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32791er septembre 2014 – C’est un désavantage certain d’avoir un adversaire dont on juge qu’il est un “sheer genius” (un “pur génie”). Avec Poutine nous y sommes. Mais cela n’est pas un jugement rationnel, une évaluation experte, même si l’on y prétend ; cela est l’étonnant produit de ce “monde parallèle” du bloc BAO, perdu dans l’éther d’un cosmos brillant d’une infinité de bobards-phantasmes figurant autant de vérités que d’étoiles résultant d’une construction à la fois pathologique, lourdement moralisatrice et complètement du domaine littéraire et hollywoodien de la fantasy. (Voir le Wikipédia : «La “fantasy” (terme issu de l’anglais “fantasy” : “imagination” ; à ne pas confondre avec la fantaisie musicale, ni avec le terme allemand phantasie qui désigne le concept psychologique de fantasme), est un genre littéraire présentant un ou plusieurs éléments irrationnels qui relèvent généralement d'un aspect mythique et qui sont souvent incarnés par l’irruption ou l’utilisation de la magie.» A noter que nous serions partisans de parler de fantasy-phantasie en y ajoutant, nous, pour parfaire le concept, le terme allemand phantasie “qui désigne le concept psychologique de fantasme”. Tout cela se rapporte effectivement, dans toutes ses dimensions, y compris métahistoriques, à notre texte du 27 août 2014.)
Mais venons-en à notre sujet, puisqu’il s’agit de Poutine, dans le cadre de la perception qu’en a le bloc BAO... D’abord, un retour dans le temps, autour du début mars 2014. Nous avions songé à faire un texte sur ce sujet, – projet vite abandonné, les événements très rapides nous sollicitant pour d’autres cas... L’idée était une sorte de “conseil à Poutine” d’appliquer la théorie du fou, ou Madman Theory, imaginée par Nixon face aux Nord-Vietnamiens, et peut-être utilisée par allusion par Kissinger dans les négociations de Paris de 1968, – on ne sait pas vraiment avec quel succès. Nixon lui-même avait expliqué l’idée à son conseiller Haldeman : «I call it the Madman Theory, Bob. I want the North Vietnamese to believe I've reached the point where I might do anything to stop the war. We'll just slip the word to them that, “for God's sake, you know Nixon is obsessed about communism. We can't restrain him when he's angry—and he has his hand on the nuclear button” and Ho Chi Minh himself will be in Paris in two days begging for peace.» (“Je l'appelle la théorie du fou, Bob. Je veux que les Vietnamiens du Nord croient que j’ai atteint le point où je pourrais faire n'importe quoi pour arrêter la guerre. Nous leur suggérerions l’idée, vous voyez, du genre ‘Dieu nous protège si nous ne prenons pas garde, vous savez que Nixon est obsédé par le communisme. Nous ne pouvons pas l’arrêter quand il est furieux, – et vous savez qu’il a le doigt sur le bouton nucléaire...’, et alors Ho Chi Minh serait à Paris dans les deux jours, priant à genoux pour que nous lui accordions la paix”).
Cette idée (“conseil à Poutine”) nous était aussitôt venue lorsque le New York Times, le journal de référence mondial qui est exceptionnel pour transmuter les bobards chics en références extrêmement pompeuses, glissa dans un texte sur une conversation téléphonique Merkel-Obama l’idée que Poutine était complètement dans un autre monde, – qu’il était fou, pour faire bref. (Le New York Times, le 2 mars 2014 : «Chancellor Angela Merkel of Germany told Mr. Obama by telephone on Sunday that after speaking with Mr. Putin she was not sure he was in touch with reality, people briefed on the call said. “In another world,” she said.»)
L’idée, journal de référence-bobard exige, fit le tour du monde, dans le bloc BAO et alentour : Poutine est dingue, Poutine est dingue ! Cela expliquait tout, n’est-ce pas ? L’idée persista un certain temps, et c’est à cette occasion que nous pensâmes que Poutine aurait pu appliquer la Madman Theory de Nixon, en faisant courir le bruit qu’il l’était effectivement, fou, et “le doigt sur le bouton du nucléaire”, histoire de terroriser tous ses “partenaires” du bloc BAO et obtenir ce qui lui importait. Mais cette sorte de manœuvre n’est sans doute pas du goût de Poutine. Il faut noter que, très vite, le canard avait été débusqué, mais rien n’y fit et l’affirmation de la pathologie poutinienne se poursuivit deux bonnes semaines avant que la Crimée détournât l’attention ; sans doute a-t-elle laissé des traces, l'idée, dans l’inconscient des psychologies fragiles comme du verre et trouée comme un gruyère de nos experts-Système et scribouillards-Système... Dès le 5 mars 2014, McClatchy.News avait coupé les ailes du canard.
»Here's how that story reported it: “"Chancellor Angela Merkel of Germany told Mr. Obama by telephone on Sunday that after speaking with Mr. Putin she was not sure he was in touch with reality, people briefed on the call said. 'In another world,' she said. That makes for a crisis significantly different from others on Mr. Obama’s watch.”
»The quote was too good to ignore and became the reporting line for every talking head and commentator for the next several news cycles. It was even the underpinning for a question tossed at the president Tuesday by Bloomberg reporter Michael Dorning as the president was unveiling his budget proposal: “Q: Do you have response to President Putin’s press conference this morning? Is Chancellor Merkel right that he’s lost touch with reality? And have you spoken with him again personally?” In answering, the president didn't address Merkel's alleged comment or whether Putin was unhinged. The closest he came to was criticizing the legal advice Putin was receiving: “I know President Putin seems to have a different set of lawyers making a different set of interpretations, but I don’t think that’s fooling anybody.”
»As for the German chancellory, it's not exactly endorsing the Times's account. Die Welt, the German newspaper, reported that “The chancellery was not pleased with the reporting on the conversation. They claim that what the chancellor said was that Putin has a different perception on Crimea, which is why she is pushing for a fact finding mission on the matter.”»
Bien, exit Poutine-le-fou ... Mais enter Poutine-le-génie ? (Et comme il est question également de Machiavel, nous dirons donc de Machiavel-le-fou à Machiavel-le-génie.) Il est alors question d’un très récent texte de Daniel Goure, qu’on a déjà rencontré et qui copine avec Loren B. Thompson. Goure présente toutes les références-Système bien assez impeccables d’une personnalité-expert de bon poids, lui-même bien assez stipendié par Lockheed Marin avec la bénédiction du Pentagone, pour qu’on lise ses écrits en ayant à l’esprit qu’il s’agit d’idées qui parcourent le Système, rayon Pentagone/complexe militaro-industriel [CMI] (voir sa biographie sur le site de l’institut Lexington, organisation frontiste du CMI et toujours très bien avec le Pentagone, qu’il co-préside). Et nous nous arrêtons à son texte du 30 août 2014, sur le blog du site de Lexington, qu’on pourrait désigner comme l’“option Machiavel-le-génie”.
Dans ce texte, Goure déroule tous, absolument tous les bobards concernant la Russie en Ukraine, d’une façon si naturelle, si “cela va de soi, reprenez un verre mon cher”, que l’on comprend évidemment qu’il ne s’agit en rien, dans l’esprit surchargé de diplômes et de consignes du CMI de Goure, de quoi que ce soit qui puisse laisser passer l’épaisseur d’un papier de cigarette dans une différence éventuelle avec la vérité vraie, absolue, universelle (pas une “vérité” de situation”, hein, mais la Vérité tout court). Et, sans le moindre doute, aucune duplicité, aucune dissimulation, rien que de la vraie, solide, certaine bonne foi américaniste... Comme ses coreligionnaires, Goure carbure, comme on met un tigre-turbo dans son moteur, à l’inculpabilité et à l’indéfectibilité (ces deux caractères de la psychologie américaniste étendue à la psychologie-Système, ou plutôt découlant d’elle, sont définies pour la première fois le 6 mai 2006 [inculpabilité] et le 23 novembre 2006 [indéfectibilité], mais ils ont depuis été très largement sollicités et leurs définitions précisées à mesure). Goure en fait grand usage dans l’étalage des très nombreuses vérités-paillettes décrivant la situation-fantasy sur laquelle planche le monde des experts-Système.
Mais ce qui devient absolument fascinant, c’est que Goure, s’appuyant sur tous ces non-faits si flagrant de la Vérité-Système, finit par s’interroger dans un mouvement presqu’admirable d’inversion absolument totalitaire : pourquoi Poutine, qui n’est pas bête certes, ne dissimule-t-il pas mieux ses vilenies ? (Fascinant, cette façon d’énoncer, – et nullement de dénoncer, – des non-faits totalement fabriqués comme des vérités absolues, pour s’interroger sur la manœuvre de celui qui cherche si peu à les dissimuler. Vous inventez un univers totalement factice, effectivement absolument visible puisque c’est vous qui le fabriquez en le tenant loyalement, consciemment, comme absolument vrai, et vous vous étonnez alors : mais pourquoi ce type, qui est malin, ne prend-il pas plus de précautions, pourquoi ne fait-il pas du covert ? [Goure connaît, parce qu’il sait bien que le Système, quand il fait tous ses coups fourrés, – il ne fait que ça, – prend soin, lui, de tenter de dissimuler, to covert...].)
«So why do his recent moves appear so overt, even ham-handed? The Kremlin has done relatively little to hide its involvement in the conflict in Ukraine. 40,000 troops have been massed right over the Ukraine-Russia border for months. Moscow’s assistance to the separatists is blatant. The downing of Malaysian Airline Flight 17 is just one example. It proved fairly easy to trace the SA-11 battery used in the attack back to Russia. Russian artillery has been supporting separatist fighters. There is now almost no effort to hide the presence of Russian soldiers among the separatist forces even if some of them are said to be “on vacation.” Yesterday, columns of Russian armored vehicles and self-propelled artillery were caught on camera moving into Ukraine. The Russians had to know that because of the increased surveillance of Eastern Ukraine such a move would be immediately detected.»
Le constat appuyé sur tant de non-vérités prises pour absolument évidentes et indémontrables tant elles rendent compte de la vérité du monde, du sur-monde et de l’éther cosmique, Goure poursuit en rappelant divers épisodes plus loin dans le temps. Tous ces épisodes montrent selon lui, selon sa “lecture” des situations, la même posture agressive, provocatrice, furieusement belliciste de Poutine : la Géorgie en 2008, l’asile accordé à Snowden, son élection comme président de la république en 2012 après une terrifiante répression de tous les opposants au point que la police de Ferguson, Missouri, en est saisie de terreur, etc. Cela va jusqu’à des vols de provocation très récents de chasseurs russes effectuant des manœuvres d’interdiction pour décourager un brave RC-135 de l’USAF bourré d’électronique qui espionnait innocemment le territoire russe avec une aile dans l’espace international et l’autre dans l’espace national russe. Quel bilan !
Et aujourd’hui, pire encore... « The timing of Russia’s aggressive moves could not be worse for its relation with the West. There is a NATO summit in Wales taking place in September...» (etc.). Quel mouche pique donc ce Poutine-là ? Est-il fou ? (On a vu plus haut que peut-être pas, qu’il hésitait, repoussant la Madman Theory dans les circonstances mentionnées.) Alors quoi ? «If Putin is not a fool, perhaps he is a modern day Machiavelli. What if his strategy is to provoke another Cold War with the West?» En effet, observe Goure, changeant soudain son fusil d’épaule, – il est vrai que Poutine a pu conclure, erronément certes, d’une façon complètement fantasy (ah, ces Russes), de tels et tels actes, de telle “révolution de couleur” à telle intervention de l’ambassadeur McFaul, de telle Pussy à tel Riot, que l’“Ouest” en avait après lui... «So, it is possible that in his mind, the new Cold War has actually been underway for several years at least and the West started it.»
... Et alors, comme tout allait mal chez lui, qu’il était sur le point d’être renversé par la puissance du courant démocratique, qu’il épuisait ses derniers grammes de pétrole, que l’économie néo-turbo-marxiste s’effondrait, que les marchés extérieurs s’évaporaient... Et alors, divine surprise, l’occasion fait le larron, Poutine monte toute son affaire de A jusqu’à Z, ou de l’UE jusqu’à Nuland, en Ukraine puis en Crimée : «Now, after the annexation of Crimea and with the war in Ukraine continuing, his popularity is at record levels.» Et ainsi obtenons-nous, selon Goure, un “pur génie” (Sheer genius).
• ... Un homme qui est en train de réinventer la guerre, selon des règles absolument inédites (et cela, sans aucun doute, comme par inadvertance, introduit dans le chef de l’expression “a new art of war” une part de vérité indiscutable, sur laquelle nous nous reviendrons avec empressement) : «Most recently, he has successfully conducted what some have called “ambiguous warfare” against Ukraine, including providing the separatists with advanced weapons, training and direction. Some observers have even characterized the Ukraine campaign as a new art of war.»
• ... Un homme qui, enfin, mérite cette péroraison : «It is not clear that any level of sanctions short of a total embargo on imports of Russian oil and gas would significantly diminish Putin’s domestic position. Nor is such an outcome likely even in a new Cold War. After all, during the last one Germany bought gas from the Soviet Union and the United States shipped it tens of millions of tons of grain annually. Putin could have the best of both worlds: a secure position at home, access to global markets and an adversary conveniently available on whom to blame any problems in his country. Sheer genius.»
Enfin, en post-scriptum de cet exposé des motifs, et pour nous convaincre que Goure n’est pas un expert égaré dans un lieu de perdition et pris de boisson, nous ajouterons cette conclusion de l’éditorial du Guardian du 30 août 2014. On y voit que ce journal, gobant absolument toutes les non-vérités dispensées au sein du bloc BAO, et par lui-même d’ailleurs (malgré tel ou tel de ses reportages disant le contraire), – après avoir goûté pourtant ce que vaut la vérité-Système durant l’épisode Snowden-Greenwald, – le Guardian conclut à la même puissance géniale de Poutine en terminant par cette grotesquerie de se demander à quoi sert cette maestria tactique (de Poutine) puisqu’elle renforce le pouvoir-guignol de Kiev dans son opposition à Poutine et l’éloigne d’un arrangement... Le Guardian, absolument aveugle à la signification de la désintégration de l’armée ukrainienne, de la dissolution de la situation de l’équipe-guignol et de toutes les structures en carton-pâte mises en place à Kiev sous l’égide du bloc BAO, comme si les avancées victorieuses de l’armée du Donbass mises à son compte mettait Poutine aux abois en durcissant la position de “négociation” de Kiev.
«All this comes only a few days before the Nato summit in Wales. It shows Mr Putin unimpressed by Nato’s arrangements for pre-positioning of equipment in eastern Europe and the rotation of Nato forces there, which are irrelevant to his aims in Ukraine. Nato does not want to cross over the line to real military aid to Ukraine, let alone anything more than that. That gives Mr Putin a tactical advantage, but this latest escalation also sets Kiev even more firmly against him than before. How can that possibly serve any sensible purpose?»
Y a-t-il réellement une grande différence entre un fou et un génie ? ... Par conséquent, entre Machiavel-le-fou et Machiavel-le-génie ? Pas vraiment, certes. Si bien que l’on peut avancer l’hypothèse qu’en introduisant dans la pièce Machiavel-le-génie, il ne s’est pas passé autre chose, même si sous une forme différente et selon des modalités différentes (acteurs différents, objectifs différents, etc.), que dérouler la Madman Theory qui devait nous donner Machiavel-le-fou. Peu importe la forme et les modalités, ce qui nous importe, pour l’appréciation haute de la chose, – pour la métahistoire disons, – est qu’il en résulte la perception qu’il y a bien Machiavel d’un côté, et de l’autre les vingt-huit et quelques nains (l’UE, la Maison-Blanche et quelques comparses) privés de Blanche-Neige et courant dans tous les sens, comme autant de fourmis. Et encore, on le verra plus loin, peu importe que Machiavel ne le soit pas, et qu’il n’ait nulle conscience de paraître l’être, puisque seule importe la fantasy-narrative du bloc BAO.
Car il faut bien avoir à l’esprit que le raisonnement de Goure, répétons-le, est certainement typique de ce qui se développe au sein du National Security State et chez les amis-Système de l’UE. Lorsque Goure dit, – d’ailleurs avec quelques raisons, – que «[s]ome observers have even characterized the Ukraine campaign as a new art of war», il se fait l’écho d’une nouvelle conception qui se répand au sein du Pentagone et dans les think tanks, et qui attribue tous les mérites de cette nouvelle sorte de conquête et de victoire “par action subreptice” à Poutine lui-même. (En cela, aidé, non, péremptoirement orienté par l’empilement des bobards dispensés depuis des semaines par la direction-guignol de Kiev et le “roi du chocolat”.) Cette idée même était déjà présente dans cette intervention du général et commandant en chef des forces alliées en Europe (SACEUR), le général Breedlove, le 24 mars 2014, dans cette déclaration lors d’un séminaire à Bruxelles, parlant de l’“invasion” de la Crimée (en gras, les mots qui sont importants) : «“We saw several snap exercises executed in which large formation of forces were brought to readiness and exercised and then they stood down,” [Breedlove] said. “ And then…boom – into Crimea…with a highly ready, highly prepared force”.»
(Là encore et toujours, à nouveau la fantasy-narrative, avec le terme into Crimea indiquant une action d’entrer, d’envahir, qui n’a aucune raison d’être opérationnelle. En effet, quel rapport entre les exercices en Russie décrits par Breedlove et l’“invasion” de la Crimée, puisqu’il n’y eut nul besoin d’“invasion”, puisqu’il y avait bien assez de troupes dans la base de Sébastopol qui venait d’être renforcée par des forces d’assaut, – jusqu’à 25 000 hommes étaient autorisés dans la base, par traité, – pour effectuer softly une “occupation” qui était d’ores et déjà acquise, – et d’ailleurs attendue, souhaitée, acclamée par la population, etc... Mais justement, cela, la fantasy-narrative ne peut le dire, elle ne peut même le concevoir, puisque son thème central est qu’il y a eu 1) violation de la légalité internationale par la Russie, et donc 2) qu’il y a eu nécessairement “invasion”, c’est-à-dire “into Crimea”, et cela 3) contre la volonté populaire des habitants de Crimée conduits aux urnes sous la surveillance stalinienne des “petits hommes verts” qui effectuèrent l’“invasion” de leur pays.)
Le concept de Goure a toutes les chances de s’étendre et de proliférer dans les esprits-Système du bloc BAO, car c’est la seule façon pour la fantasy-narrative de survivre, – ce qui est la nécessité stratégique fondamentale numéro un pour les psychologies hyper-fragiles du bloc BAO. Le tournant de la guerre du Donbass, qui est désormais largement documenté et considéré d’un point de vue stratégique, après des semaines et des semaines de l’écrasement sans retour des rebelles monstrueux selon la version de Kiev-guignol et des assurances de Porochenko à ses amis du bloc BAO, pose un terrible problème de cohérence au dit-bloc. Ainsi The Saker l’exprime-t-il en termes choisis le 31 août 2014 (gardons à l’esprit cet excellent dicton US, selon Saker : “Quand votre tête est dans le sable, votre cul est en l’air”) :
«The western elites have declared that the Ukie junta are the “good guys” and that the Novorussians are rebels, insurgents, separatists, Russian agents, Spetsnaz forces, paratroopers, Russian occupants or even FSB/GRU officers. In other words, lying bastards. Having accepted this premise, it makes perfectly good sense to get your information from the “good guys” and not from the “lying bastards”. Well, the “good guys” were actively feeding all sorts of utter nonsense to their western counterparts who, by and large, bought it out of sheer incompetence, ignorance, laziness and arrogant stupidity. [...] There is a good US expression: when your head is in the sand, your ass is in the air. This is exactly what happened now to Ukie and EU elites. They got suddenly painfully bitten in their exposed butt by the news of a comprehensive collapse of the Junta repression forces (JRF) and they are now in a panic mode, just like a sleepwalker who is suddenly shaken awake...»
Il y a naturellement la nécessité de construire une narrative qui s’insère dans la fantasy-narrative générale caractérisant l’analyse constante de la crise ukrainienne par le bloc BAO. La prémisse et l’inéluctable développement de la fantasy-narrative devaient être confortés par la vertu de Kiev-guignol, et la puissance qui allait avec des forces ukrainiennes lancées à l’assaut du Donbass, “good guys” contre “bad guys”, et complètement conformés à ce schéma par une inéluctable victoire. Le tournant stratégique qui menace de mettre à bas tout cet édifice, et aussi bien Kiev-guignol que ses puissantes forces du Bien, nécessite un personnage de grande stature pour justifier ce revers. C’est ici que l’interprétation de Goure, outre ce qu’elle doit autant à la spéculation intellectuelle qu’aux penchants des experts à rechercher des formules originales pour définir leurs adversaires selon la mesure de la puissance qu’ils déterminent chez eux, acquiert toute sa valeur. Sans que Poutine n’en ait évidemment rien voulu, – lui qui s’affirme constamment comme un excellent chef d’État certes, mais d’abord prudent, habile et modéré, chercheur d’arrangements, proposant constamment la négociation, le compromis avec le bloc BAO, – le voilà transformé en un tacticien de grand style, puis bientôt en un stratège de “pur génie”.
Curieuse situation, en vérité, si la crise ukrainienne continue à évoluer au train d’enfer où on la voir foncer, dévoilant à chaque instant la facticité des constructions de carton bouillie hâtivement mise en place par les activistes-Système occupés à partout allumer des incendies. Si la crise continue de catastrophe en catastrophe, comme elle s’est déjà déroulée, – et rien ne suggère le contraire puisque le bloc BAO n’est capable, en fait d’expérience, que de répéter ses erreurs sans fin et toujours plus puissamment, – Poutine-selon-Goure va s’imposer irrésistiblement, sans qu’il l’ait voulu, sans qu’il l’ait cherché, comme le point de rassemblement fondamental d’une poussée antiSystème de plus en plus puissante dans le cadre de l’affrontement Système versus antiSystème qui s’affirme de plus en plus comme l’interprétation nécessaire de la crise ukrainienne... Entendons-nous bien, sans chercher à établir des hiérarchies mais plutôt en cherchant à restituer une vérité de la situation : ce n’est pas Poutine qui suscite cette dynamique antiSystème, mais cette dynamique antiSystème suscitée par la crise elle-même selon son mode habituel surpuissance-autodestruction, qui suscite ce Poutine-selon-Goure. (L’impulsion créatrice voire héroïque diront certains, qui est essentielle et centrale dans le développement du processus de cette dynamique antiSystème vient sans nul doute de la résistance de plus en plus victorieuse du Donbass, passée dernièrement au niveau stratégique et que certains assimilent déjà à une “autre Europe” [voir les “étrangers”, dont des Français”, de “Continent uni” dans les forces du Donbass, sur Russia Today le 30 août 2014].)
Tout se passe comme si Goure désignait ce que Poutine devrait être idéalement (peu importe par quels voies et moyens, et pour quels motifs) : ce qu’il n’est pas effectivement si l’on s’en tient au rôle mesuré, habile et prudent qu’il s’est assigné dès l’origine de la crise, et qu’il deviendrait néanmoins de plus en plus, par le gré des circonstances plus que le sien propre, et par conséquent à “l’insu de son plein gré” dans une partie où les événements, et nullement les acteurs, ordonnent les grandes lignes de force. Cette crise ukrainienne est effectivement pleine de cas de ce genre, où les acteurs, avec plus ou moins de talent et plus ou moins de vision, sont conduits par les événements à réaliser ou à accepter des réalités qu’ils ont d’abord ignorées, repoussées, ou tenues à distance. Lorsque Hollande avertit gravement, à la réunion de l’UE de ce week-end, qu’il y a “un risque de guerre” en Ukraine, il découvre une urgence incontestable mais pourtant évidente depuis cinq mois ; et l’on dirait alors, allant plus avant, que les événements eux-mêmes l’ont obligé à diverger, dans tous les cas temporairement, de la fantasy-narrative qui lui servait jusqu’alors d’impérative feuille de route.
Les derniers événements et leur importance évidente par conséquent, la hauteur nouvelle de la stature symbolique et de communication de Poutine (Poutine-selon-Goure) conduisent normalement et logiquement à la question du devenir des acteurs autour de cette crise ukrainienne. Pour Poutine et la Russie, la route est tracée, aussi cette question s’adresse plus précisément au bloc BAO, et notamment aux pays européens eux-mêmes en pleine refonte de leur direction, avec une nouvelle Haute Représentante que l’on sait plus intéressée par la Russie que l’impavide Lady Ashton. L’apparition de Machiavel-le-fou se démasquant en Machiavel-le-génie est un symbole, sorti d’une réflexion d’expert qui cherche toujours des concepts nouveaux pour expliquer ce qu’il ne comprend plus, qui caractériserait bien le soudain contrepied où se trouvent précipités les pays du bloc BAO devant une situation ukrainienne prenant un tour inattendu, absolument inconforme à la fantasy-narrative qui dictait jusqu’ici le script de la pièce. Que faire dans ce cas ? Affronter Poutine ? Se laisser aller à la force des choses et suivre une sorte de débandade générale ? Attendre le président des USA arrivant pour le sommet de l’OTAN dont The Economist parvient à nous dire qu’il est “l’un des plus importants de toute l’existence de l’Organisation”, – ce qui se conçoit aisément si l’on a en face de soi, Goure speaking, un “pur génie” ? ... Et si le “génie” de Poutine se résumait, finalement, à présenter aux pays du bloc BAO, et particulièrement aux Européens de la bande, – un miroir et rien d’autre, pour qu’ils se voient tels qu’ils sont ? Certes, on peut toujours essayer...
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