Lumières en clair-obscur sur le dernier “coup” Bush-Blair

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Lumières en clair-obscur sur le dernier “coup” Bush-Blair

10 juillet 2007 — Le “traité” (guillemets nécessaires) sur les transferts de licences et de technologies en matière de défense signé le 21 juin par George Bush et Tony Blair (entre USA et UK, par conséquent, si l'on comprend bien) apparaît de plus en plus comme une initiative étrange, sinon mystérieuse. Un texte de Defense News du 9 juillet en donne une appréciation marquée à la fois d’une incrédulité discrète et d’un scepticisme prudent. Il semble que ce document ait été élaboré dans le plus grand secret, signé de la même façon, et qu’il soit de toutes les façons encore incomplet, — sinon moins...

Le texte de l’article, au titre somme toute incertain («U.K.-U.S. Trade Treaty Facing Uncertain Future»), apparaît lui-même assez incertain. Quelques points divers méritent d’être relevés, à partir d’une idée centrale qui illustre à la fois l’audace du procédé et les questions qu’il suscite («Trade experts give the president credit for a “clever idea,” but warn that defense trade reforms in the form of a treaty before the Senate are likely to be controversial, and ratification might be a long time coming»). L’habitude pour des questions commerciales très spécifiques et très contrôlées par le Congrès, notamment celle des armements, est en effet de présenter des projets de législation à ce Congrès, c’est-à-dire à la Chambre des Représentants. Cette fois, on fait un traité, acte solennel s’il en est, et qui ne concerne que le Sénat, réputé moins fermé (dans le sens protectionniste) que la Chambre.

• Il semble que Blair et Bush aient voulu (voire annoncé), lors de la signature du traité, que celui-ci soit ratifié pour la fin de 2007. Cela paraît une rêverie dont la naïveté ou l’irréalisme surprend. «Trade experts offer mixed assessments of the pact’s prospects. “I think it has a good shot in the Senate,” said Harry Clark, an international trade lawyer in Washington. “But it won’t happen overnight. It might take years, not months.”»

• Dans tous les cas, ce traité va demander un énorme effort de relations publiques de la part de l’administration GW Bush. («If the treaty “popped out today for a vote,” it would probably fail, said Frank Cevasco, a defense industry consultant and president of Cevasco International. He applauded efforts to reform the current trade licensing process, but said success will require “substantial advance work and a lot of hand-holding with a lot of members [of the Senate] and their staffs. The administration will have to commit itself to this — that’s the key.”») Est-ce bien raisonnable? L’administration GW Bush est en lambeaux. Elle subit partout des attaques épouvantables, attachées au seul but du Président de faire durer le plus longtemps possible la catastrophe irakienne. Les rapports avec le Congrès sont exécrables. Et l’on espère une campagne de relations publiques soutenue et fructueuse sur cette affaire, ce traité secret Bush-Blair?

• Le Sénat est, sur les questions de commerce dans le domaine des armements, “une énigme enrobée dans un mystère”. Ce n’est pas pour autant que les conditions sont encourageantes : «“That’s hard to gauge,” said Rachel Stohl, who studies the international arms trade for the Center for Defense Information. “The Senate has been allowed to be largely silent” on defense trade license reforms because they were invariably blocked by the House. But since treaty ratifications require a two-thirds vote of the Senate, the treaty “will not have an easy passage,” she predicted. “It’s a fairly high hurdle that the founding fathers set for ratification of a treaty,” agreed Baker Spring, a senior defense analyst at the Heritage Foundation.»

• On peut être sûr que le caractère mystérieux du traité, le caractère hautement sensible de la matière abordée vont déchaîner l’habituel flot washingtonien des bureaucraties… «“I’m amazed they’re proposing to do this by treaty,” said James Townsend, a former chief of European and NATO policy at the Pentagon. “It’s a bold move. If it works, it will break a logjam on the defense exports process.” But treaties are important and rare enough to invite scrutiny and prolonged debate over proposed trade rule reforms. “It will bring into play a lot of folks on the Hill — staffers and others — who have been playing a role on trade for years and years,” and will want to influence the outcome, Townsend said.»

• Mais ceci est peut-être le plus intéressant, lorsque le même Townsend cité ci-dessus ajoute que cette question du traité Bush-Blair pourrait devenir une “cible politique”, notamment avec l’intrusion de l’affaire BAE. Cette idée a été présentée dès le 25 juin par le site LaRouchepac.com, comme nous l’avions rapporté deux jours plus tard. L’article de Defense News reprend cette question en termes également prudents, mais en ne cachant pas l’ampleur des implications possibles.

«Although the BAE investigation is not directly connected to the trade treaty, it could hurt the treaty’s chances for ratification, “if they find something bad,” said [Heritage Foundation’s] Spring.

»Townsend said the investigation could become part of the “atmospherics” that will influence the treaty debate. “All the old chestnuts, the old scandals and new issues” are likely to become “part of the battlescape as [the treaty] is debated” in the Senate, he said.»

• Enfin, l’impression générale est vraiment incertaine, pas excellente, assez mystérieuse… Que signifie cette façon d’agir, comme si l’on voulait forcer la main au puissant Congrès, à l’invincible bureaucratie US ?

«A defense industry lobbyist who favors the treaty said he worries that the Bush administration is off to a bad start with lawmakers. “The administration apparently did no preconsultations with the Congress,” but instead employed an “almost stealth-like” approach with “virtually no advanced notice of the treaty negotiations.”

»In the past, he said, “Congress has opposed administration efforts to give the U.K. and Australia any special exemptions” to export controls. “If this treaty is perceived by Congress as an end-run around its intent, then ratification by the Senate may be problematic.”»

“Yo, Blair !” – “Yo, Bush !”

Le “traité” ressemble aux deux hommes qui l’ont signé. Bush et Blair sont tous deux en fin de course lorsqu’ils le signent, le 21 juin, — Bush complètement isolé dans son palais et dans ses sondages, Blair à une semaine de son départ. Le traité sort d’on ne sait où, sans consultations préalables. D’ailleurs, y a-t-il autre chose que leurs signatures, sur ce traité? Admirez ce passage de l’article de Defense News :

«So far, though, neither government has released the text of the treaty or many details about it. Signatures notwithstanding, details of the treaty are still being negotiated, according to John Rood, assistant U.S. secretary of state for international security affairs and nonproliferation. The treaty is expected to be ready for submission to Congress and the British Parliament this fall.» Confirmation : il y a bien les signatures. On travaille sur le contenu. Le traité doit être ratifié à la fin de l’année. Si ce n’est Disneyland, c’est Fantasyland

Il est difficile de trouver plus à dire dans le genre de l’exclamation, du qualificatif furieux ou ironique, dans le sarcasme et ainsi de suite. Ce “traité” est “stealthy”, comme les avions furtifs, ou soi-disant invisibles du même nom ; ou bien, “almost stealth-like”, comme nous dit un consultant cité.

Ce traité, décidément, est à l’image des deux hommes. Ils l’ont décidé, ils l’ont non-rédigé, ils l’ont signé au bas d’une feuille blanche et le tour est joué. Le traité ressemble à l’argumentaire développé pendant un an pour justifier l’attaque contre l’Irak. Il ressemble à la constitution du dossier qui doit justifier le verdict d’ores et déjà impliqué par l’exécution de la condamnation décidée en premier. Il leur ressemble, à “‘Yo, Blair ! et “Yo, Bush !”, ces inimitables duettistes. Il est le dernier spasme d’une doublette politique que l’Histoire, stupéfaite et secrètement ravie (Maistre avait raison), ne cessera pas de contempler comme l’on observe deux E.T. venus d’au-delà de l’univers connu, d’au-delà de l’imagination.

La sublime ironie de la chose, pour poursuivre dans notre exercice maistrien, est que ce non-traité, signé par des non-chefs d’Etat et de gouvernement, selon une non-politique dont les principaux intéressés (le Congrès et compagnie) sont totalement laissés dans l’ignorance, est un pétard à retardement aux sublimes dimensions. Quelques connaisseurs à qui on ne la fait pas vous glissent, ravis du sérieux de la confidence, que Mike Turner, patron de BAE, a été pour beaucoup dans sa rédaction. Cela explique l’absence de texte, non? Justement, nous y sommes.

Ce système qui nous gouverne, qui pèse des millions de tonnes d’arrogance et d’aveuglement, ne cesse plus désormais de se mordre la queue et de se débattre superbement dans une pièce de la dimension d’une cellule de Guantanamo. Chaque acte qu’il pose est un “non-acte” qui se traduit en une multitude de conséquences inattendues et catastrophiques. Il a les serviteurs qu’il faut pour cela, ces fabuleux hommes politiques de notre temps historique qui ont choisi de fabriquer une nouvelle réalité qui leur aille bien au teint, à grands coups de virtualisme, comme autant de Michel-Ange postmodernes. Ce non-traité qui est déjà moqué, vilipendé, soupçonné avant même d’être écrit, nous offre en cerise supplémentaire sur le gâteau l’entrée sur une scène également supplémentaire de Washington de ce fameux BAE dont Mike Turner, le rédacteur du non-traité, est l’indispensable factotum. Peut-on rêver imbroglio plus prometteur?

Monsieur James Townsend, déjà cité, nous dit que tout ce bruit, cette incertitude, cette incompréhension, la procédure inhabituelle, le “coup” Blair-Bush dans cette affaire, — tout cela … «That could turn the trade treaty into a political target». Avec BAE en prime, alors que le DoJ entend investiguer jusqu’au temps béni de la baronne Thatcher, on voit le cirque qui se profile.

Bien entendu, le Congrès, les experts, les bureaucrates, tous en bande comme d’habitude, ils ne vont pas rater l’aubaine. Le “traité” Bush-Blair est un nouveau et superbe os à ronger, sur lequel pourront se déverser toute la bile, tous les soupçons, toutes les révélations, toute la corruption, toute la vindicte éternellement rentrée des “special relationships”. Nous n’en reviendrons sans doute jamais tout à fait, du point de vue de la compréhension de la chose, de l’étrange texture des relations entre les cousins transatlantiques, — les bâtisseurs de l’axe anglo-saxonien promis à révolutionner le monde.


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