L’USAF se distancie du JSF et amorce son oraison funèbre

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Lors d’un petit déjeuner de presse, mardi à Washington, le général Schwartz, chef d’état-major de l’USAF, a déclaré qu’il était très content de l’évolution des essais et du développement de la version (F-35A) du JSF pour l’USAF et plutôt nettement préoccupé de l’évolution générale du programme. Pas de vraie contradiction, mais un mélange de rhétorique de tactique bureaucratique et un reflet de la complexité colossale de la catastrophe qu’est ce programme. Schwartz parlait après une réunion, lundi au Pentagone, au cours de laquelle l’amiral Venlet, nouveau patron du JPO (JSF Program Office) avait donné certaines des dernières nouvelles du programme JSF, – notamment les problèmes d’encodage du logiciel du programme.

Selon Reuters, le 23 novembre 2010 :

«Schwartz, […] said the Air Force variant of the new radar-evading fighter was ahead of schedule in terms of testing and flying hours, was reporting good software stability and had experienced no structural failures or problems.

»But there were lingering software and production issues, he added, noting that the Air Force was waiting for news from Venlet about whether that would postpone the April 2016 date for the Air Force to begin fielding the new fighters. “I'm still concerned on schedule primarily,” he said. “Software appears to be a potential pacing item here and that has me concerned in terms of deliveries.”

»Lockheed spokesman John Kent said the company was bringing in more software engineers and adding a new test line to accelerate work on the F-35's complicated software system, which involves over 8 million lines of code on board the new plane, and 20 million lines for the overall program.»

Notre commentaire

@PAYANT L’intervention de Schwartz est nuancée, mais elle ne peut pas tromper une seule seconde. L’USAF prend ses distances du programme tout en assurant son soutien à “sa” version, le F-35A, – ce qui signifie, en clair, disons pour le premier degré de décodage : “Nous sommes à fond derrière le JSF, comme toujours, à condition que le programme, qui n’est pas de notre responsabilité, marche bien, – et l’on nous dit qu’il ne marche pas vraiment super-bien...” Schwartz est prudentissime, à l’image du personnage qu’il est, – nommé par Gates pour assurer que l’USAF ne rue plus dans les brancards avec son F-22 au contraire de son prédécesseur ; il l’est d’autant plus, prudentissime, jusqu’à la paralysie s’il le faut, qu’il est ainsi à l’image de l’USAF, qui est dans une situation bureaucratique et structurelle indescriptible. Par conséquent, son discours réel, si l’on va au fond des choses (déjà, un second degré de décodage), est une sorte de rétropédalage, comme si l’USAF envisageait subrepticement de revenir vers des temps passés où les choses semblaient en meilleur état qu’aujourd’hui.

• Concernant le JSF, toujours, Schwartz met nettement en cause le nœud, le cœur du problème de cet avion qui est un système, qui est la question du logiciel, avec une masse de 8 millions de lignes d’encodage pour chaque version, et une autre masse de 20 millions de lignes pour le programme lui-même. Cela laisse très loin derrière le F-22, dont la masse était estimée à 2-4 millions de lignes selon les sources, et qui a rencontré d’énormes problèmes de mise au point du fonctionnement de son informatique et de son avionique à cause de problèmes de logiciel, qui lui ont fait perdre au moins trois ans pour atteindre le statut de pleine capacités opérationnelles, – cela, en théorie, puisque cette “pleine capacité” reste sujette à une certaine instabilité du système, qui provoque parfois des incidents bien mystérieux. A côté du F-22, le JSF est un monstre qui nous projette dans un domaine totalement inexploré, une terra incognita de la technologie totalement soumise à la dictature de l’informatique et de l’avionique, lesquelles sont elles-mêmes devenues si monstrueuses qu’on peut entretenir des doutes extrêmement graves sur la capacité qu’on aurait d’un jour parvenir à les contrôler. Il semble que les bureaucraties militaires US commencent à mesurer l’ampleur du problème.

• …Moyennant quoi, Schwartz rétropédale sèchement en annonçant, en confirmant en fait les bruits selon lesquels l’USAF a déjà en cours d’élaboration un programme de remplacement “en cas de malheur”, – c’est-à-dire, pour l’instant, en cas de délai de mise en opération effective du JSF (la date actuelle est 2016, mais l’USAF songe déjà, dans le meilleur des cas, à 2018-2020, si l’on arrive à dompter la bête). Il s’agit d’un programme de modernisation d’un certain nombre de F-16, qui apparaît, malgré l’imprécision relative des termes employés par Schwartz, extrêmement élaboré et important ; le programme porterait notamment sur l’avionique, sur le radar, et sur des “modifications structurelles” des avions. Cela coûtera beaucoup d’argent et remettra sur pied toute une flotte d’avions pour au moins dix années, – et tout cela aux dépens de quoi, puisque l’USAF est dans une crise budgétaire grave ? Aux dépens du JSF, par conséquent? La question a été posée à Schwartz et sa non-réponse détaillée est un chef d’œuvre de langue de bois, remarquablement plus facile à encoder que le programme JSF : «If the [F-35s] are not ready to put on the ramp, we'll work alternatives. It's not the preferred solution to be sure, but we'll do what's required.» En d’autres termes : “Nous mettrons l’argent qu’il faudra et, par conséquent nous irons le prendre là où il est, c’est-à-dire en le prélevant sur le programme JSF puisqu’il n’y a pas d’alternative”… Façon de dire : puisque le JSF est en faute, qu’il paye. (A notre estimation, on peut envisager qu’un programme sérieux de modernisation de F-16 dans les circonstances envisagées et l’urgence du cas, commencerait sur 200 à 400 exemplaires de F-16, sur un temps de deux années, et devrait coûter autour de $25 millions par avion. C’est une estimation basse, pour le coût notamment, qui conduit à un investissement minimum minimorum de $5 à $10 milliards sur deux ans, selon la formule choisie… On imagine les effets de cette ponction sur le budget du JSF, d’autant qu’on comprendrait aisément que la Navy suivrait une voie similaire puisque c’est tout le programme JSF qui serait affecté, en commandant, pour son compte, des F-18 Super Hornet supplémentaires. )

Le propos est clair malgré l’extrême prudence bureaucratique et politicienne du médiocre général Schwartz. L’USAF est en train de commencer à compter ses billes pour se tenir prête à les retirer. Elle réalise que sa puissance même est en jeu et, par la manœuvre qui se dessine, commence à pousser décisivement le JSF vers la “death spiral” (délais de mise au point, remplacement par des modernisations en attendant, argent du programme JSF transféré à la modernisation, moins de JSF commandés, prix du JSF en augmentation et nouveaux délais, et ainsi de suite). Mais même cela est accessoire à côté de cette perspective de l’impossibilité éventuelle de maîtriser la masse de logiciel à activer… On se trouve là aux limites du technologisme, donc effectivement dans les rets de la crise terminale du système du technologisme pour ce domaine. On se trouve également à l’orée de l’oraison funèbre du programme JSF, prononcée par le prudentissime et bureaucratiquement médiocre général Schwartz.


Mis en ligne le 25 novembre 2010 à 12H06