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134424 octobre 2008 — L’USAF, qui est le service le plus impliqué dans la mise en cause générale du Pentagone, s’enfonce dans un labyrinthe de décisions et d’interprétations qui a pour thème son équipement en avions de combat, qui implique par conséquent les programmes F-22 et F-35, alias JSF. Là-dessus vient de se greffer le sort des avions de combat actuellement en service (les F-15 et F-16). Le tout représente une situation sans précédent, avec de multiples implications, y compris politiques dans les domaines national et international (JSF, grand programme de coopération), mais aussi stratégiques, dans le domaine de l’équipement des forces aériennes des USA, – voire plus encore, dans le domaine de la représentation de ce que pourrait être l’esquisse d’un effondrement de la puissance militaire US, – sans nécessité de guerre pour cela (toujours les termites].
• La première décision n’est pas officielle, ni officiellement confirmée. Elle concerne le retrait d’un nombre important d’avions de combat (plus de 300) en 2010, alors que l’USAF prévoyait de n’en retirer que 11. La nouvelle a été diffusée il y a une semaine par InsideDefense.com. Reuters relayait l’information le même jour, écrivant notamment: «The U.S. Air Force is seeking to retire early more than 300 fighter aircraft next year to save $3.4 billion in the hope of funding advanced Lockheed Martin Corp fighters and other modernization efforts, a published report said on Wednesday, citing internal Pentagon documents. The plan would retire 137 F-15 and 177 F-16 fighters plus nine A-10 close air support attack aircraft as much as 11 years before the end of their scheduled useful lives, InsideDefense.com, an online news service, reported.» Le 21 octobre, Flight International précisait qu’ainsi ce seraient $8,4 milliards qui seraient sauvegardés pour servir de fond pour l’acquisition de nouveaux chasseurs (F-35/JSF notamment): «That proposal comes less than three months after Schwartz told lawmakers the Department of Defense would contribute an extra $5 billion to the USAF's fighter recapitalisation account, with part of the proceeds flowing to the JSF account.»
• Cette décision réduit de façon substantielle la flotte disponible d’avions de combat (F-15 et F-16), les ramenant d’à peu près 1.800 à à peu près 1.500. Le Daily Report du 17 octobre précisait l’état des effectifs actuels, dont il faudrait substituer les 314 F-15 et F-15, représentant 33% et 15% de la flotte correspondante, ces avions opérant souvent avec des mesures sérieuses de restriction de vol: «The Air Force total inventory, as of Aug. 31, included 420 F-15 A-to-D models and 1,205 F-16C/Ds. The 44 F-15A/Bs in the fleet average nearly 31 years in age, while the 376 F-15C/Ds have a little more than 25 years under their belt on average. (The service also has 223 multirole F-15Es, the newest of the F-15 fleet.) All F-15 A-Ds, save seven, operate under some flight restrictions. And the seven that don’t are grounded, according to the Air Force data. The F-16s are nearly 19 years old on average. Twenty-two of them are grounded and another 13 operate under some flight restrictions.»
• Les précisions données quant à la destination des fonds ainsi libérés sont surtout disponibles dans le texte de Flight International déjà cité. L’appréciation concerne essentiellement le F-35/JSF.
«“You kind of look at it and say the air force is serious here," says Doug Royce, aerospace analyst for Forecast International. "This shows they're willing to sacrifice the force size and take some risk to buy more JSFs.” Both proposals, if approved in the FY2010 spending plan, would help the USAF reach its newly stated goal to nearly double annual F-35 orders. The USAF is planning to buy 1,763 F-35As. […]
»[…T]he USAF appears to be gambling that the benefits of buying F-35s faster will compensate for a short-term fighter shortfall caused by the early retirements of 137 Boeing F-15s, 177 Lockheed F-16s and nine Fairchild A-10s. At his July confirmation hearing, Schwartz said the F-35 would be the centrepiece of his plan to shrink the average age of the USAF's aircraft inventory from 24 years to 15 years by 2030.»
• Pour autant, la décision de l’USAF, soumise à l’approbation du Congrès, n’est pas assurée d’avoir le soutien espéré, et, pas plus, d’être suffisante pour obtenir le résultat espéré de rétablir le rythme de production du F-35/JSF de 48 à 110 par an. Toujours Flight International:
«It remains unclear how much of the $8.4 billion spending package would be devoted to the F-35 programme and even how much impact that would have. Currently, the USAF plans to spend $5 billion in FY2013 to buy 48 fighters, or roughly $104 million per aircraft.
»Richard Aboulafia, a Teal Group vice-president, also noted that savings from operations and maintenance budget rarely flow into procurement accounts. Another flaw with the USAF's plan is potential opposition from Congress, which typically opposes aircraft retirements. “They like jobs, and they like force structure,” Aboulafia says. “I think it's prudent to expect air force F-35A procurement to stay at about 48 a year. But the big variable is added funding for F-22s. That, of course, would largely come out of F-35 funding, which probably helps explain the air force's desire to bolster the F-35.”»
• Plus encore, la manœuvre de l’USAF se place dans une appréciation générale où certains observateurs voient surtout le désir de soutenir indirectement le F-22, ce qui apparaît déjà dans la remarque d’Aboulafia, – donner plus d’argent au F-35 pour pouvoir le lui reprendre et le transférer au F-22. («But the big variable is added funding for F-22s. That, of course, would largely come out of F-35 funding, which probably helps explain the air force's desire to bolster the F-35.»).
• Cette idée récurrente (la faveur de l’USAF pour le F-22) est largement exprimée dans un article d’Aviation Week & Space Technology du 20 octobre (accès payant). On trouve tout ce qu’il faut, dans cet extrait; l’annonce de la disposition des fonds pour produire 20 F-22 de plus; l’enchaînement qu’une décision positive installerait pour une production étendue au-delà de ces 20 exemplaires de plus; l’urgence où se trouvera la nouvelle administration de prendre une décision sur le cas; jusqu’à l’argument sempiternel sur la tendance d’une nouvelle administration démocrate (le raisonnement prenant en compte implicitement une victoire d’Obama) de paraître “ferme sur les questions de défense”, donc de décider en faveur d’une production supplémentaire du F-22.
«The decision to build 20 more F-22s—which would push the total U.S. Air Force buy to 203 Raptors—has been punted to the next administration. But contrary to what outsiders may think, aerospace industry analysts with insight into the F-22 program contend that a Democratic administration would feel obligated to spend more on defense projects for at least the first two years of the new administration to prove itself strong on defense. […]
»Change of command at the White House comes at a critical time for the F-22 program. Continued production of the only fifth-generation fighter is in question, and critical modification and upgrade projects are on hold.
»The four congressional defense authorization and appropriation committees have approved $523 million in advance procurement for 20 F-22s of lot 10 that would take the fleet’s total to 203 from 183 stealthy fighters. However, authorizers are only allowing $140 million to be spent through Mar. 1, 2009, when the new administration will have to make the decision to either use the money to build more aircraft or terminate the program. That gives the next administration only four-and-a-half weeks to make up its mind about the fate of the only fifth-generation fighter production line.»
Quel enseignement tirer de toutes ces nouvelles, plus ou moins inédites, plus ou moins resucées, mais décrivant parfaitement l’imbroglio où se trouve l’USAF? Le cas des avions de combat en général est particulièrement intéressant, notamment à cause des implications qu’on connaît (importance stratégique et politique du programme JSF), mais aussi, pour cette occurrence, par ce qu’il nous montre, confronté à d’autres facteurs, de la crise de l’USAF et du Pentagone en général.
Dans ce qui nous est présenté ci-dessus, on trouve des calculs, des manœuvres, de la comptabilité, etc. Comme à l’habitude, il nous semble raisonnable d’accueillir les espoirs de l’USAF d’accélérer la production du F-35, – dont nul ne sait quand elle pourra accélérer, ce qu’elle coûtera, etc., – on connaît la chanson avec le JSF, – par un haussement d’épaules ou par un petit rire nerveux c’est selon. Ces $8,4 milliards que l’USAF va “économiser” paraît-il par divers moyens, dont celui de “déclasser” plus de 300 avions de combat, vont disparaître dans l’habituel trou noir du Pentagone ou bien serviront à on ne sait quoi, éventuellement aux cigarettes des supplétifs de Blackwater en Irak. Tout cela fait partie de l’habituelle manœuvre bureaucratique, sans aucun sérieux, sans le moindre espoir de parvenir à quelque réalité comptable concrète, sur fond extraordinaire de gaspillage, de corruption et d'une comptabilité extra-terrestre.
Par contre, nous sommes confortés dans notre appréciation que le véritable but de l’USAF, chronologiquement, c’est de renforcer sa dotation de F-22, de faire du F-22 l’épine dorsale de sa structure, quitte à nourrir la production de ce modèle sur les budgets du F-35/JSF. La présentation de ces différentes nouvelles conduit à observer que l’adhésion de l’USAF au F-35, présentée en termes affirmatifs dans la dépêche Reuters, reste une adhésion de circonstance, d’autant plus que les problèmes du F-35/JSF tendent à éloigner sur un terme confortable la concrétisation de son engagement. La manœuvre de l’USAF consiste surtout à éventuellement justifier de prendre immédiatement de l’argent sur le programme F-35 pour fabriquer plus de F-22, en arguant du fait qu’on fait des économies pour renforcer plus tard le F-35, – et, de ce point de vue-là, après eux le déluge!
Toutes ces manœuvres sont surtout une confirmation de tendances qu’on connaît déjà, ce qui nous conduit à observer une seule chose d’essentielle dans ce qui nous est soumis, – que la faveur de l’USAF pour le F-22, par le biais d’un soutien de parade pour le F-35, conduit à la proposition d’une éventuelle décision ferme particulièrement spectaculaire: le retrait avancé à 2010 de plus de 300 avions de combat, la réduction de la force de F-15/F-16 de l’USAF, d’un peu plus de 1.800 à autour de 1.500. Du coup, nous voici dans le réel.
Cette décision, si elle est confirmée, représente une très sérieuse amputation de la puissance globale de l’USAF. (Encore plus si l’on considère l’état des avions restant en service, comme nous les décrit le Daily Report d’AFA.) Cette force aérienne, l’USAF, jusqu’alors évoluant selon des normes de puissance par le nombre et la structuration de soutien sans aucun équivalent, se rapproche de plus en plus d’une situation de réduction caractéristique. Il faut ajouter à cette décision de réduction envisagée des forces de combat tactiques, le cas du remplacement des KC-135 de ravitaillement en vol, qui est bloqué comme l’on sait, peut-être à un délai de 5-7 ans pour l’arrivée d’un remplaçant, sans aucune garantie qu’on s’en tienne là. L’affaiblissement dans ces deux domaines complémentaires, – le volume de la puissance tactique projetable dans le monde et le moyen stratégique d’assurer cette projection, – constituerait/constitue une démarche fondamentale d’affaiblissement qui touche la substance de la chose. Elle ferait passer l’USAF d’une position de puissance absolue à une position de puissance relative, où l’USAF se rapproche en s’abaissant vers d’autres puissances aériennes existantes.
Le concept de puissance américaniste, surtout dans ce domaine de la puissance aérienne, est fondé sur une vision absolutiste (aucune autre puissance ne peut se comparer), aussi bien dans le domaine de la structure de puissance (nombre) que dans celui de l’espace de la puissance (projection stratégique). Ce sont les fondements de l’organisation de la puissance américaniste, son oxygène, sa raison d’être. L’évolution de l’USAF, extrêmement rapide au demeurant, est en train de mettre en cause ces caractères fondamentaux. D’autre part, les causes de cette évolution sont la poursuite du développement de nouveaux programmes absolument incontrôlables, dont nul ne sait plus ce qu’il en sortira exactement, qui sont pour l’instant des puits sans fond d’importantes parts budgétaires. La facilité avec laquelle l'USAF envisage une telle orientation montre un manque de conscience notable des risques courus, un processus très avancé de bureaucratisation (la recherche des programmes les plus avancés) des conceptions aux dépens des capacités opérationnelles.
La question que nous serions conduits à poser est de savoir si cette évolution fait partie de ce que certains désignent comme la prochaine crise de l’américanisme, la prochaine “bulle” à exploser, qui serait le complexe militaro-industriel. On a déjà lu William Pfaff là-dessus. Nous signalons aussi un texte de Walden Ballo, du 1er octobre, qui ne traite pas spécifiquement de ce sujet, mais qui se termine sur cette interrogation:
«The key questions now are: How deep and long will this recession be? Does the US economy need another speculative bubble to drag itself out of this recession? And if it does, where will the next bubble form? Some people say the military-industrial complex, or the “disaster capitalism complex” that Naomi Klein writes about, is the next one, but that's another story.»
“Another story”, – ou bien l'histoire a-t-elle déjà commencé?
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