MAM-en-chef à la forte parole

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MAM-en-chef à la forte parole


12 juin 2005 — Michèle Alliot-Marie (reconnaissance universelle sous l’acronyme maternel de MAM) a de fortes paroles. Elle indique l’orientation française réelle et féconde après le “non”, pour continuer l’Europe possible, utile et nécessaire. Pour l’Europe en difficultés, MAM, dans des propos recueillis par The International Herald Tribune, trouve le mot évident et fondamental pour le rôle que peut et doit tenir la défense dans la confusion actuelle: “stabilité”.


« “Defense is the area where Europe has progressed the most in the last three years,” she said in an interview. “At a time when a no to the constitution in two countries raises questions inside and outside of Europe, defense is a pole of stability and consensus, even among many who have said no.” »


La ministre française de la défense demande aux autres pays européens d’augmenter leurs dépenses de défense, comme un Rumsfeld pur sucre. Elle a peu de chances d’être entendue, guère plus, — quoiqu’un peu plus, sans doute — que le susdit Rumsfeld. Mais ces fortes paroles, qui ne cesseront pas d’être répétées, ont un avantage évident: elles inscrivent dans le marbre ce qui est vécu quotidiennement à Bruxelles, à l’UE certes, mais à l’OTAN également, — à savoir que, dans la réalité, la France est le leader incontesté de la défense européenne, par sa puissance militaire et technologique autant que par son allant. (Les Britanniques, par ailleurs embourbés jusqu’au cou en Irak et dans leurs stupides accords avec les Américains, n’étaient jusqu’ici, leaders, que dans le seul domaine de la rhétorique à propos de la défense. Ils pourraient y être également supplantés si MAM poursuit son travail de mise au point médiatique).

La ministre appuie son appel aux autres pays européens sur une affirmation rarement entendue, et qui reflète pourtant l’exacte réalité. L’affirmation que les Européens (c’est-à-dire pour une part essentielle les Français) sont aujourd’hui au même niveau technologique (militaire) que les Américains entraînera sans aucun doute des réactions contrastées, de la part des publicistes de la toute-puissance américaniste. Cela est dit avec le naturel de l’évidence, comme un simple constat d’évidence utilisé pour encourager des efforts supplémentaires permettant de garder ce niveau. Le poids de l’affirmation en est d’autant plus grand, et il en est encore plus incontestable.


« “We are currently at the same technological level as the United States — if we want to stay there, we have to do a lot more,” Alliot-Marie said. “That is the price for being not just an economic power, but a political power.” »


Cette sorte d’intervention vaut tous les “plans B” de la terre pour l’Europe institutionnelle, aujourd’hui en déroute. Il est évident que la défense est le domaine de prédilection, où tout l’effort doit être concentré et où il peut l’être sans difficultés institutionnelles ou autre. (Un référendum sur la constitution d’une défense européenne donnerait un “oui” majoritaire écrasant un peu partout en Europe, à commencer par la France. Pourquoi les politiciens européens ne s’y mettraient-ils pas, pour redorer leur blason?) Le développement et l’affirmation de la défense conduisent invariablement à un supplément de puissance, donc à un supplément d’identité politique. S’il y a une chance de créer une identité européenne aujourd’hui, c’est par ce domaine qu’on y viendra. La France, “non” ou pas “non”, y occupe une position maîtresse.

Dans le paysage politique désolé de la France, de son gouvernement et de son président dans le temps présent, — ce constat ne contredit nullement le constat précédent de la position centrale de la France en Europe, notamment par l’affirmation de la puissance militaire, — Alliot-Marie s’impose, à son tour, comme un “pôle de stabilité”. La ministre poursuit une route flegmatique et assurée d’affirmation politique, dont l’une des origines est le fameux face-à-face avec Rumsfeld en février 2003 à Munich, jusqu’à sa situation actuelle où sa personnalité et son action semblent la soustraire à la confusion ambiante. L’article n’en fait pas mystère, allant jusqu’à suggérer des ambitions politiques qui pourraient être mises en parallèle avec celles d’Hillary Clinton (et de Merkel en Allemagne?): « Today, two forceful men lead the French government. With Dominique de Villepin now prime minister and Sarkozy installed as his deputy, at the Interior Ministry, a power struggle between the two presidential rivals looks potentially explosive. Alliot-Marie ranks third in the cabinet. Should both acts of the double billing falter ahead of the 2007 presidential election, Alliot-Marie's advisers say, she will be ready. »

Lorsqu’Alliot-Marie s’impose dans cette voie d’affirmation de la puissance militaire, qui rétablit instantanément la France au centre du jeu européen, elle justifie cette sorte d’ambitions. Elle rencontre une logique inéluctable des relations internationales aujourd’hui, où le poids et la légitimité s’appuient sur quelques caractères essentiels, dont la puissance militaire et la puissance technologique en forment un de la plus grande importance. La ministre française en détient la clé, d’autant qu’elle reprend à son compte un peu plus de volontarisme français en matière de défense en raison de l’affaiblissement de Chirac. Elle a la possibilité d’acquérir une stature européenne si elle persiste dans sa réussite ferme et discrète.

Mais tout cela, pour ce qui concerne la femme politique, n’est finalement et pour l’instant que secondaire. Pour l’heure, l’essentiel est bien dans la réaffirmation de l’importance de l’outil militaire, et cela dans le cadre européen qui convient. A propos de l’affaire du Darfour (OTAN vs UE), les tories britanniques le constatent avec rage: « Once again, the French are pursuing their own agenda for a European army. » Le plus étrange, mais aussi le plus révélateur, est que cette phrase sonne, dans leur communiqué, comme une accusation de trahison. On ajoutera, avec une certaine satisfaction, qu’on y relève également du dépit. Bon signe.