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606528 janvier 2023 (19H00) – Qui ne ses souvient du tonnerre que causa, en 1989-1991, une conférence transformée en l’article, et l’article transformé en livre, tout cela sous le titre de ‘La fin de l’histoire’ ? L’auteur était un fonctionnaire du département d’État, Francis Fukuyama, d’origine Asian-American (oui pour la diversité). L’idée était que la démocratie libérale américaniste l’avait emporté et régnait désormais sur le monde jusqu’à la fin des Temps ; d’où ‘The End of History’, – capito ?
On batailla ferme là-dessus et, dès1990 et la crise de l’ex-Yougoslavie, on commença à ricaner. Moi-même, comme d’habitude du camp des réfractaires et des dissidents... Mais voici que, trente ans plus tard, me vint une idée ; je parle d’il y a quelques heures, une idée comme ça, que je sentais venir sans lui donner forme... Les mots aident, ils ont leur propre force, leur propre sens, vous les dites ou vous les entendez en croyant les maîtriser mais ils reviennent, disons “par la fenêtre”, vous chuchotant quelque chose d’inattendue...
C’est en relisant ce passage du texte d’hier de la rubrique du ‘Jourbal-dde.crisis’ que m’est venue cette idée baroque : “Mais la voilà, ‘la fin de l’histoire’ !”, – mais pas du tout, mais alors PAS-DU-TOUT dans le sens bien lissé du State Department...
« Le fait est, remarquions-nous un de ces jours derniers, un ami et moi, que l’on ne peut plus guère discuter de ceci ou de cela, de tel et tel aspects d’‘Ukrisis’, – je veux dire la crise du monde et la crise de la fin de la civilisation-modernité, – tant les horizons nous paraissent bouchés et verrouillés comme à jamais par les plus terribles échéances. Alors, sur le fond des choses, nous nous taisons. Nous nous disons qu’il faut qu’il se produise quelque chose d’absolument imprévisible, hors de notre vision et de notre destin, qui, éclatant soudain “comme mille soleils”, mais avec le sens de l’image inversé, bouleverse notre destin commun. »
Ces remarques que nous faisions, qui concernent les événements courants, et courant si vite qu’ils en deviennent insaisissables, actent l’impuissance de l’histoire à les justifier, à les éclairer, à les comprendre. ‘La fin de l’histoire’ ? Nous y sommes là, maintenant, et pas du tout comme l’on croyait, ni dans le sens qu’on croyait, ni selon le schéma adopté lorsqu’on débattait en pour et contre Fukuyama. Nous ne sommes pas au bout de l’histoire, l’histoire ayant accompli son travail ; nous sommes en haut de l’histoire, dans des événements inattendus et incompréhensibles, tellement pressants et puissants que l’histoire défaille, à court de souffle, inaccoutumée de ces altitudes et de ces tensions, que l’histoire explose en finissant car elle ne peut plus nous contenir ni nous convenir.
Si l’on veut une représentation schématique, je laisserais absolument celle du philosophe de l’histoire, avec un Fukuyama présentant une histoire linéaire, – que vous acceptez ou non, – et qui a une fin qu’il salue avec toute la vertu de la démocratie libérale-américaniste. Je choisirais plutôt la dynamique de l’histoire, ou l’histoire peut-elle encore contenir et donner un sens par ses propres règles aux événements qui nous emportent, – et la réponse est devenue absolument négative. Alors, la représentation schématique de l’histoire devient celle d’un volcan qui, longtemps, a contenu le bouillonnement des événements dans une sorte de structuration semblant dotée d’un sens autour duquel nous débâtîmes avec fièvre, et qui soudain n’en peut plus de la pression qui s’exerce sur ses bornes, et le volcan explose. Les événements jaillissent alors en coulées de lave, en pluies de cendres, en orages de pierres incandescentes, en tonnerres de Dieu.
Vous ne savez pas où nous mènent toutes ces catastrophiques occurrences des événements venus d’on ne sait où mais vous savez au moins une chose en contemplant les débris multiples jaillis de l’explosion du cratère, de tout ce qu’il reste de la structuration de l’histoire, – vous savez au moins d’expérience directe et d’anxiété indicible que c’est “la fin de l’histoire”.
Tous les personnages en piste/en scène, qui font les importants, sont des importuns à la mesure de cette terrible catastrophe. Eux aussi et bien plus que nous, sont emportés dans des événements catastrophiques sans vraiment comprendre comment et pourquoi, etc., et du coup ils acquièrent la dimension pathétique de pantins balayés comme fétus de paille, incompétents, désarçonnés, perdus et cédant aux élans de leur affectivisme.
Prenez la dernière occurrence en date, celle de la gentille (façon de parler) Annalena Baerbock, dont le vrai nom est Annalena Bismarck-Gensher, annonçant devant une assemblée approbatrice (l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe), d’une voix claire et dans un anglais parfait (traduit par nos soins, nous alliés de l’Allemagne) que
« le plus important et le plus crucial est que nous [pays européens] le fassions ensemble et que nous ne cédions pas au jeu des reproches [entre Européens], car nous menons une guerre contre la Russie et non les uns contre les autres. »
Le lendemain, le président croate Zoran Milanovic, qui se trouvait en visite dans sa bonne ville portuaire de Split remarqua dans une intervention publique, sur le ton du monsieur qui dit “Nous sommes en guerre ? On aurait pu me le dire” :
« Maintenant, la ministre allemande des Affaires étrangères dit que nous devons être unis, parce que, – je cite, – “nous sommes en guerre avec la Russie”. Je ne le savais pas. Peut-être que l'Allemagne est en guerre contre la Russie, et alors bonne chance ! Peut-être que cette fois-ci cela se passera mieux pour eux qu'il y a 70 ans. »
Et alors, je déniche un lecteur, commentant un texte collationnant les diverses réactions, en général un peu stupéfaites après les déclarations de Annalena, et ce lecteur indique à la Russie ce qu’elle doit faire, c’est-à-dire réagir tout de même avec une certaine vigueur, dans tous les cas dans le désir d’informer ces drôles d’Allemands de ce qu’il risque d’arriver :
« La Russie devrait convoquer l’ambassadeur d'Allemagne et lui demander en termes brutaux d’une syllabe si l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Puis elle déclarerait avec force que si l'Allemagne fournit ou facilite l'utilisation de systèmes d'armes ou de munitions capables d'effectuer des frappes offensives, délibérément ou accidentellement, contre tout territoire russe, cela constituerait en soi une déclaration de guerre totale. Et la Russie répondrait en conséquence contre des cibles choisies sur le territoire allemand... »
Mais les Russes ne feront pas cela. D’abord parce qu’ils sont prudents (nombre de leurs amis le leur reprochent bien assez). Peut-être aussi, et même surtout, parce qu’ils ont renoncé à comprendre, parce qu’ils sont sans doute les seuls à avoir pratiquement admis qu’on ne peut plus rien comprendre aux événements qui se produisent, et sans doute pas si loin de conclure qu’on n’y comprend plus rien parce que nous sommes sortis de l’histoire, que c’est bien ‘la fin de l’histoire’ que nous promettait Fukuyama, mais à l’envers.
Fukuyama nous annonçait ‘la fin de l’histoire’ par le bas, sur un territoire uniformément et démocratiquement plat et américanisé dans l’ennui et la vulgarité les plus assurés. Nous découvrons ‘la fin de l’histoire’ par le haut, vers des espaces et des temps inconnus, que l’on devine à la fois terribles et sublimes. Notre domaine est désormais complètement métahistorique, de cette métahistoire que nous attendons depuis quelque part autour de 2010-2011, par exemple lorsque me venaient ces lignes sous la plume :
« Je l’ai écrit bien souvent et c’est un fondement de la réflexion et du commentaire sur ce site ; je pense effectivement que “quelque chose” de fondamental se prépare, – non, que cela même est d’ores et déjà en cours sans qu’on ne saisisse ce phénomène sinon par intuition, – et qu’on ne peut savoir de quoi ce “quelque chose” est fait. (Pour moi, si le schéma de l’effondrement du Système est évident, cela ne me dit nullement comment se fait cet effondrement, de quoi il est fait et où il nous conduit.) »
Ne rien comprendre à tous ces événements qui se précipitent sur nous, c’est la fatalité même d’un esprit trop habitué à se borner lui-même, comme l’on dit “se brider”, par la vigilance de plus en plus tatillonne d’une raison qui s’est subvertie à force de se comporter en gendarme et en gardien de prison. La catastrophe qui s’abat sur nous est bien équivalente à l’origine et à la racine même de ce terme qui la désigne (du grec αταστροφή [“bouleversement” et “fin, dénouement”]) : la “fin” d’une histoire à bout de souffle, épuisée, absolument dépassée par le cours pressant et terrible d’événements auxquels elle ne peut rien sinon paraître ridicule (le plus terrible travers) à ses propres yeux et se réfugier dans le simulacre du déni.
Bien, je ne vous surprendrai pas en observant qu’il nous faudra bien plus qu’une “révolution” et qu’un ‘reset’ de station de ski à la mode pour nous permettre d’affronter le nouvel univers qui se dessine, le nouveau cycle qui va s'ouvrir. C’est une évidence qui va sans dire mais qu’il est opportun de dire. Nous sommes à un crépuscule bien différent des prévisions conformistes de Fukuyama et des plans sur la comète des “sorcières de Davos”. Il nous faut nous préparer et nous attendre à une nouvelle ‘Aurore’.
Note de PhG-Bis : « PhG précise qu'il cite avec ce dernier mot le titre du livre de Nietzsche car il est bon d’être sous sa protection, cela permettant d’y ajouter la suggestion faite à la jeune Annalena d’en lire quelques aphorismes, peut-être en lecture commune avec son ami Vladimir Zelenski. “Et valsez pantins, valsez saucisses !” s'exclame PhG pour saluer comme elle doit l'être l'époque qui meurt. »
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