qu’ils ont le pouvoir à Kiev et ne savent qu’en faire, et c’est justement cela qui les rend si vulnérables aux nouvelles contestations de leur propre pouvoir... En fait, écrit Minine, personne n’est “victorieux”, parce que la pendule fait son office, constamment en mouvement, et la “révolution swingue”.
«The more the acrid black smoke disperses from the burning tyres on Kiev’s Maidan Square, the more quietly and deeply are analysts beginning to think about who has actually emerged as the winner in the latest round of the endless Ukrainian ‘chess tournament’, and how much is still to come? Initial euphoria in the West regarding the fact that while absorbed in competing at Sochi, Moscow was overlooking a tricky combination next door is gradually evaporating. And the question arises: what next? And here it becomes clear that the victory which has been marked by a change of regime in Kiev is highly questionable...
»In a geopolitical sense, Ukraine is a kind of pendulum space in which everything can only remain stable if there is a strong consensus in society and a lack of any major shocks from outside. Both of these conditions were violated today. And if the pendulum swings too strongly to one side, then you can bet that in the next stage, it will swing rapidly back in the opposite direction. It is possible, of course, that with the help of a rather small number of riot police, the point of the swinging pendulum may be seized temporarily, as we are witnessing now, but to expect that it will be brought to a stop in favour of just one section of the population, and that it will stop swinging completely, is sheer Utopia. It is already clear that the putschists in Kiev simply do not know what to do next. What should be offered to the people of Ukraine? Serious passions are beginning to boil over amid the distribution of power and portfolios, the heroes of the barricades are resentful of the fact that they are quickly being forgotten, and Ukraine’s imminent default is no longer a prognosis, but a diagnosis. If this is the latest colour revolution, then it is one of the most desperate and meaningless. It is only exacerbating the problems currently facing the country, without solving a single one. An opportunistic foray is perhaps enough to temporarily seize power over southeast Ukraine (?), but forcing it to be loyal beyond the will of its people is completely impossible. It is just a question of time before the pendulum starts swinging the other way, and such a movement is inevitable. Nobody has any reason to celebrate as far as a ‘victory’ is concerned...»
... Absence de victoire, comme on dirait, selon le titre du film fameux de Sidney Pollack qui reprend un terme légal, – Absence of Malice. Cela voudrait indiquer qu’il n’y a finalement pas vraiment d’arrière-pensées actuellement chez les grands premiers rôles, soi-disant “acteurs géopolitiques” du drame. Maintenant, – en cinq-six jours, ça swingue, – ils savent bien quelle formidable poudrière représente cette crise ukrainienne “qui swingue”. Certes, ce sont eux qui ont allumé les mèches, avec un premier rôle quasi-exclusif de manigance du bloc BAO dont on voit se confirmer la stupéfiante, la confondante, l’abracadabrantesque irresponsabilité d’une politique extérieure embourbée dans ses slogans qui ont la légèreté germanopratine d’un BHL, dans ses provocations sans fins et ses innombrables complots droitdel’hommistes du type Soros-Nuland. Pour autant, leur crainte, non leur trouille (celle du bloc BAO) est extrêmement réelle devant cette possibilité d’un «major regional conflict...» qui ne le serait plus du tout, “régional”, si la Russie y jetait son armée. Il importe en effet de ne pas oublier ceci que face à la Russie, sur la frontière ukrainienne, un bloc BAO qui prétendrait jouer un rôle militaire sérieux dans un conflit conventionnel sérieux n’a rien, absolument rien de sérieux pour le faire, – sauf peut-être la France qui redirigerait ses 400 soldats de renforts de fonds de tiroir en Centrafrique pour la frontière ukrainienne derrière laquelle la Russie déploie 150 000 hommes ? Ils savent tous très bien que, face à la Russie qu’on est allé provoquer sur le fondement absolument central de sa sécurité nationale, la seule riposte sérieuse possible serait tout simplement la possibilité d’une escalade vers l’unthinkable, l’option finale du conflit nucléaire. Passées les vapeurs de la tragi-comédie de la révolution qui swingue, qui est aussi la “révolution-farce” de Euromaidan, le bloc BAO n’y tient vraiment pas ; et les Russes, eux qui n’y tiennent pas davantage, se contentent pour l’instant de leurs manœuvres colossales “sans rapport avec la crise ukrainienne” pour verrouiller leur riposte en Crimée mettant Kiev dans une défensive impuissante. Ainsi tout le monde attend-il la suite des événements, dont on ne doute pas qu’ils ont, les événements eux-mêmes et sans l’aide des concepts géostratégiques de sapiens, assez d’imagination pour nous arranger, à eux seuls et d’eux-mêmes, d’autres surprises, et vite ... Car non seulement la révolution swingue, mais elle swingue à quel rythme !
Mis en ligne le 28 février 2014 à 06H58
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