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382Il y a toujours de l’espoir de rire un peu, même au bord de l’apocalypse, car les voies de la bureaucratie dans l’enfermement de sa pensée, intangible et sérieuse comme un pape, sont insondables et elles semblent infinies… Donc, rassurons-nous (pour le rire). Ainsi l’USAF, la plus puissante force aérienne du monde, au cas où on l’ignorerait dans les rangs, a décidé, peut-être en interprétant mal les consignes, de bloquer pour ses troupes vertueuses l’accès aux journaux qui ont relayé Wikileaks, – soit, le New York Times, le Guardian, le Monde, Der Spiegel, El Païs… Plus une vingtaine d’autres sites qui auraient mis en ligne des documents transmis par Wikileaks, qui sont et demeurent classified. (Peut-être dedefensa.org, who knows ?) (Rentrées chez elles, ces mêmes troupes ne seraient pas poursuivies si elles consultaient ces sites ; de même, si elles jettent un coup d’œil sur la première page du NYT affiché sur la pancarte d’un vendeur de rue…). Eventuellement, cela pourrait faire un beau cas de jurisprudence…
C’est RAW Story, du 14 décembre 2010, qui rapporte le nouvelle, à partir du Wall Street Journal.
«The United States Air Force has blocked access from its computers to news websites that have published State Department cables obtained by WikiLeaks, the Wall Street Journal reports. As a result, Air Force staffers who want to check out the news will no longer be able to access the New York Times, the UK's Guardian, Germany's Der Spiegel and about two dozen news sites that the Air Force says have published leaked documents.
»Air Force spokeswoman Major Toni Tones told the WSJ that the move is meant to keep classified documents off unclassified computers. She would not say which websites are being targeted for blocking, but the WSJ reports that Spain's El Pais and France's Le Monde are among the censored sites.
»The WSJ reports:
»“Air Force users who try to view the websites of the New York Times, Britain's Guardian, Spain's El Pais, France's Le Monde or German magazine Der Spiegel instead get a page that says, "ACCESS DENIED. Internet Usage is Logged & Monitored," according to a screen shot reviewed by The Wall Street Journal. The notice warns that anyone who accesses unauthorized sites from military computers could be punished....”
»The move was ordered by the 24th Air Force, commanded by Major Gen. Richard E. Webber, following the late November publication of U.S. diplomatic cables. The Army, Navy and Marines aren't blocking the sites, and the Defense Department hasn't told the services to do so, according to spokespeople for the services and the Pentagon. An unnamed defense official told the WSJ that the Air Force's order may be a “misinterpretation of military guidance” regarding visiting websites featuring classified documents.
»The Air Force notes that employees are not banned from viewing the sites at home or at non-work computers.»
@PAYANT Depuis plusieurs années, l’U.S. Air Force marche sur des œufs, évoluant de catastrophes en catastrophes. Les plus fameuses d’entre elles, on les connaît, se nomment F-22, KC-X et JSF (programme destiné aux trois armes, mais dont l’USAF est le principal utilisateur). Depuis juin 2008, où le secrétaire à la défense liquida d’un coup et fort brutalement le chef d’état-major de la force et son ministre attitré, l’USAF a reçu des dirigeants choisis sur mesure par Gates pour obéir au doigt et à l’œil. Il s’est agi surtout de bureaucrates prudentissimes qui n’osent plus prendre d’initiatives, qui ne cherchent qu’à aller au-devant des désirs du secrétaire à la défense, qui ne songent qu’à prendre toutes les précautions possibles. Les programmes contestés, notamment le KC-X, ont été l’objet de tant d’avatars qu’ils sont désormais l’objet d’une attention et d’une micro gestion d’une telle prudence qu’on parvient ainsi à une sorte de paralysie bureaucratique, – et c’est bien par excès quasi pathologiques de prudence et de crainte de nouvelles catastrophes que l’USAF fait du sur-place pour le KC-X. Nous serions assez tentés de mettre au compte de cette attitude obsessionnelle de l’USAF cette étonnante interprétation de consignes qui n’en sont pas. Prenant une circulaire sur l’affaire Wikileaks avec les précisions sur les journaux qui diffusent les documents du département d’Etat pour une véritable “liste noire”, l’USAF a aussitôt ordonné une censure à l’encontre de ces journaux au même titre que dans le cas de Wikileaks.
D’une certaine façon, si Assange se trouvait en difficultés, notamment suite à des pressions US pour une extradition, ses avocats pourraient se référer à cette gaffe de l’USAF, assimilant les journaux qui ont diffusé le matériel de Wikileaks à Wikileaks lui-même, comme à une sorte de jurisprudence et pourraient demander par conséquent pour ses journaux un traitement égal à celui qui serait fait à son client. Cette idée est de plus en plus répandue aux USA, devant l’acharnement dont fait preuve l’administration Obama contre Assange, avec des observations que tous les journalistes qui “révèlent” des données et des documents officiels, comme Bob Woodward du Washington Post par exemple, sont au moins aussi condamnables qu’Assange selon la logique de l’administration. De telles perspectives impliqueraient évidemment des situations juridiques complètement absurdes et pousseraient encore plus loin le ridicule dans lequel l’affaire Assange, – du point de vue de ses problèmes avec la justice, – commence à s’abîmer.
Pour autant, on avancera l’hypothèse que la gaffe de l’USAF n’est pas seulement une gaffe, que c’est peut-être une sorte de lapsus calami (“erreur en écrivant”, pour la directive interdisant l’accès aux divers sites) inconsciente et révélatrice d’un état d’esprit. Dans ce cas, la réaction de l’USAF doit aussi être prise comme symptomatique à la fois du climat de crainte et de défiance qui règne aujourd’hui dans la bureaucratie du Système d’une part, de l’obsession du secret (et des techniques qui lui sont attachées) comme facteur fondamental, aussi bien du fonctionnement de la bureaucratie que de la défense de la bureaucratie contre les sournoises attaques de l’extérieur d’elle-même, d'autre part. La bureaucratie toute puissante, qui est la principale courroie de transmission du Système, est en même temps soumise aux pressions de la crise existentielle du Système, et la bureaucratie de l’USAF est certainement un cas en pointe à cet égard.
Dans cette même logique, on peut d’ores et déjà envisager que des réformes fondamentales vont toucher les bureaucraties du Système, surtout dans la composante de sécurité nationale, pour accentuer la protection des domaines classified de leurs réseaux d’information qui, en même temps, ne vont cesser de grossir en importance… Comme le montre la gaffe de l’USAF, – qui n’a même pas l’air d’être ressentie comme telle par l’USAF, – les réactions quasi fonctionnelles et ontologiques de la bureaucratie vont vers toujours plus de classified, toujours plus de cloisonnement, y compris lorsqu’un système est présenté comme intégré dans un ensemble général, comme c’était le cas de la “communauté de sécurité nationale” avec les câbles diplomatiques qui échouèrent chez Wikileaks. Le cloisonnement ne porte pas tant sur les sujets, les domaines considérés, etc., mais sur les esprits eux-mêmes entre eux, partageant tous ce cloisonnement du réflexe du classified et ne cessant d’étendre ce domaine. Contrairement, par exemple, au reproche du ministre australien des affaires étrangères fulminant contre le fait que plus de deux millions de personnes étaient réceptionnaires de ces documents, et demandant la réduction de ce nombre, c’est le contraire qui va être fait avec Cablegate : de plus en plus de documents classified, par conséquent de plus en plus de personnes réceptionnant ces documents mais n’ayant entre elles aucun lien, résolument cloisonnées entre elles. Il faudra donc un Wikileaks quelconque pour rompre ces cloisons en rassemblant, dans des fuites sans fin, les documents toujours plus classified, toujours en augmentation.
Mis en ligne le 15 décembre 2010 à 17H53
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