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591Peu après que la France ait réaffirmé par la voix de son photophoresque président sa volonté de porter ses lumières jusqu'en Afghanistan, je tombe par hasard sur un vieil article de Bob Woodward pour le Washington Post, «You're not accountable, Jack» (lien), qui raconte les détails de la cuisine politique nécessitée par le surge en Irak (la “poussée décisive”), aux alentours de 2008. On y voit le général Keane, à la retraite et propulsé par l'équipe Bush, se livrer à des opérations de lobbying interne qui se résument à un contournement officialisé de la chaîne de commandement. Aucune révélation fracassante, mais en page 4 un extrait de dialogue reflète le niveau de discours et la psychologie des intervenants qui sont plus ou moins les mêmes que pour l'Afghanistan. Il est intéressant de voir à qui nous avons affaire.
Ce dialogue a lieu entre Keane, retiré des voitures et ne pouvant être tenu pour responsable des conséquences d'un engagement accru, et Mullen, encore en activité. Keane, gueule de boxeur aux yeux d'acier, cent-vingt kilos en petite tenue, fait la leçon à Mullen pour ne pas avoir, durant tout un discours, prononcé les mots “I want to win”. Et l'autre, écrabouillé par le poids du reproche, de répondre piteusement que si, bien sûr, c'est ce qu'il veut, comme un petit garçon pris en flagrant délit de n'avoir su dénouer les contradictions de ses aînés, de ne pas renvoyer l'image qui occulte ces contradictions, puisqu'il n'est surtout pas question de les résoudre.
«“Mike, all of that’s true,” Keane said. “But this is true every time we fight a war of any consequence.” Wars break armies, and they have to be put back together, he said. That's the price of war. But the price was worth it. “You've not talked one time about winning here, Mike. Not one time have you mentioned I want to win in Iraq. I mean, do you?”
»It was an insulting question to put to a fellow military man.
»“Of course I want to win,” Mullen said.
»“I assume you do,” Keane replied, “but to the degree that you're putting pressure on Petraeus to reduce forces, you're taking far too much risk, and that risk is in losing and not winning.”»
Nous y sommes : dans une série télé où les généraux se battent à coups de messages pour mômes de 11 ans, pouces levés, gare à celui qui n'a pas le sourire Colgate et le mot "victoire" accroché dessus. Ces hommes – y compris Mullen, coincé dans sa dénégation – chassent les fantômes qui ont peuplé des temps lointains, s'efforcent de coller à des images fabriquées de toutes pièces pour des films en noir et blanc. Qu'ils fassent la guerre et fassent se tuer des gens permet d'alimenter l'intensité dramatique d'un instant comme celui-là. Pour ce qui est des lumières de la civilisation, c'est l'esprit de Ronald Reagan qui brille en nous, cet acteur qui finira sa carrière élu premier rôle de la plus fameuse des séries télé.
Laurent Caillette