Ma planète pour Exxon Mobil (ou vice-versa)

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On connaît la grande querelle suscitée par la catastrophe climatique, qui a au moins accouché d’expression intéressante comme “climat-sceptique” ou Climategate. Cette querelle qui est devenue une polémique se déroule selon les us et coutumes du temps, parallèlement à la catastrophe climatique, ou plus largement et justement dit, la catastrophe environnementale avec toutes ses facettes, – comme s’il n’y avait pas de véritable lien entre les deux. D’un côté, les agitations humaines diverses, de la vanité aux intérêts, qui font partie de l’aventure intellectuelle constituant l’animation courante à l’intérieur de notre contre-civilisation, de l’autre la déstructuration eschatologique de l’univers physique qui serait plutôt forte partie prenante de la crise d’effondrement et d’autodestruction du Système.

(Sur cette déstructuration eschatologique, on peut consulter trois textes récents : l’un, sur Aljazeera.net du 23 juin 2011, «Climate Change: It's bad and getting worse», avec une partie importante, après les dernières nouvelles des modifications environnementales catastrophiques, consacrée aux dégâts provoqués au niveau de la santé publique globalisée, – donc, concernant le sort de sapiens lui-même. Le second article, du 16 juin 2011, de Tom Engelhardt et Chip Ward, sur TomDipatch.com, qui décrit les ravages en cours aux USA, avec incendies, tornades, etc., dans le cadre d’une déstabilisation considérable des conditions climatiques courantes aux USA. Un troisième article, également sous les auspices de Tom Engelhardt (le 26 juin 2011), traçant d’abord un triste tableau de la situation catastrophique des mers ; Engelhardt introduit un essai de prospective de Michael Klare concernant l’énergie, avec comme limite l’année 2041 (dans 30 ans), qui serait le symbole d’une limite d’une résolution éventuelle de notre crise énergétique en évitant la catastrophe climatique. C’est une hypothèse absolument et délibérément du plus grand optimisme possible, voire extravagante en matière d’optimisme, quant aux capacités humaines, non seulement à réorienter le système du technologisme, mais à s’entendre effectivement pour le faire. On peut aussi bien mesurer a contrario les difficultés catastrophiques qui nous attendent, puisqu’il serait question de survivre d’ici là.)

Manifestement, l’aventure de Willie Soon, astrophysicien au Smithsonian Institute et climatesceptic notoire, fait partie de “l’aventure intellectuelle constituant l’animation courante à l’intérieur de notre contre-civilisation”. Ce personnage, qui est une voix importante, puisque scientifique, du scepticisme face à la crise du changement climatique, vient d’être identifié comme récipiendaire d’à peu près $1 million de fonds de soutien, notamment d’Exxon Mobil, depuis 2002. (Dans le Guardian du 29 juin 2011.)

«Dr Willie Soon, an astrophysicist at the Solar, Stellar and Planetary Sciences Division of the Harvard-Smithsonian Centre for Astrophysics, is known for his view that global warming and the melting of the arctic sea ice is caused by solar variation rather than human-caused CO2 emissions, and that polar bears are not primarily threatened by climate change.

»But according to a Greenpeace US investigation, he has been heavily funded by coal and oil industry interests since 2001, receiving money from ExxonMobil, the American Petroleum Insitute and Koch Industries along with Southern, one of the world's largest coal-burning utility companies. Since 2002, it is alleged, every new grant he has received has been from either oil or coal interests. In addition, freedom of information documents suggest that Soon corresponded in 2003 with other prominent climate sceptics to try to weaken a major assessment of global warming being conducted by the UN's leading climate science body, the Nobel prize-winning Intergovernmental Panel on Climate Change. […]

»Documents provided to Greenpeace by the Smithsonian under the US Freedom of Information Act (FoIA) show that the Charles G Koch Foundation, a leading provider of funds for climate sceptic groups, gave Soon two grants totalling $175,000 (then roughly £102,000) in 2005/6 and again in 2010. In addition the American Petroleum insitute (API), which represents the US petroleum and natural gas industries, gave him multiple grants between 2001 and 2007 totalling $274,000, oil company Exxon Mobil provided $335,000 between 2005 and 2010, and Soon received other grants from coal and oil industry sources including the Mobil Foundation, the Texaco Foundation and the Electric Power Research Institute.

»As one of very few scientists to publish in peer-reviewed literature denying climate change, Soon is widely regarded as one of the leading sceptical voices. His scientific position and the vehemence of his views has made him a central figure in a heated political debate that has informed the US right wing and helped to undermine public trust in the science of global warming and UN negotiations. “A campaign of climate change denial has been waged for over 20 years by big oil and big coal," said Kert Davies, a research director at Greenpeace US. "Scientists like Dr Soon, who take fossil fuel money and pretend to be independent scientists, are pawns.”»

Comme le signale le Guardian, Soon a été interrogé par Reuters sur ces révélations. Il ne nie aucunement les faits exposés, affirmant hautement que ces subventions venues de l’industrie pétrolière et assimilées n’influent en rien sur son opinion, ni sur ses travaux. Ce passage de la dépêche Reuters du 28 juin 2011, qui donne ces indications, présente les réactions du porte-parole d’Exxon Mobil en même temps que celles de Soon.

«Exxon spokesman Alan Jeffers said this week the company did not fund Soon last year and that it funds hundreds of organizations to do research on climate and the environment. “Greenpeace needs to get into the 21st century; they're still fighting a war to try to make a villain here, when there's a very serious issue about how you deal with emissions and energy needs that go with growing economies around the world,” said Jeffers.

»Soon agreed he had received funding from all of the groups and companies, but denied any group would have influenced his studies. “I have never been motivated by financial reward in any of my scientific research,” he said. “I would have accepted money from Greenpeace if they had offered it to do my research,” he added.»

Cette affaire est intéressante, non pour la vérité du monde et de sa crise, non pour la responsabilité du Système dans la crise du monde, – tout cela est chose avérée et hors du champ de la discussion, – mais pour la situation du domaine impliqué dans la polémique autour de la crise climatique. Soon est à la fois un scientifique de haut niveau et un vieux routier des mœurs du Système. Dans les années 1990, alors qu’il n’était guère encore question de cette vive polémique à propos de la crise climatique, il avait déjà reçu des subventions du camp industriel et il s’en porta fort bien. Il continue pour cette première décennie du siècle et sans doute au-delà, et s’en porte toujours aussi bien, affirmant que ces subventions n’ont en rien modifié ses opinions, l’orientation de son travail, etc. Au demeurant, ces affirmations peuvent tout à fait correspondre à l’exacte vérité, et l’on serait même tenté de privilégier cette option, pour la beauté de la chose.

(Soon ne semble guère avoir cherché à dissimuler sa façon de travailler, son réseau, etc. Ses opinions, effectivement, sont connues depuis longtemps ; elles existaient assez vaguement avant que l’industrie ne subventionne le scientifique et ne les renforce (les opinions) du fait même… L’une des tactiques favorites de l’activité de subvention du corporate power, c’est de soutenir des scientifiques, des spécialistes et des experts, qui ont déjà des opinions dans un sens, d’ailleurs complètement scientifique, plutôt avantageuses pour ses intérêts. Disons que l’action du corporate power conforte et même renforce ces opinions-là, et oriente les travaux de ces scientifiques, plutôt dans le sens qu’il faut.)

La réaction de Exxon Mobil est foudroyante. C’est Greenpeace, qui a trouvé les documents sur Soon, qui devrait se mettre un peu au goût du jour («Greenpeace needs to get into the 21st century») ; car, poursuit Exxon Mobil, Greenpeace, tout occupé à ses querelles mesquines et dérisoires, n’a pas l’air de s’apercevoir qu’il y a une grave crise climatique à cause des émissions de CO2, et qu’il est temps de retrousser ses manches pour lutter contre cela… Comme on voit, la querelle n’a rien à voir, ni avec la crise environnementale, ni avec la crise du Système. Cette sorte de réplique, après ce qu’Exxon Mobil a fait et continue à faire, montre simplement que cette querelle ne se déroule effectivement pas dans le champ des faits des crises considérées, mais dans le champ de la dialectique et de la psychologie des querelles autour des modalités et des relations des acteurs qui y sont engagés.

Exxon Mobil, comme Soon finalement, et les uns et les autres agissant avec une absence de conscience variable et qui ne nécessite aucune machination particulière, de la réalité de l’enjeu, ne discutent que des modalités terrestres, essentiellement américanistes, en jeu : le droit au lobbying, le droit de recevoir des subventions, le libre marché et la libre concurrence pour l’utilisation et l’emploi des compétences, etc. Le fractionnement est total, et il devient quasiment impossible de traverser les cloisons qui séparent une polémique sur les relations humaines et professionnelles dans un cadre ultra-libéralisé, hors de toute réglementation et contraintes régaliennes impliquant les responsabilités des uns et des autres dans un sujet fondamental à propos duquel une polémique s’est développée, de ce sujet fondamental. La planète est en train d’être détruite et l’on discute de l’influence des subventions de l’industries pétrolière faite à un scientifique, de l’avis de ce scientifique, etc. tandis que le porte-parole d’un des fleurons de l’industrie pétrolière nous révèle que les temps sont dangereux et qu’il est temps de penser à éteindre l’incendie grondant, contre lequel il fait, lui, le fleuron de l'industrie pétrolière, sa part de travail en déversant consciencieusement son pétrole sur les flammes ; sans doute est-ce pour nous convaincre enfin, cette activation de l’incendie, que l’affaire est vraiment dangereuse.


Mis en ligne le 30 juin 2011 à 00H23