L’USAF et l’Evangile selon Von Braun

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Un épisode bref mais significatif, conduit par le site Truthout.org, nous rappelle les fondements d’une des forces essentielles de l’américanisme, qui est le système du technologisme et le prolongement de l’“idéal de puissance”, – ainsi que la similitude métahistorique des courants pangermaniste et panaméricaniste. Cet épisode concerne l’USAF, un des fondements, là aussi, de la puissance technologique des USA (système du technologisme) et du complexe militaro-industriel, lesquels sont à leur tour un domaine essentiel de l’américanisme qui est l’expression essentielle de l’Amérique et de l’American Dream. Tout cela n’est pas Tea Party, que le monde conformiste du Système dénonce comme une sorte de résurgence du fascisme et du nazisme, – ou du bolchévisme, comme on nous l’indique curieusement ici et là, – mais tout cela laisse bien loin derrière la grossière représentation (Tea Party menace le monde) à laquelle nous assistons aujourd’hui.

Dans le chef des révélations de Truthout.org, il s’agit d’un cas symbolique qui témoigne de la puissance extraordinaire de certaines racines, révélé le 27 juillet 2011 par Truthout.org. (Dans les citations de Von Braun, les passages soulignés de gras le sont dans le texte original de la présentation.)

«The United States Air Force has been training young missile officers about the morals and ethics of launching nuclear weapons by citing passages from the New Testament and commentary from a former member of the Nazi Party, according to newly released documents. The mandatory Nuclear Ethics and Nuclear Warfare session, which includes a discussion on St. Augustine's “Christian Just War Theory,” is led by Air Force chaplains and takes place during a missile officer's first week in training at Vandenberg Air Force Base in California. St. Augustine's “Qualifications for Just War,” according to the way it is cited in a 43-page PowerPoint presentation, are: “to avenge or to avert evil; to protect the innocent and restore moral social order (just cause)” and “to restore moral order; not expand power, not for pride or revenge (just intent).” […]

»Included with the PowerPoint presentation are more than 500 pages of other documents [6] pertaining to a missile officer's first week of training, which takes place before they are sent to one of three Air Force bases to guard the country's Intercontinental Ballistic Missile (ICBM) arsenal and, if called upon to do so by the president, launch their nuclear-armed Minuteman IIIs.

»One of the most disturbing slides quotes Wernher Von Braun [8], a former member of the Nazi Party and SS officer. Von Braun is not being cited in the PowerPoint as an authority on a liquid hydrogen turbopumps or a launch vehicle's pogo oscillations, rather he's specifically being referenced as a moral authority, which is remarkable considering that the Nazi scientist used Jews imprisoned in concentration camps, captured French anti-Nazi partisans and civilians, and others, to help build the V-2, a weapon responsible for the death of thousands of British civilians.

»“We knew that we had created a new means of warfare and the question as to what nation, to what victorious nation we were willing to entrust this brainchild of ours was a moral décision more than anything else,” Von Braun said upon surrendering to American forces in May 1945. “We wanted to see the world spared another conflict such as Germany had just been through and we felt that only by surrendering such a weapon to people who are guided by the Bible could such an assurance to the world be best secured.”»

Après la publication de l’analyse de Truthout.org, il y a eu une réaction très rapide de l’USAF, annonçant que les matériaux de présentation incriminés étaient retirés de la présentation pour faire l’objet d’une enquête, jusqu’à une nouvelle décision à leur égard. On doit souligner la rapidité de cette décision, qui confirme d’une part une fois de plus qu’Internet est devenu un type de communication aussi fondamental que la communication parlé et télévisée, ou la communication écrite et imprimé, dans ses effets publics ; d’autre part, l’extrême sensibilité de l’USAF à la question soulevée. (Il faut préciser que l’importance du cas est sans aucun doute que cet endoctrinement de la non-responsabilité morale concerne un domaine absolument capital puisqu’il s’agit de la formation “morale” des cadres de la force nucléaire stratégique offensive des USA, plus précisément des missiles ICBM de l’USAF.)

Le 29 juillet 2011, Truth.org annonçait le développement, avec la réaction immédiate de l’USAF.

«The Air Force, in response to a report published by Truthout earlier this week, has pulled a Christian-themed training session that used a quote from an ex-Nazi SS officer and numerous passages from the New and Old Testament to teach missile officers about the morals and ethics of launching nuclear weapons.

»The Nuclear Ethics and Nuclear Warfare training session “has been taken out of the curriculum and is being reviewed,” said David Smith, chief of public affairs of Air Education and Training Command at Randolph Air Force Base in Texas. “The commander reviewed it and decided we needed to have a good hard look at it and make sure it reflected views of modern society.”

»Smith said the ethics training has been in place for “20-plus years” and the decision to remove it was made on Wednesday after Truthout's report was published. He added that it will now be “given thorough scrutiny” and “folks will be appointed to look at what we have and determine its utility and if they think its useful to continue having an ethics course they will develop a new course.”»

Il ne s’agit certainement pas d’un incident isolé, d’une anecdote ou d’une aberration de passage, mais d’un exemple à forte connotation symbolique comme il y en a épisodiquement d’une longue tradition qui touche un flux essentiel de l’américanisme, – du complexe militaro-industriel à Wall Street, à certaines pratiques socio-industrielles en général, à certains aspects du développement scientifique et aux affirmations idéologiques qui parsèment la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Les références à Von Braun, ancien nazi et ancien officier de la SS récupéré prestement avec des centaines d’autres cadres de même origine lors de l’opération Paper Clip de 1945-1946, sont des choses communément admises dans les marges idéologiques de l’ensemble militaro-industriel, surtout dans ses activités aéronautiques et spatiales. L’USAF se distingue également par des tendances religieuses radicales marquées, particulièrement au sein de son Académie nationale où sont formés ses officiers (voir le 30 avril 2005).

On trouvera sur ce site divers textes qui documentent ces tendances originelles dont le complexe militaro-industriel fut et reste la principale courroie de transmission au sein de l’américanisme, l’USAF en étant la branche la plus active, au niveau de la communication et parfois de manifestations plus exotiques. On s'arrête à une publication du 26 janvier 2003, avec deux extraits de textes particulièrement intéressants.

• Un extrait du livre City of Cristal, de Mike Davies, résumant les débuts idéologiques du complexe militaro-industriel en Californie du Sud, marqués par une affirmation sans nuance du suprématisme anglo-saxon, voire “nordique” ou “aryen”. Comme ces choses se passent en 1935-1936, ces mots ont une signification considérable. Il faut insister sur le fait qu’à cette époque, la composante militaire est totalement absente, alors que l’industrie aérospatiale naissante est le bras armé de l’intégration technologique dans le mouvement. La branche scientifique s’embarrasse moins des ukases raciaux des idéologues du mouvement puisqu’elle intègre, via le Californian Institute of Technology (CalTech), des scientifiques juifs de première dimension, comme Albert Einstein lui-même. A partir de 1942, et massivement à partir de 1944-45, le mouvement perdra son aversion anti-fédérale et anti-Roosevelt, avec l’arrivée massive de la composante militaire. Le Complexe s’installe dès lors au cœur de la puissance américaniste, dont il devient le moteur et, sans doute, bien au-delà, l’inspirateur. (On peut lire d’autres textes, sur ce site, concernant cette problématique de l’orientation idéologique et des spécificités du Complexe à son origine, – par exemple le 19 août 2008.)

«In his role as Cal Tech's chief booster, Millikan increasingly became an ideologue for a specific vision of science in Southern California. Speaking typically to luncheon meetings at the elite California Club in Downtown Los Angeles, or to banquets for the Associates at the Huntington mansion, Millikan adumbrated two fundamental points. First, Southern California was a unique scientific frontier where industry and academic research were joining hands to solve such fundamental challenges as the long-distance transmission of power and the generation of energy from sunlight. Secondly, and even more importantly, Southern California “is today, as was England two hundred years ago, the westernmost outpost of Nordic civilization”, with the “exceptional opportunity” of having “a population which is twice as Anglo-Saxon as that existing in New York, Chicago or any of the great cities of this country”.

»Millikan's image of science and business reproducing Aryan supremacy on the shores of the Pacific undoubtedly warmed the hearts of his listeners, who like himself were conservative Taft-Hoover Republicans. An orthodox Social Darwinist, Millikan frequently invoked Herbert Spencer (the ”great thinker”) in his fulminations against socialism (“the coming slavery”), the New Deal (“political royalists”), Franklin Roosevelt (“Tammanyizing the United States”), and “statism” in general. In the face of breadlines, he boasted “the common man ... is vastly better off here today in depressed America than he has ever been at any other epoch in society”.»

• Le deuxième texte est une interview de interview de Nick Cook, journaliste de Jane’s Defence Weekly et auteur de livres sur le black world du Pentagone, et sur les liens indirects et implicites, mais significatifs, entre le Pentagone et la nébuleuse de la science nazie et SS dans le domaine aussi bien des armements que de la recherche fondamentale. Cook, qui est un journaliste scientifique et technique, sans aucune qualification politique ou idéologique, s’en tient au conformisme de rigueur dans ces domaines et reste extrêmement prudent dans ses affirmations. Celles-ci, dont on doit deviner la substance cachée, n’en sont que plus impressionnantes. Il y a un lien indirect évident, certainement des perceptions et des conceptions similaires, dans le domaine scientifico-militaire, entre les nazis, et spécialement la SS, et le Pentagone à ses origines. Il s’agit du pendant de l’aspect idéologique vu plus haut. Par ailleurs, on retrouve ici la continuité métahistorique du système du technologisme orienté par l’“idéal de puissance”, qui est d’effectuer un transfert de sa dynamique de puissance entre le pangermanisme et le panaméricanisme (du pangermanisme vers le panaméricanisme), progressivement dans la période englobant les deux guerres mondiales. La liquidation radicale du régime nazi compléta l’opération. Du point de vue de l’“idéal de puissance”, le panaméricanisme est l’héritier du pangermanisme qui a pris son envol en 1890.

«…[W]e know the size and scope of Operation Paperclip, which was huge. And we know that the U.S. operates a very deeply secret defense architecture for secret-weapons programs that we know as the black world. It is a highly compartmentalized system and one of the things that's intrigued me over the years is, How did they develop that? What model did they base it on?

»It is remarkably similar to the system that was operated by the Germans —specifically the SS — for their top-secret weapons programs during the Second World War. Now, did someone, Hans Kammler or anyone else, provide that model lock, stock, and barrel to the U.S. government at the end of the war? I don't know the answer to that, but given the massive recruitment that went on under Paperclip, and given what we see in the black world, it might not be unreasonable to ask those questions. [...]

»I’m not for a second saying that there is direct linkage there. What I do mean is that if you follow the trail of Nazi scientists and engineers who were recruited by America at the end of the Second World War, the unfortunate corollary is that by taking on the science, you take on—unwittingly—some of the ideology. The science comes over tainted with something else. And that something else you have to be very careful of. It carries unpleasant side effects with it, in that if you're not careful, you lose sight of what it is you're protecting. What you're ultimately trying to protect is U.S. national interest and U.S. security. But not at any cost. I think that's the point that many people make who've brushed up against the black world and found their human rights violated by it. Not many have, but certainly some have. Those people question whether that unswerving loyalty to protecting high technology was worth it. What do you lose along the way? You lose some democracy, perhaps. »


Mis en ligne le 1er août 2011 à 08H33