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532612 novembre 2019 – Pour mon compte, un des signes les plus convaincants que nous vivons dans une époque étrange, sans pareille ni précédent, se trouve dans l’extrême difficulté où nous nous nous trouvons, nous, de porter des jugements cohérents et décisifs sur certains des hommes de pouvoir et leur action de communication. Les deux cas les plus remarquables sont Trump et Macron, car je crois que Macron ressemble de plus en plus à Trump de ce point de vue, et bien sûr cette observation va avec le fait qu’ils sont à la tête de deux puissances très significatives et signifiantes à la fois de la Grande Crise qui détruit notre contre-civilisation.
(Peu importent les “puissances” respectives de ces “puissances”, dans tous les domaines significatifs et mesurable de la “puissance” définie selon le Règne de la Quantité. Je parle absolument dans le domaine de la symbolique, qui est d’une importance considérable dans une époque où la communication tient la première place dans la mesure de la “puissance”, ce qui permet dans certains cas d’échapper à l’emprisonnement du Règne de la Quantité.Il reste alors ceci que les USA et la France sont deux références essentielles, chacune dans leur genre dirais-je, pour donner à apprécier l’importance et la profondeur de la Crise Générale qui frappe d’abord et de plein fouet le bloc-BAO qui est à la fois et directement cause et victime de cette Grande Crise.)
On a déjà beaucoup parlé sur ce site, et moi-même avec ma part, de l’insaisissabilité de Trump quant au jugement de ses actions et de ses conceptions, – s’il en a, des unes et des autres. De ce côté, la messe de l’impossibilité de juger est dite. Parlons donc de Macron dans cette situation étonnante où l’on pourrait le rapprocher de Trump. J’ai relu ce que j’écrivais de lui lorsqu’il reçut Poutine à Versailles, à la fin-mai 2017, et je retrouve dans une même mesure cette même situation d’incertitude, absolument similaire deux ans et demi après malgré l’usure du pouvoir, alors que les occasions de dire toute mon hostilité à cet homme comme représentant du Système n’ont pas manqué (Benalla, Gilets-Jaunes, etc.), – et que cette hostilité fut dite sur ce site et dans ce Journal, sans retenue aucune.
« Je rengaine ici mon sarcasme, y compris celui que j’avais laissé traîner ici et là par anticipation. Malgré mes nombreux préjugés, apriorismes, parti-pris, mauvaises fois et autres, je me devais donc d’admettre qu’il n’a pas fait trop mal, c’est-à-dire par aussi mal qu’on pouvait craindre, le Macron. Rencontre sérieuse, un peu de fermeté par là, l’une ou l’autre ouverture par ici, etc. “Nulle affaire sérieuse dans le monde ne peut être traitée sans consulter la Russie” (autant pour “la Russie, puissance régionale”, de l’inimitable Obama). On se voit, on conclut de se revoir et de poursuivre, on essaiera de faire de mieux en mieux la prochaine fois. Macron paraissait encore assez vide, Poutine un peu circonspect dans le genre “est-ce que c’est du lard ou du cochon”. Le premier se tenait bien droit, style-bon élève ; il n’est pas assuré que le second se soit beaucoup amusé, mais au moins il n’avait pas à subir l’humeur lugubre et la face terriblement blette de l’ex-président-poire, le “président normal”. » (29 mai 2017.)
Avec cette interview à The Economist dont on a déjà parlé à plusieurs reprises, toujours cette même impression de ne pas savoir dans quel sens trancher, tout en admettant le caractère extraordinaire du propos, et l’applaudissant comme une audace extrême ou le vilipendant comme une fourbe manœuvre de suprême dissimulation... Plus encore : il est frappant de voir combien les réactions, y compris et même surtout chez les antiSystème, sont similairement contradictoires.
J’ai relevé quatre exemples de réactions d’auteurs ou d’organisations que l’on peut considérer comme antiSystème, qui publient dans des sites de la presse alternative/“de Résistance”/éventuellement antiSystème, etc., et cela quelle que soit l’étiquette conventionnelle qu’on voudrait leur coller (droite extrême, gauche extrême, doctrinaire, indépendant, etc.), et qui n’a aucune signification décisive et ontologique dans l’hyperdésordre actuel. Je les signale ici, avec un court extrait qui suscitera éventuellement le goût d’aller lire le texte en entier ; ce qui m’importe ici n’est pas tant l’approbation ou la désapprobation qu’ils manifestent à propos de ces déclarations de Macron, que l’importance qu’ils accordent à ces déclaration.
• Le site trotskiste qu’on connaît bien, WSWS.org, est comme toujours extrêmement sévère et furieusement anti-Macron, mais il accorde une importance extrême à ses déclarations et met en évidence leur caractère extraordinaire :
« C’était le contenu d'un long entretien profondément pessimiste accordée à The Economist britannique par le président français Emmanuel Macron, déclarant que l’alliance de l’OTAN entre l’Amérique et l’Europe était morte. L’entretien contenait des déclarations pratiquement sans précédent de mémoire d’homme pour un président français. [...]
» De manière significative, Macron lui-même a souligné que ce qui est en train de naître n’est pas une querelle passagère au sein de l’OTAN, mais une rupture profonde des relations internationales préparée au cours de décennies de guerres impérialistes depuis la dissolution de l’Union soviétique par stalinisme en 1991.
• Voici maintenant John Laughland, dans une de ses chroniques sur RT-com. On connaît Laughland sur ce site, et on l’apprécie pour ses positions indépendantes, ses critiques virulentes de nombre d’aspects du Système. Dans ce texte sur l’interview à The Economist, Laughland est emporté par une rage réductrice, pour montrer que ce que dit Macron tout le monde le sait depuis longtemps, et que d’ailleurs Macron est plein de contradictions, qu’il ne vaut pas mieux que l’OTAN et ainsi de suite. Le ton furieux est tout à fait remarquable. Quelques mots extraits du texte...
« Cependant, plusieurs choses à propos de cette affirmation indiquent qu'Emmanuel Macron a perdu la capacité de penser, si par penser nous voulons dire s'assurer que l'on ne dit pas des choses qui sont si contradictoires qu'elles n'ont pas de sens. [...]
» Emmanuel Macron a peut-être raison de dire que l'OTAN est en état de mort cérébrale, mais ce n'est pas nouveau. L'alliance a perdu sa raison d'être lorsque le Pacte de Varsovie a été dissous en 1991 et que la menace soviétique a disparu. Au cours des décennies qui se sont écoulées depuis, nous avons toutefois compris que la mort cérébrale politique est une maladie contagieuse qui a maintenant infecté tous les dirigeants européens, y compris, malheureusement, l'occupant actuel du palais de l’Élysée. »
• Voici maintenant Joaquim Flores, collaborateur de Strategic-Culture.org, site fort peu ami du Système, dans un texte du 9 novembre 2019 qu’il consacre à l’intervention de Macron. Assez curieusement, – mais à quoi ne conduit pas cette étrange époque ? – Flores met sur un même pied de Gaulle, Pétain et Marine Le Pen, – et Macron, par “la force des choses” (une des expressions favorites du Général)...
« A moins d’un mois de la prochaine grande réunion de l'OTAN, prévue pour la première semaine de décembre, le Français Macron est passé en mode déclamatoire pour préparer le public à de grands changements. En effet, l’entretien majeur que Macron a accordé le 7 novembre à The Economist sur la question du prétendu engagement hésitant des États-Unis envers l'OTAN est un signe étonnant des temps. [...]
» Les lamentations apparentes de Macron sur la “mort cérébrale” de l'OTAN sont donc très révélatrices. En cela, il fait référence à des vérités que tout le monde sait mais que personne n’ose dire : “L'OTAN est essentiellement une force d'occupation militaire contre la souveraineté européenne, – pour que l'UE soit une entité géostratégique, elle doit contrôler ses propres forces militaires”. On dirait que cela aurait pu être dit par de Gaulle, voire Pétain, et que la notion s'inscrit facilement dans la plate-forme de Marine Le Pen. La réalité de la France oblige Macron à tenir ces propos. »
• Le dernier exemple est de la plume de Finian Cunningham, lui aussi critique direct du Système. Un peu dans la même veine que Laughland, Cunningham détaille avec sarcasme ce qu’il juge être la prétention française à occuper une place prépondérante en Europe, – puisque c’est ainsi qu’il analyse les déclarations de Macron. Même si les deux hommes sont antiSystème, ils sont également insulaires et de culture anglaise, et l’on sent que, dans ce cas, un vieux réflexe d’hostilité à la France, éventuellement napoléonienne, a joué son rôle...
Cunningham également sur Strategic-Culture.org, ce qui fait un sympathique contraste avec Joaquim Flores, – pour nous donner cette conclusion : « Cette semaine, cependant, le néo-napoléonien Macron est allé trop loin dans sa quête de renaissance de la puissance mondiale française. L’exagération, la pseudo-critique de l'Amérique et de l'OTAN, c’était en réalité l’agrandissement de la puissance française par la création d'un nouveau rôle de superviseur militaire de l'Europe. Et tante Angela a été obligée de gifler le vilain petit Français. Parce que Berlin a ses propres projets. »
Qu’on me comprenne bien, qu’on ne se méprenne pas, en aucune façon. A ce point et dans cette démarche, je me fiche complètement de savoir qui a raison et qui a tort dans ces réactions, même si par ailleurs j’ai mon opinion là-dessus qu’on peut retrouver dans différents textes du site sur l’interview. Ce qui m’importe, c’est la diversité des réactions, même chez des gens qui, disons, mène le même combat. (Et il s’agit, dans le cas de Macron, de la même sorte de contradictions qu’on retrouve à propos de Trump, lorsque l’un le dénonce pour ses agissements américanistes sur instruction du DeepState quand il entretient les discordes entre pays européens [cas de la Pologne, de l’Italie ou du Brexit] “pour mieux affaiblir l’Europe” et favoriser l’hégémonie et le racket US, lorsque l’autre l’applaudit pour la même démarche parce qu’ainsi il contribue à affaiblir l’UE, cette insupportable machine globaliste.)
La proximité que je vois entre Trump et Macron, c’est la perception intuitive qu’on ressentit au départ à propos de ces deux hommes, – quelles qu’aient été leurs intentions proclamées par eux-mêmes, qui n’entrent pas en ligne de compte ici. Tous deux se sont fait élire sur une rhétorique anti-système (sans majuscule), Trump pour “drainer le marigot” washingtonien, Macron pour faire succéder un “nouveau monde” à l’ancien qui se dissolvait en psalmodiant la rengaine du Système ; et tous deux ont été aussitôt identifiés comme des “marionnettes du Système” introduites par subterfuge, l’un (Trump) en en étant le prisonnier, l’autre (Macron) en en étant le complice. Je me rappelle qu’on écrivit là-dessus sur ce site et dans ce Journal, en mai-juin 2017, à l’occasion de l’élection de Macron, à propos de « la valse des marionnettes » qui introduisait l’élégant néologisme de “marionnettisation”, aussi bien que des seules marionnettes Trump-Macron, – dont ceci, extrait du deuxième texte référencé :
« Les deux marionnettes les plus fameuses de ces deux années, on les connaît puisqu’il s’agir de Trump et de Macron, comme il est précisé selon divers arrangements et raisons de notre jugement dans le texte référencé. Le moins que l’on doive reconnaitre, et je le fais pour nous tous à cet égard, c’est qu’elles ne déçoivent pas, mais alors pas du tout. C’est à croire, – et ceci n’est pas une idée en l’air, – que ces temps du Dernier Temps ont, pour donner leur pleine mesure, besoin de marionnettes plus que de ces gens sérieux, lourds de vertus et de connaissances, au faîte du pouvoir pour que le pouvoir serve encore et enfin à quelque chose. »
Ce qui est remarquable enfin, c’est que deux ans après ce constat de la “marionnettisation” parvenue à son accomplissement complet puisqu’embrassant les directions de deux pays aussi importants en termes d’influence et de symbolisme au sein du bloc-BAO (du Système), les “marionnettes” sèment plus que jamais la confusion aussi bien chez les zombieSystème que chez les antiSystème de la sorte qui s’en remet encore, les uns et les autres, aux étiquettes idéologisées. Elles (les “marionnettes”) sont de plus en plus incompréhensibles, de plus en plus incontrôlables, par rapport au Système qu’elles devraient normalement servir avec zèle et efficacité, et cela sans vraiment le vouloir, qui (Trump) répondant à son instinct grossier d’American-businessman, qui (Macron) répondant à son instinct rationalisé de banquier-financiarisé. Elles sont de plus en plus, ces “marionnettes” et ces deux-là en particulier, la marque indubitable de la Fin des Temps, de l’exposition obscène du Règne de la Quantité, le signe immanquable que la surpuissance du Système est enfin entré dans sa phase d’autodestruction.
Ainsi peut-on évoluer vers le constat qu’il y a là la marque de l’installation d’une nouvelle catégorie de dirigeants, absolument dans le Système sinon “marionnette” du Système-finissant, et pourtant produisant dans la perception générale un désordre considérable que personne n’arrive à contenir et qui s’avère au bout du compte absolument antiSystème. L’on sait bien ce que ne cesse de répéter, que je crois que l’ennemi absolu du Système c’est le désordre ; parce que le Système surpuissant a installé un simulacre de structuration dont dépend sa survie, et que les chocs successifs que lui assène le désordre menacent chaque jour un peu plus cette fragile pseudo-architecture. Ainsi les “marionnettes” du Système sont-elles finalement productrices du désordre mortellement antiSystème. Ce sont les dirigeants-Système et les héros de La Fin des Temps.
Comprenez bien ce raisonnement... Que m’importe que l’OTAN soit un zombie faisant n’importe quoi, ce « que tout le monde sait mais que personne n’ose dire » ; que m’importe que l’“armée européenne” dont rêve Macron, le Napoléon-IV de la postmodernité, soit une lubie absolument irréalisable, sinon avec la vertu d’exposer ce simulacre grotesque qu’est “leur-Europe” ; que m’importe, etc... Ce qui m’importe, pour l’épisode en question de l’interview à The Economist, c’est le désordre et la confusion produits par cette intervention.
Le paradoxe ultime de cette situation, c’est qu’il y a, je crois, chez chacun d’eux (Trump-Macron) une sorte de réelle sincérité dans tel ou tel acte, pourtant producteur de désordre sans précédent. Je crois Macron sincère lorsqu’il dit ce qu’il dit de l’OTAN, et qu’il est donc sincèrement “européen” lorsqu’il fait la promotion d’une “armée européenne” dans la projection de laquelle Cunningham voit étrangement l’ombre terrible et funeste de Napoléon-IV. Caitline Johnstone et Assad de Syrie croient que Trump est « le plus honnête président qu’ait eu les États-Unis » simplement parce qu’il ne dissimule rien, par exemple lorsque les forces US rackettent le pétrole syrien comme de vulgaires porte-flingues des compagnies pétrolières US ou “daeschiennes” ; ou bien, pour Caitline, lorsqu’on le voit sur une photo, marchant pompeusementen smoking à la mode-Epstein au côté d’Elizabeth II :
« Non, quand je dis que Trump est le président américain le plus honnête de tous les temps, je veux dire qu'il a un don unique pour exposer la gueule de l'empire pour ce qu’elle est exactement, dans toute sa dépravation, toute sa tromperie, toute sa corruption, et dans ce cas, tout son ridicule à couper le souffle. Je veux dire, regardez cette photo... »
Quel étrange mélange de dérision, de bouffonnerie, d’aveuglements impuissants, et pourtant d’événement formidables et inimaginables qui s’inscrivent comme tels dans nos inconscients pour ce qu’il valent vraiment. Nous vivons une Fin des Temps étincelante : il ne s’agit de la comprendre et de l’expliquer, ce qui est bien au-delà de nos capacités ; il ne s’agit pas de la faire passer au jugement de notre raison qui est subvertie et bouffie d’hybris soldée au dernier Prisunic. Il s’agit d’en saisir l’émanation bouleversante au travers de notre capacité d’intuition, pour ressentir ce terrible et sublime grondement tellurique indiquant que les dieux, décidément las de nos prétentions grotesques et de nos frasques indignes, ont décidé d’agir.