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3157Musset grand auteur ignoré… Dans ses Confessions d’un enfant du siècle, il décrit le malaise moderne (on écrirait postmoderne, si la révolution c’est la modernité…) :
« Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leur bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. »
Le fric amène la libération sexuelle ultra façon DSK-Robbe-Grillet-Sade-etc., la pauvreté la gesticulation politico-sociale désordonnée, des barricades romantiques aux gilets jaunes :
« Les plus riches se firent libertins ; ceux d’une fortune médiocre prirent un état et se résignèrent soit à la robe, soit à l’épée ; les plus pauvres se jetèrent dans l’enthousiasme à froid, dans les grands mots, dans l’affreuse mer de l’action sans but. Comme la faiblesse humaine cherche l’association et que les hommes sont troupeaux de nature, la politique s’en mêla. »
La France ne produit plus d’idées, elle les recycle :
« Quand les idées anglaises et allemandes passèrent ainsi sur nos têtes, ce fut comme un dégoût morne et silencieux, suivi d’une convulsion terrible. Car formuler des idées générales, c’est changer le salpêtre en poudre, et la cervelle homérique du grand Goethe avait sucé, comme un alambic, toute la liqueur du fruit défendu. »
Plus personne ne croit en rien (d’ailleurs est-ce si grave, Alfred ?) :
« Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou si l’en veut, désespérance, comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : A quoi crois-tu ? et qui le premier répondit : à moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première : à rien. »
Manger, boire et dormir (sans oublier la télé et bronzer l’été) définit le futur humain :
« Voici donc ce que disait le corps :
L’homme est ici-bas pour se servir de ses sens ; il a plus ou moins de morceaux d’un métal jaune ou blanc avec quoi il a droit à plus ou moins d’estime. Manger, boire et dormir, c’est vivre. Quand aux liens qui existent entre les hommes, l’amitié consiste à prêter de l’argent ; mais il est rare d’avoir un ami qu’on puisse aimer assez pour cela. La parenté sert aux héritages : l’amour est un exercice du corps ; la seule jouissance intellectuelle est la vanité. »
On reverra la Maman et la Putain de Jean Eustache, sommet du nihilisme parisien, snob, enfumé – tourné sous la misérable présidence Pompidou - et qui montrait le développement tératologique de cette weltanschauung du vide, qui peut tourner en rond pendant encore cent ans (cela dépendra du climat).
Le mécontentement du pauvre reste à l’ordre du jour :
« Mais si le pauvre, ayant bien compris une fois que les prêtres le trompent, que les riches le dérobent, que tous les hommes ont les mêmes droits, que tous les biens sont de ce monde, et que sa misère est impie ; si le pauvre, croyant à lui et à ses deux bras pour toute croyance, s’est dit un beau jour : Guerre au riche ! à moi aussi la jouissance ici-bas, puisque le ciel est vide ! à moi et à tous, puisque tous sont égaux ! ô raisonneurs sublimes qui l’avez mené là, que lui direz-vous s’il est vaincu ? »
Après la maladresse communiste (Chateaubriand dans sa célèbre conclusion des Mémoires), on le calme le pauvre, par la malbouffe et le smartphone. Ce sont les riches qui sont les plus rebelles, voyez Chesterton et Tocqueville. Ils sont insatiables et ils se garderont pour eux seuls ce que le capital laisse de cette planète.
Puis Musset voit qu’on n’invente plus rien : on recycle. Le monde anesthésié et stérilisé du progrès n’est bon qu’à recycler, dès le début du romantisme, qui recycle l’orient des voyages ou bien le moyen âge (Heine en parle bien aussi, qui en souligne le danger…en Allemagne) :
« Notre siècle n’a point de formes. Nous n’avons donné le cachet de notre temps ni à nos maisons, ni à nos jardins, ni à quoi que ce soit. On rencontre dans les rues des gens qui ont la barbe coupée comme du temps d’Henri III, d’autres qui sont rasés, d’autres qui ont les cheveux arrangés comme ceux du portrait de Raphaël, d’autres comme du temps de Jésus-Christ. Aussi les appartements des riches sont des cabinets de curiosités ; l’antique, le gothique, le goût de la Renaissance, celui de Louis XIII, tout est pêle-mêle. Enfin nous avons de tous les siècles, hors du nôtre, chose qui n’a jamais été vue à une autre époque ; l’éclectisme est notre goût ; nous prenons tout ce que nous trouvons, ceci pour sa beauté, ceci pour sa commodité, telle autre chose pour son antiquité, telle autre pour sa laideur même; en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. »
On répète, car c’est génial : « nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. »
Comme Pouchkine dans Eugène Onéguine, Musset trouve qu’on lit trop (aujourd’hui « on se goinfre d’images », comme dit Clint Eastwood !). La surconsommation littéraire produit le champ de ruines Bovary que traitera Flaubert :
« Tel était mon esprit ; j’avais beaucoup lu ; en outre, j’avais appris à peindre. Je savais par cœur une grande quantité de choses, mais rien par ordre, de façon que j’avais la tête à la fois vide et gonflée, comme une éponge… Je devenais amoureux de tous les poètes l’un après l’autre ; mais, étant d’une nature très impressionnable, le dernier venu avait toujours le don de me dégoûter du reste. Je m’étais fait un grand magasin de ruines, jusqu’à ce qu’enfin, n’ayant plus soif à force de boire la nouveauté et l’inconnu, je m’étais trouvé une ruine moi-même. »
Certains tancent l’individualisme, et ils ont tort. Le monde moderne liquide tout, et le salut ne se situera qu’à cette échelle ! Et on conseillera à ceux que ce Musset écœuré rebute le génial et dynamique récit érotique Gamiani, théoriquement anonyme, et qui était recommandé par Evola dans sa métaphysique du sexe.