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4861Un conflit vient d’éclater dans les dédales d’un pouvoir en crise à Washington, qu’on peut juger d’une importance opérationnelle mineure mais d’une grande importance symbolique, avec l’enjeu de la pérennité du pouvoir suprême sur les forces armées, – qui est, selon la Constitution US, absolument le privilège fondamental du Président, désigné dans cette même Constitution directement sous le titre éminemment militaire de Commandant-en-Chef de ces mêmes forces armées. Le conflit oppose l’US Navy et le Président. Il porte sur le sort d’un membre de l’unité d’élite des forces spéciales de la Navy, les SEAL.
(SEAL : Acronyme de SEa, Air and Land, mais aussi jeu de mots pour seal, qui signifie “phoque”. Les SEAL sont très “sexy” et très présents dans les blockbusters patriotiques et rouleurs de mécanique d’Hollywood depuis qu’ils ont mené l’opération d’élimination de ben Laden, opération qui reste, dira-t-on charitablement en citant Churchill dans une des traductions de son jugement du pouvoir soviétique,« un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme ».)
La semaine dernière, le président Trump avait gracié trois membres de diverses forces spéciales (Army & Navy) impliqués et/ou condamnés dans des affaires de crimes de guerre. L’un de ces trois hommes est le Premier Maître Edward R. Gallagher, des SEAL, qui s’était vu dégradé à l’issue d’un procès en cour martiale dans plusieurs affaires de crimes en guerre en Irak où il a servi jusqu’en 2017. La grâce prononcée par Trump impliquait le rétablissement de Gallagher dans son grade avec les diverses dispositions de la condamnation supprimées. Un article du New York Times signale que le Naval Special Warfare Command de la Navy, qui participe sous double casquette et sans céder son propre commandement au JSOC (Joint Special Operations Command, rassemblant les forces spéciales des trois armes), vient entretemps de décider d’ouvrir une procédure dite “examen Trident” à l’encontre de quatre membres des SEAL, dont Gallagher. L’“examen Trident” est une procédure visant à exclure le soldat visé des unités SEAL pour conduite inappropriée et indigne de ce corps, ce qui est symboliquement marqué par le retrait de l’insigne des SEAL (un trident). La procédure, qui est lancée en général dans des cas quasiment tranchés d’avance, impliquerait par conséquent l’expulsion de Gallagher des SEAL, en contradiction directe de la décision de pardon du président.
Un article de WSWS.org, qui s’attache à cette affaire à partir de l’article du NYT, nous précise :
« D'après les informations fournies par deux soldats non identifiés impliqués dans l'affaire initiale, le New York Times a rapporté que “cette décision pourrait mettre le commandant des SEAL, le contre-amiral Collin Green, en conflit direct avec le président Trump qui, la semaine dernière, a innocenté le marin, le premier maître Edward Gallagher, de toute peine judiciaire dans l'affaire des crimes de guerre. Les chefs militaires se sont opposés à cette action ainsi qu'à la grâce accordée par M. Trump à deux soldats impliqués dans d'autres affaires de meurtre.”
» En vertu des règlements de la Marine, l’insigne Trident d'un SEAL peut être retiré si un commandant perd “sa foi et sa confiance dans la capacité du soldat de montrer un jugement, une fiabilité et une conduite personnelle exemplaires”. Une telle mesure, qui a été prise 154 fois depuis 2011, met effectivement fin à la carrière militaire d'un SEAL. »
Même si la décision du contre-amiral Green n’est pas exactement le contraire de la décision du président, elle revient absolument au même (dans le cas probable de l’expulsion de Gallagher des SEAL), dans des conditions spectaculaires qui constituent sans aucun doute un défi à l’autorité présidentielle. Trump avait justifié sa décision de gracier les trois hommes dont Gallagher de cette façon : « Quand nos soldats doivent combattre pour notre pays, je veux leur donner la confiance nécessaire pour combattre. »
Bien entendu, le moment choisi pour ce conflit, – de la part des deux protagonistes avec leurs décisions d’ailleurs, Trump et les militaires ou une partie des militaires c’est à voir, – n’est pas innocent ; il de plus complètement explosif alors que se poursuivent les procédures pour une mise en accusation en vue d’une destitution du président. WSWS.org présente de cette façon les conditions d’un conflit qu’il qualifie, sans exagération aucune, d’“extraordinaire” :
« L’affrontement entre l’amiral Green et le président est une manifestation extraordinaire du conflit qui fait rage à Washington entre la communauté de sécurité nationale et la Maison-Blanche de Trump.
» Selon le rapport du Times, “un officier de la marine qui a parlé des détails de l'action a dit que l'amiral était en train de prendre sa décision [concernant notamment Gallagher] en sachant évidemment que cela pourrait mettre fin à sa carrière, mais qu'il avait le soutien de l'amiral Michael M. Gilday, le chef des opérations navales[chef d’état-major de l’US Navy], et Richard V. Spencer, le secrétaire de la marine”.
» Interrogé par des journalistes sur la position de l'amiral Gilday sur la question, son porte-parole, le Capitaine de Vaisseau Nate Christensen, a déclaré mardi que l'amiral “soutient ses commandants dans l'exécution de leurs missions, y compris le contre-amiral Green”. L'une des raisons pour lesquelles les dirigeants militaires s'opposent au pardon de Trump à l'égard des criminels de guerre est qu’ils craignent qu’il ne signale une défense beaucoup trop ouverte de la dépravation et du comportement sanguinaire des soldats américains, tant sur le plan intérieur que dans le monde.
» La confrontation entre le Président et le commandement naval a lieu au beau milieu de la procédure de destitution du Congrès, qui a tenu sa quatrième journée d'audiences mercredi devant la Commission des renseignements de la Chambre. Comme cela devient de plus en plus clair, la campagne de destitution menée par les démocrates en coopération avec d'importantes factions du renseignement militaire porte sur l'orientation de la politique étrangère et militaire américaine et non sur des questions démocratiques fondamentales.
» Cependant, l'ouverture d'un conflit entre le plus haut commandement militaire et la Maison-Blanche soulèverait certainement des questions démocratiques fondamentales puisque, selon la Constitution, le président est le “Commandant en Chef de l'armée et de la marine des États-Unis”. »
La confusion au niveau de l’information, dont on a en ce moment tant d’échos, est telle qu’on trouve dans le NYT des interventions et des observations complètement dénuées d’intérêt, sinon franchement décalées par rapport au cœur de la question qui n’est rien de moins qu’un acte d’insubordination absolument inconstitutionnel. Ceci, par exemple :
« “Le fait qu’un commandant retire cet insigne après qu'un gars ait tant souffert pour la mériter, c'est à peu près la pire chose que l'on puisse faire”, a déclaré Eric Deming, un officier supérieur à la retraite qui a servi 19 ans dans les SEAL. “Cela revient à vous ôter complètement votre identité”.
»“Pourquoi feraient-ils ça à quelqu'un comme Gallagher ?” dit Deming, qui n'est pas impliqué dans cette affaire. “Je pense que les dirigeants ont l'impression d'avoir perdu la confiance du peuple américain et qu'ils veulent la reconstruire. Ils essaient donc de montrer que des hommes qui le méritent seront tenus pour responsables.” »
Bien entendu, cette sorte d’explication évacue complètement la dimension politique de l’affaire, dont l’exotique et original WhatDoestItMeans, site au mystère confus et notablement célèbre, fait au contraire une occurrence explosive comme il en déniche en ce moment une par jourà “D.C.-la-folle”, avec relais moscovite : « US Navy Openly Defies Trump While Shockingly Ordering US Army To Train With Communist China Troops » (malgré le teneur du titre, il est effectivement question aussi de l’affaire Gallagher).
Il faut d’abord noter que la décision de Trump concernant la grâce de trois soldats porte sur des hommes de forces spéciales, souvent en rapport, venues d’elles ou destinés à y retourner, avec des milices armées existant dans un certain nombre d’Etats US. (Pour cette raison, WSWS.org qui n’est nullement avare des divers qualificatifs qu’on trouve dans cette définition, qualifie la décision de Trump d’« effort pour renforcer le soutien que lui apportent les éléments fasciste et d’extrême-droite à l’intérieur des militaires US ».)
Gallagher était un tireur d’élite du type-sniper dans les SEAL, un peu à la manière du héros du film éponyme de Clint Eastwood. Il apparaît évidemment très probable qu’il devait avoir des contacts avec ces milieux des milices armées aux USA ; qu’il est également probable, ou en tous les cas possible, qu’il devrait les rejoindre ou en être proche après son départ des SEAL puisque, dégradé et exclu ou pas, son intention était et reste de quitter très prochainement les forces armées. Dans cette hypothèse, on peut considérer l’hypothèse de l’explication que Trump cherche à tenir prêts des éléments armés (les milices civiles, mais aussi dans les sociétés privées de sécurité qui emploient d’anciens soldats des unités d’élite), pour intervention en cas de circonstances s’apparentant à un coup de force contre lui.
De même, et toujours selon cette hypothèse, on peut avancer l’idée que l’US Navy, qui n’apprécie guère, comme les autres services, ces unités paramilitaires aux USA (même si le Pentagone fait appel à des services et milices privés), agit dans ce cas directement contre cette situation. Mais il y a bien sûr le combat politique plus général autour de Trump, et alors l’US Navy (et quels autres services ?) y apparaîtrait comme dans le camp des adversaires de Trump. On peut d’autant plus parler de l’US Navy dans son ensemble, s’il se confirme que le contre-amiral Green a le soutien de son chef d’état-major et même de son ministre (quoique les ministres des trois armes aient fort peu de poids politiques dans l’équation du Pentagone, au contraire bien entendu des chefs d’état-major).
Quoi qu’il soit, nous en restons pour l’instant à l’usage des hypothèses quant à la signification de l’événement. Il reste qu’un tel cas d’insubordination, sur un cas de peu d’importance mais dans une période si sensible et exposé d’une façon si spectaculaire, ressemble à une provocation, à un acte d’affirmation politique. Il est alors d’autant plus extraordinaire par son caractère inconstitutionnel flagrant et relève de la forfaiture et de la sédition dans l’esprit de la chose d’une part, et considéré du point de vue contraire d’une affirmation très clairement exposée que l’on juge ce président comme étant lui-même inconstitutionnel d’autre part.
(Les officiers du gouvernement, les militaires et autres fonctionnaires ont dans le cas où on les accuse de forfaiture et de sédition un argument très puissant pour justifier leurs gestes et leurs actes éventuels : ils prête serment d’allégeance à la Constitution des Etats-Unis, – « Je jure de respecter et de défendre la Constitution des Etats-Unis », – et non au Président.)
Tout cela, bien entendu, en attendant la réaction de Trump, – s'il y pense...
Mis en ligne le 21 novembre 2019 à 17H05
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