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9 mai 2005 — L’une des deux choses les plus remarquables avec GW Bush est la façon dont une personnalité si médiocre, si insignifiante effectivement, parvient à rassembler fermement sur elle et à symboliser un mouvement, une politique, un élan agressif caractérisés par un poids et une puissance extraordinaires; la deuxième chose, — et alors ceci explique cela d’une façon très satisfaisante, — est la façon dont ces phénomènes d’un poids et d’une puissance extraordinaires sont, à leur tour, dans leurs effets réels, d’une médiocrité humaine et d’une insignifiance intellectuelle extrêmes. Le résultat est que les manifestations publiques de GW Bush font un bruit considérable et disposent d’un écho universel, pour ne laisser que fort peu d’effets, du type “va jouer avec cette poussière”, ou bien des effets contraires intéressants. Il y a donc un enseignement à tirer de tout cela, ainsi qu’une certaine utilité en contrepoint à observer.
Les “leçons sur la démocratie” que le brave GW dispense au Rest Of the world sont le sujet principal, pour l’heure, de ces quelques remarques. La dernière en date, il fallait s’y attendre, est pour Vladimir Poutine, hier 9 mai à Moscou même. GW et le reste ne s’embarrassent pas de la politesse élémentaire qui est d’éviter de faire une leçon trop bruyante à celui qui vous reçoit pour célébrer les 27 millions de morts de son peuple durant sa “Grande Guerre Patriotique”. Face à GW, l’ancien officier du KGB acquiert une dimension humaine qui fait penser que la principale vertu de l’américanisme est bien, dans sa tentative étrange de niveler jusqu’à zéro le reste, de faire exister ce reste au-delà de ce qu’on pouvait en attendre. Par antithèse en un sens, nous existons à mesure que le pauvre GW est insignifiant, — et, pour ce cas, voilà que Poutine montrerait des vertus de mesure et de bon sens. (Pour le reste, Falloujah vaut bien la Tchétchénie, et avec les intérêts en plus lorsqu’on ajoute Abou Ghraib, Guantanamo et ainsi de suite.)
Donc, en mission à Moscou, GW a tenu son rôle, en brave petit soldat, notamment dans son discours de prédicateur de la démocratie. Cette fois, il s’était fait moucher par anticipation, Poutine ayant relevé la veille qu’à la contestation de la pureté du système démocratique russe on pouvait, sans grandes difficultés, opposer les approximations yankees du système démocratique américaniste. (Poutine à la CBS le 8 mai: « Four years ago, your presidential election was decided by the court. The judicial system was brought into it. But we're not going to poke our noses into your democratic system because that's up to the American people. » Plus loin: « In the United States, you first elect the electors and then they vote for the presidential candidates. In Russia, the president is elected through the direct vote of the whole population. That might be even more democratic. ») Si l’on ajoute les joyeusetés de “Her Majesty’s Chaos”, avec la mirobolante démocratie britannique en action, on observe que le monde anglo-saxon ferait bien, à son tour, d’envisager d’entrer en réparations selon les discours qu’il adresse aux autres.
Qu’importe, fidèle à ses entêtements la “politique” américaine continue, montrant autant d’irresponsabilité que d’insignifiance, et une inefficacité qui va jusqu’à son effet contraire. (On dit qu’elle suit le schéma d’une “doctrine Rice”, sur laquelle nous nous empresserons de revenir pour en dire ce que nous en savons.) Une source européenne proche de la Commission notait qu’ « il aurait été sans doute impossible de maintenir nos relations avec la Russie, au niveau où elles sont et malgré les grandes difficultés et les incidents de même type puisque nos fonctionnaires ne peuvent s’empêcher eux aussi de donner leurs leçons de démocratie, s’il n’y avait eu les interventions publiques américaines qui repoussent constamment les Russes vers d’autres engagements, particulièrement avec les Européens ».
La “politique” américaine contribue également à cimenter les liens politiques entre la Russie et la France (avec l’Allemagne et l’Espagne en plus de la France), alors qu’on en annonce régulièrement la distension ou la rupture depuis 2003 et la guerre en Irak. Poutine l’a encore montré dans un long message qu’il a adressé à Chirac pour le 60ème anniversaire de l’armistice de 1945. Les Russes sont particulièrement sensibles au fait que les Français rappellent systématiquement le rôle fondamental de la Russie pendant la Deuxième Guerre mondiale; la Russie, avec l’Angleterre, a effectivement contribué d’une manière absolument décisive à la victoire. (La Wehrmacht a été cassée en tant que machine de guerre à Stalingrad et à Koursk, avant que les Américains n’interviennent de façon importante, le 6 juin 1944, alors qu’ils étaient restés jusqu’alors complètement effacés, — durant la campagne en Afrique, — et encore minoritaires pendant la campagne d’Italie). Ce fait est totalement ignoré du côté américain et de leurs alliés divers en Europe. D’où ce passage dans le message de Poutine à Chirac, le 8 mai, en plus de la statue de De Gaulle inaugurée à Moscou (il n’y a pas de statue de De Gaulle à Washington) :
« Durant quatre années, interminablement longues et difficiles, notre peuple s'est battu en vue de la victoire future. Sur le chemin du bunker de Hitler, nos soldats ont défait 600 divisions ennemies. C'est sur le front de l'Est que les nazis ont enregistré les trois quarts de leurs pertes durant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir libéré son propre territoire en 1944, l'armée soviétique a franchi les frontières de l'URSS pour débarrasser onze autres pays européens du fléau nazi. Et c'est au nom de cela qu'un million de nos combattants sont tombés.
» Grande était la contribution du peuple français à cette victoire. On se souvient de l'exploit de la “France libre” qui a mené un lourd combat pour la liberté de sa patrie. On se souvient aussi des héros de la Résistance. Leurs attaques et opérations audacieuses obligeaient les nazis à maintenir en France un nombre important de troupes, empêchant leur envoi sur le front de l'Est. L'année dernière j'ai participé à la célébration du 60e anniversaire de l'opération Overlord. Je sais par quel sang et quelles souffrances avait été payée la liberté de votre pays.
» Nous apprécions la compréhension objective qui existe, en France, quant au rôle de l'Union soviétique dans la victoire, dans la libération du monde de la peste nazie. Je garde en mémoire ce que soulignait le président Jacques Chirac lors des cérémonies en Normandie, notant que “cette épreuve que subissaient aussi, sur le front de l'Est, les héroïques soldats de l'Armée rouge qui, à Moscou, à Koursk, à Stalingrad, avaient ouvert la voie de la victoire et progressaient de façon irrésistible”, a créé les conditions sans lesquelles le débarquement en Normandie n'aurait vraisemblablement pas été possible. »
D’où encore ceci, que nous devons rengainer notre couplet sur l’“insignifiance” bushiste. Au contraire, c’est un atout incontestable pour les autres, dans la mesure où elle leur rappelle avec une constance surprenante, un entêtement à ne pas croire, à qui ils ont affaire.