Mais n’est-ce pas plutôt un monument grotesque qu’une ambassade monstrueuse?

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Sans nul doute, le point le plus important dans cette étrange affaire de l’ambassade US de Bagdad, c’est que si peu de monde en mesure le grotesque. Cette ambassade monstrueuse, gargantuesque, qui semble être l’ambassade de toutes les ambassades (“la mère de toutes les ambassades”?), sert-elle vraiment à sa fonction d’ambassade capable de conduire tous les coups pendables auxquels nous a accoutumés l’américanisme qui se trouve toujours chez les autres comme chez lui ?

Tom Engelhardt s’essaie à un exercice de définition, ce jour même sur son site TomDispatch.com. Bien entendu, il est inévitablement conduit à des hypothèses surréalistes, dont il trouve d’ailleurs aisément les références chez les autres :

«The Guardian's Jonathan Freedland in the most recent issue of the New York Review of Books terms it a “base” like our other vast, multibillion dollar permanent bases in Iraq. It is also a headquarters. But what a head! What quarters! It is neither town, nor quite city-state, but it could be considered a citadel, with its own anti-missile defenses, inside the increasingly breachable citadel of the Green Zone. It may already be the last piece of ground (excepting those other bases) that the United States, surge or no, can actually claim to fully occupy and control in Iraq — and yet it already has something of the look of the Alamo (with amenities). Someday, perhaps, it will turn out to be the ''White House'' (though, in BDY's sketches, its buildings look more like those prison-style schools being built in embattled American urban neighborhoods) for Moqtada al-Sadr, or some future Shiite Party, or a Sunni strongman, or a home for squatters. Who knows?»

Engelhardt a son idée, et elle est excellente. Qu’est-ce que c’est que cette ambassade sinon un monument élevé à la gloire de la plus grande entreprise de conquête du monde de tous les temps? Qu’importe si l’entreprise échoue puisque l’ambassade est là et bien là, et qu’elle sera inaugurée en septembre prochain. Avec elle, l’aventure est fixée dans l’Histoire d’une façon définitive, et avec elle on peut être sûr que l’Amérique ne quittera jamais complètement “sa” conquête irakienne.

Irrésistiblement, Engelhardt est conduit à se référer au monument élevé à la mémoire des victimes de 9/11, à propos duquel il publia une autre chronique, il y a juste un an à 14 jours près. Le monument 9/11 est également monstrueux par son coût. Ainsi croirait-on que ces diverses commémorations dans les pierres et dans les $milliards toujours disponibles constituent effectivement les gloires ultimes, les batailles centrales de la guerre contre la terreur. Cette boulimie de commémoration, ou de faisant fonction, et de gaspillage nous indique clairement les limites et les impasses tragiques d’une nation qui n’arrive à se faire croire qu’elle est conforme à la narrative qu’elle se fait d’elle-même seulement quand elle se commémore ou se représente (après tout, c’est la fonction d’une ambassade) d’une façon grotesquement trompeuse.

D’où la conclusion de Engelhardt : oui, il s’agit bien d’un monument…

«In Baghdad, Saddam's giant hands are already on the road to ruin. Still going up in New York and Baghdad are two half-billion dollar-plus monuments to the Bush imperial moment. A 9/11 memorial so grotesquely expensive that, when completed, it will be a reminder only of a time, already long past, when we could imagine ourselves as the Greatest Victims on the planet; and in Baghdad's Green Zone, a monument to the Bush administration's conviction that we were also destined to be the Greatest Dominators this world, and history, had ever seen.

»From both these monuments, someday — and in the case of the embassy in Baghdad that day may not be so very distant — those lone and level sands will undoubtedly stretch far, far away.»


Mis en ligne le 30 mai 2007 à 14H39