L’U.S. Navy aux abois

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On fait grand cas du rassemblement naval, essentiellement US, dans le Golfe Persique, la Mer d’Oman et autour du détroit d’Ormouz. Cette démonstration de puissance est, notamment du point de vue de l’U.S. Navy et hors des explications de la politique iranienne des USA elle-même, exactement ce qu’elle veut paraître : l’affirmation d’une puissance navale, ou plutôt, une tentative dans ce sens, – notamment parce que l’U.S. Navy sait et sent fort bien que cette puissance est objectivement en déclin. Il s’agit moins d’une concurrence d’autres puissances extérieures que de l’effet de la situation intérieure des USA, et de la situation financière et budgétaire à Washington, ajoutée à l’extraordinaire incurie, la paralysie et l‘impuissance de la gestion bureaucratique du Pentagone, – et, d’autre part, de l’effet de la politique extérieure des USA.

Cela conduit à observer que la situation d’apparente supériorité écrasante de l’U.S. Navy dans le Golfe cache un déclin accéléré de cette puissance, et un très grand désarroi des chefs de cette arme fondamentale de la puissance US. Une récente nouvelle sur une situation opérationnelle et son contexte générale montre cette situation de crise désormais permanente de l’U.S. Navy.

• Sur le site Military.com, le 1er février 2012, était exposée la situation du USS Essex, qui est un bâtiment porte-hélicoptères et d’assaut, c’est-à-dire un bâtiment d’une classe stratégique centrale pour les expéditions et les interventions du Corps des Marines (l’équivalent pour l’intervention amphibie des grands porte-avions d’attaque pour le contrôle de la haute mer). Le USS Essex a été incapable, pour la deuxième fois, de remplir une mission dans des évolutions navales majeures où il tenait la place centrale.

«For the second time in seven months, mechanical or maintenance issues have prevented the USS Essex from meeting a commitment at sea, Navy officials said Wednesday. The 21-year-old flagship of the forward deployed Expeditionary Strike Group 7 was scheduled to depart several days ago for Cobra Gold 2012, an annual exercise with Thailand.

»The mission was scrapped due to an equipment failure. “It is true, the Essex will not be making Cobra Gold,” Task Force 76 spokesman Lt. Richard Drake said. “The cause is wear and tear.” The Essex, known as the Iron Gator, is scheduled to undergo a hull swap with its sister ship USS Bonhomme Richard next month. […]

»Lt. Anthony Falvo, 7th Fleet spokesman, said the Essex may have been impacted by missing maintenance. “Pacific Fleet ships adhere to rigorous maintenance standards and maintenance periodicities per the Joint Fleet Maintenance Manual and other Navy directives,” Falvo wrote in an email to Stripes. “On any given day we have roughly 40% of our ships underway and we are meeting the requirements of the combatant commanders.” […] The Essex has been in the area for 11 years, Drake said, and provided humanitarian relief to Indonesian victims of the devastating tsunami in 2005, survivors of the Leyte mudslide in the Philippines a year later and victims of the Japanese earthquake and tsunami in March of last year.»

A l’occasion de cet incident, l’article donne des précisions sur l’état général de la flotte, avec des précisions impressionnantes sur les incidents de fonctionnement et de déploiement et sur sa disponibilité. «The scrapped mission is the latest in a series of problems for Navy ships. More than one-fifth of Navy ships fell short of combat readiness in the past two years, and fewer than half of the service’s deployed combat aircraft are ready for their missions at any given time, according to congressional testimony. With an ascendant China on the high seas and deep Defense Department budget cuts over the next decade, the Navy is facing “glaring deficiencies that are nothing short of alarming,” U.S. Rep. Randy Forbes, R-Va., chairman of the House Readiness Subcommittee said in July.

»Vice Adm. William Burke, deputy chief of naval operations for fleet readiness and logistics, told the committee that the Navy has “a limited supply of forces.” “When you have these additional deployments, you sometimes impact the maintenance, or you impact the training, which will impact the maintenance,” he said. “So what we have is one event cascading into another, so we don’t get either of them quite right.”»

• Il y a un peu moins d’un an, des chefs de l’U.S. Navy avaient déjà mis l’accent sur les difficultés énormes de l’U.S. Navy à remplir les missions qui lui sont demandées. Il s’agissait, dans ce cas, de répondre aux demandes de soutien naval aux opérations terrestres en cours, notamment en Afghanistan dans ce cas. Encore ces constats étaient-ils faits avant la crise budgétaire générale de juillet-août 2011, qui a entraîné depuis de nouvelles restrictions budgétaires, encore mal définies dans leur volume, et dont l’impact sera considérable dans les années à venir. (Il s’agissait d’un texte de Defense News, du 10 mai 2011.)

«“There's an insatiable demand for our forces,” Adm. John Harvey, head of U.S. Fleet Forces, told a lunchtime audience at a joint war-fighting conference here [Virginia Beach, Virginie.] “The requirements are being driven by the fight in Iraq and Afghanistan,” he said, without questioning those war-fighting operations. But for other missions, "in my view we haven't really prioritized them.” […]

»All the armed services are charged with meeting the requirements of combatant commanders, the all-important commanders of joint commands such as Central Command, which oversees operations in Afghanistan and Iraq.

»Last May, for example, Gen. David Petraeus, in charge of operations in Afghanistan, asked the Navy to ratchet up operations to maintain two, rather than one, carrier strike groups on station in the Arabian Sea to support combat operations in Afghanistan.

»The Navy turned to its Fleet Response Plan (FRP), a post-9/11 effort to make the fleet more responsive to meet operational surges. The Navy found it could not meet Petraeus’ 2.0 carrier group requirement, but has been able to sustain a 1.7 level, meaning two groups are on station about 70 percent of the time. Currently, the Enterprise strike group is supporting Afghan combat operations, with the Ronald Reagan group having just relieved the Carl Vinson group in the region.

»Adm. Gary Roughead, chief of naval operations, said earlier this year that the Navy was prepared to sustain those forces in the Central Command region for up to two years. But the FRP was never meant to be a long-term solution, Harvey said. “Surge capacity has become routine delivery,” he declared. “For almost 10 years the Navy has essentially been operating on a demand-driven model. We have to hit the reset button.”

»“Over the past 10 years, meeting the demand has generated a price to be paid,” Harvey said. “The piper will be paid in his time.” Part of that price has come in missed routine maintenance periods for ships, resulting in reduced service life and measurable increase in the number of failed material readiness inspections, Harvey said. “Since 2005 an average of 50 ships a year violate our maintenance red lines in order to meet our operational commitment,” he noted, adding that the number of ships failing inspections doubled from 2005 to 2009 to about 14 percent.»

Ces divers constats sont faits avec la précision, évidente d’ailleurs, que la situation n’est pas meilleure dans les autres forces. On sort ici du simple aspect quantitatif des effectifs, déjà en très forte réduction pour les forces armées US, à l’aspect concret et fondamental de l’emploi opérationnel des forces. De ce point de vue, la concentration navale des forces US dans le Golfe Persique et la Mer d’Oman constitue une mesure exceptionnelle qui ne peut être tenue sur le terme, tant elle déséquilibre complètement le dispositif naval global et handicape gravement d’autres théâtres d’opération (celui de l’Afghanistan, notamment, et celui du Pacifique). Plus encore, le théâtre européen (Atlantique, Mer du Nord et Baltique, et Méditerranée occidentale pour l’U.S. Navy) est aujourd’hui fortement, sinon décisivement affaibli. Cela a une signification puissante, notamment pour l’ensemble du Nord, Atlantique et Mer du Nord et Baltique, qui est pourtant confronté à une présence russe évidemment importante.

On comprend parfaitement les causes de cette situation générale qui se trouvent à la confluence de deux situations spécifiques. D’une part, l’effondrement des capacités de soutien, pour ne plus parler d’expansion, de la puissance militaire US à cause de la crise budgétaire et économique interne des USA, et aussi de la gestion catastrophique du Pentagone qui engloutit des sommes gigantesques dans du gaspillage, des erreurs de programmation, des faiblesses considérables de conception et de production. D’autre part, il y a les engagements multiples, qui tiennent aussi bien à la mission générale des forces de type global, et les multiples conflits et situations d’urgence qui caractérisent notre époque depuis 9/11. Ce dernier point est évidemment important, car il s’agit de missions hybrides, où des forces importantes sont mobilisées pour des missions souvent sans rapport avec leurs capacités, et d’ailleurs auxquelles leurs capacités sont mal adaptées, ce qui implique un emploi long et dispendieux pour des effets mineurs, voire des effets catastrophiques quand on considère le déroulement de nombre de ces “conflits hybrides”.

On peut dire qu’il s’agit là d’un effet indirect pervers de la G4G (guerre de la quatrième génération), ou guerre asymétrique, qui use des forces puissantes mais inadaptées pour des résultats incertains sinon négatifs. D’ores et déjà, cet aspect a évidemment pris le pas sur tout le reste et, en réalité, l’U.S. Navy n’est plus capable de remplir sa mission centrale qui est celle du contrôle des mers et de la supériorité stratégique navale. Plusieurs opérations ont déjà montré cette faiblesse de l’U.S. Navy, faiblesse stratégique centrale. On l’a vu lors de la guerre en Géorgie, où l’U.S. Navy a été complètement absente pendant l’essentiel de la crise, ou lors de la crise libyenne, où l’U.S. Navy s’est déchargée de la puissance navale centrale sur le Royaume-Uni et surtout sur la France. (France et UK, deux pays eux-mêmes en crise pour cette question des capacités militaires, puisque cette crise générale affecte tous les pays du bloc BAO, prisonniers de la politique-Système interventionniste, autant que d’une situation intérieure de crise profonde.).

Cette situation de crise de l’U.S. Navy complète celle de l’USAF, dont nous avons souvent parlé, et affecte ainsi la composante stratégique fondamentale de la puissance générale des USA. Il s’agit de la composante de projection des forces, qui permet d’affirmer un engagement général et une supériorité globale.


Mis en ligne le 29 février 2012 à 06H37