Magie de la transmutation

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Magie de la transmutation

7 novembre 2024 (04H40) – Que faire de l’élection présidentielle 2024 aux USA et de son extraordinaire résultat ? On n’a pas fini de chercher des causes, des effet et des conséquences, des leçons et des erreurs, de la sublimité et de l’énigmatique, – et encore n’y aura-t-on rien compris. La chose est historique, c’est-à-dire métahistorique ? On dit cela certes, – on n’a rien dit sinon renforcer le  sentiment de la force en marche, – qui n’est ni la force de Trump, ni celle de la pseudo-démocratie populiste, ni celle du commentaire politique objectif, ni celle de nos arguments contraires et affectifs. On a dit cela, on n’a encore rien dit : il faut laisser de l’aire au Temps et à l’Espace pour qu’ils affirment leurs marques et leurs desseins, et nous dictent par leurs forces supérieures la voie de notre réflexion.

Pourtant, j’envisage un chemin de traverse, un sentier rocailleux et peu amène, qui se dit “raccourci” pour dire quelque chose, et qui porte dans ses entrelacs quelque chose qui ressemble à un lourd secret (ou bien un secret léger comme une plume divine, peut-être bien). En apparence, ce soi-disant “raccourci” est la proposition qui nous est faite de chercher quelle machinerie est intervenue dans ce qui nous apparaît être, hypothèse de travail, une fantastique transmutation de la situation américaine. J’aurais pu dire “américaniste” mais je ne l’ai pas fait car dans cette nuance se trouve un indice capital ; car la transmutation est justement d’être passé, pour produire l’événement, de l’“américaniste” à l’“américain” sans savoir si cela perdurera, si cela suffira, si cela nous conduira à quelque déferlement inédit, transformation radicale ; – ou bien simulacre transformé pour renouveler le genre.

Je propose cette hypothèse de la tragédie-bouffe qui permet d’avancer l’observation de ce passage de l’américanisme, qui est l’idéologie dont l’Amérique est affublée, grimée pour pouvoir monter un simulacre d’elle-même paré de toutes les vertus, – au fait américain qui en est la figure propre sans qu’on sache exactement si cette vérité n’est pas chargée de tares irréversibles. Ce passage s’est effectuée notamment et en son paroxysme, après une préparation depuis 2015-2016, durant la période 2020-2021 qui a vu la crise du Covid, celle des BLM (‘Black Live Maters) introduisant la pseudo-révolution du wokenisme, jusqu’à la tragédie-bouffe de la défaite de Trump, des divers incidents jusqu’à la prestation de serment de Biden, avec notamment le paroxysme de cette tragédie-bouffe de faire des événements du 6 janvier une véritable insurrection pour renverser la république...

Le Simulacre-bouffe foulé aux pieds

Oui, vraiment le 6 janvier, paroxysme chronologiquement et civiquement number One de Adolf-Trump,  l’homme qui menace la civilisation, les ‘Founding Fathers’, la statue de la Liberté et les films d’Hollywood. L’excellent journaliste Patrick Lawrence, dissident quoiqu’ancien de l’‘International Herald Tribune’, en dit ceci exactement :  

«  Mais le 6 janvier, le 6 janvier, le 6 janvier ! Tout d’abord, ce qui s’est passé le 6 janvier ne s’apparente pas à un “coup d’État” ou à une “insurrection”. Il s’agissait d’une manifestation, qui suggérait la présence de manifestant-agents provocateurs. Et deuxièmement, il me semble qu’il y avait de nombreuses raisons de protester à ce moment-là. » 

C’est effectivement alors que le Simulacre-bouffe commença à entrer en vitesse de croisière supersonique (qualité très vantée du F-22), mais tout de même pas hypersonique (les US n’ont pas) avant de se plonger dans la folie-zélenkiste. Durant ces quasi-quatre années, nous vécûmes dans cet état de délire permanent imposé par tous les moyens de la communication du Système, dans des simulacres plus grands que mille Himalaya. C’est cette énergie carnivore, sinon “nucléivore”, qui soumit nos psychologies à une insupportable pression mais aussi déclencha une rage de riposte, qu’une presse dissidente, alternative, ‘Samizdat’ enfin à son paroxysme également, après une si rude bataille, déploya comme on aligne ses lignes de bataille pour faire usage de toutes ses forces communicationnelles.

Lorsque que vous avez chaque jour des Tucker Carlson qui enchaînent sur des Joe Cogan au rythme des analyses de moult Alexander Mercouris, pour des millions et des millions d’auditeurs devenus des habitués quotidiens, vous savez que l’arène est ouverte pour un combat ultime. Mon opinion est que c’est à cela, je veux dire à cet “instrument technico-métahistoique”,  que nous devons l’événement métahistorique du 5 novembre 2024.

Pour cette séquence on a déjà vu cela, il y a deux-trois jours avec le cas de Larry Johnson parlant  presque dans les mêmes termes (je l’ai réalisé après avoir écrit ce qui précède) :

« Nous sommes en 2024 et le paysage médiatique a changé. Les podcasts n’étaient pas très populaires en 2020. Joe Rogan commençait tout juste à émerger. Tucker Carlson travaillait dur sur Fox News. Aujourd’hui, Rogan et Carlson accumulent tous deux des chiffres d’audience énormes sur Internet et les habitudes de visionnage de la plupart des Américains, en particulier ceux de moins de 40 ans, ont radicalement changé. La grande majorité des Américains ne regardent pas les médias traditionnels ou les émissions d’information sur le câble. Pourtant, la majorité des consultants politiques sont coincés dans le passé et essaient toujours d’utiliser les anciennes méthodes. »

Le personnage Trump-2024

Ils nous ont ouvert les yeux, c’est-à-dire que nous nous sommes ouverts les yeux, aveugles soudain furieux de l’infâme tromperie subie, imbéciles fascinés se libérant des chaînes de leur sottise gluantes pour enfin contempler la lumière du jour. Notre colère nous stupéfia nous-mêmes et c’est ainsi que, devant un résultat communiqué et authentifié à la vitesse d’un de ces missiles hypersoniques, vous savez, un silence étonnant sembla envahir nos espaces tellement satisfaits de leur infinie vertu. C’est comme si, l’image est si tentante que je ne cesse de la reprendre, nous avions atteint cette période de calme paradoxal qui règne dans l’œil du cyclone. D’un côté il y avait les vainqueurs, un temps stupéfaits de l’être aussi complètement ; de l’autre les vaincus, raides étendus d’un superbe et artistique direct qui serait venu d’un Mohamed Ali ressuscité. C’est comme cela que Michael Every, de Robobank, décrit la chose :

« La bonne nouvelle est qu’il n’y a pas encore eu d’attentes intempestives, d’avocats, de crise ou de manifestations. Cependant, la moitié des Américains sont en extase, l’autre moitié désespérée, et le monde entier est polarisé. C’EST une révolution politique »

Mais pour faire progresser mon jugement, je veux dire pour l’affiner, il y a cette comparaison d’Alexander Mercouris hier soir. Elle m’était déjà passée dans l’esprit et je la reprendrais donc comme fondamentalement mienne, mais en nuançant tout aussi fondamentalement l’orientation et l’essence même de l’analyse à la fois psychologique et métahistorique :

« ... Il ne faut pas non plus négliger l'ampleur de ses réalisations électorales et politiques. Je vais dire ceci : je pense qu'aucun autre individu dans la politique américaine n'a atteint un niveau de connexion avec ses partisans et, par conséquent, un niveau de succès électoral similaire à celui de Donald Trump depuis Franklin Roosevelt dans les années 1930 et 1940...

» ...Tout comme Trump aujourd'hui, Roosevelt a eu une séquence unique de succès électoraux... Comme Trump, Roosevelt a fondamentalement changé toute la direction du débat politique aux Etats-Unis... »

Du côté de FDR-1933

Il est vrai, comme de multiples textes le montrent (voyez celui-ci par exemple, se greffant sur l’histoire du « soleil noir de la ‘Beat Generation’ »), et comme on le retrouve dans le Tome I de ‘La Grâce de l’Histoire’, – il est vrai que j’estime que Roosevelt, FDR, eut effectivement ce « niveau de connexion avec ses partisans » (je dirais “avec son peuple”) que montra Trump durant l’épisode considéré ; mais, pour moi, il ne s’agit pas de politique mais de psychologie collective où l’homme qui parle et qui “agit par la parole” le fait en tant que médiateur d’un courant collectif et supérieur, et nullement de créateur. Il se fait, ou plutôt “on” le fait transmetteur au peuple de cette ardeur collective dont il est l’instrument, et sans savoir si sa politique a été auparavant juste et bonne, et si elle le sera après. Cela s’accorde magnifiquement avec l’importance que j’accorde à la communication dans le cas de Trump, car ce fut aussi le cas de FDR. Il y a donc un “Moment-Trump” comme il y eut un “Moment-Roosevelt” que je situe dans les seules années 1930 (en 1933 précisément) et nullement plus tard. Voici un extrait du texte déjà référencé :

« ...Ce discours [de mai 1933], entendu au hasard d’un documentaire télévisée sur la période et qui n’est pas resté dans l’Histoire officielle, est resté gravé dans ma mémoire, — quelque part au printemps ou à l’été 1933, FDR filmé, qui s’exclame devant une foule interdite : “Faites quelque chose! Et si ça ne marche pas, faites autre chose!” ; comme s'il parlait à des êtres paralysés, incapables de la moindre initiative, assommés par les événements ; comme s'il avait essayé d'animer une ombre, de réveiller un mort. FDR fut un magicien, ou, si l'on préfère, un saltimbanque, un type qui monte un spectacle littéralement à réveiller les morts ; un Elmer Gantry, le prédicateur-bidon du livre de Sinclair Lewis, qui termine sur cette réplique avec le sourire éclatant de Burt Lancaster (dans le film adapté du livre): «See you in hell, brother!» [“On se revoie en enfer, mon frère !”]. FDR eut une activité de communication, comme on dit aujourd'hui, sans équivalent jusqu'alors (et peut-être depuis, après tout). Dans ce domaine, le brio, voire le génie de FDR ne peut être contesté. L'effet sur la population américaine fut énorme, un phénomène majeur de ce qu'on nomme la ‘communication de masse’. Mais au-delà du diagnostic froid, le constat concerne l'humanité et sa tragédie. Le peuple américain fut sauvé alors qu'il se trouvait au bord de l'abîme. L'écrivain Saul Bellow rapporte ses souvenirs des douces fins d'après-midi du printemps 1933, dans la campagne de Chicago, lorsque les voitures s'alignaient sous les rangées d'arbres, où les conducteurs, les familles, les jeunes gens, se calaient confortablement sur les banquettes pour écouter à la radio un discours de FDR qui demandait au peuple américain de se reprendre, de retrouver son élan, son ardeur, sa puissance. Tous les témoignages rapportent ce désarroi, puis cette communion, cette communauté retrouvée dans le malheur grâce à la voix chaude du président. Il ne s'agit pas d'économie mais du plus profond de la psychologie humaine. S’il y quelque grandeur du héros [méta]historique chez FDR, on la trouve dans ce moment où il retient l'Amérique au bord du gouffre. »

On comprend que la similitude concerne l’acte et son intensité, et en rien ni la politique de l’un ni la politique de l’autre, qui sont un autre débat. La différence est aussi, – mille fois “bien entendu”, – dans les différences du contexte politique et métahistoire, et dans une mesure prodigieuse d’importance. FDR fit et fut, à mon avis, ce que j’ai écrit parce que je connais la suite de l’affaire. Là, ici, aujourd’hui, Trump n’est plus du tout FDR, et d’ailleurs nous ignorons complètement par la seule référence à notre raison “ce qui va être fait” (et non ce que Trump va faire) de cet instant métahistorique. Pour cela, retour à l’intuition qui fut mon instrument de synthèse pour le jugement que je porte sur FDR-1933, si elle répond toujours à ma sollicitation concernant les événements qui vont suivre ce moment Trump-2024.

Pour cette raison-là de l’intuition (!), je prends le droit d’afficher ce jugement sur Trump-2024 en vous affirmant d’une même plume que cela ne fait nullement de Trump mon héros politique et que je ne sais fichtrement pas où tout cela va nous mener pour le destin de l’Amérique... Et pour le nôtre par conséquent, puisque tout est si infiniment lié dans ce monde “américanisé” plutôt que “globalisé”, tandis qu’il s’avère que la globalisation que certains voulaient faire de l’américanisation du monde est un échec total, complet, retentissant comme l’était sans aucun doute l’Amérique et la production psychologique enfantés par le capitalisme déchaîné de cette même Amérique durant les années 1920, jusqu’au “Mardi noir” d’octobre 1929 préparant la rupture métahistorique de 1932-1933.