McCain écrit au CNT…

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Une lettre de John McCain au CNT “révolutionnaire” de Libye, et voici un élément de plus dans l’exemplaire chaos que représentent l’affaire libyenne, l’engagement du bloc BAO (France, Royaume-Uni, OTAN, etc.), et la position, voire l’autorité (?) du CNT. Cette lettre, qui est peut-être une “fuite” plus ou moins manipulée, a été obtenue par Kim Sengupta et Solomon Hughes de l’Independent, avec publication du contenu de la lettre et de commentaires, ce 29 juillet 2011.

Il s’agit d’un sérieux “avertissement” au CNT du sénateur McCain, institué pour l’occasion non moins sérieux acteur de la politique extérieure des USA. En cause, les divers “incidents” désormais rapportés par des organisations humanitaires, sur les abus et violations des droits de l’homme, de la part de divers groupes “rebelles” et “révolutionnaires” dépendant en théorie du CNT. La lettre date du 20 juillet, et en voici les principaux termes tels que les rapporte l’article.

«Dear Dr Jibril...

»You have no greater friend and supporter in the United States Congress than me, and I will continue working tirelessly to urge my government to take further steps that would support your efforts... It is as your friend and supporter that I write to you regarding the recent documentation of human rights abuses committed by opposition fighters... […]

»I am confident you are aware of these allegations, and I know that the principles espoused by the TNC [Transitional National Council] stand in stark and positive contrast to the acts of cruelty that the Gaddafi regime continues to perpetrate against the Libyan people. It is because the TNC holds itself to such high democratic standards that it is necessary for you and the Council to take decisive action to bring any human rights abuses to an immediate halt.

»It is equally important for the TNC to make clear through public statements that such acts will not be tolerated and that the TNC remains fully committed to the protection of human rights. I urge you to investigate the recently documented abuses, hold people accountable as necessary, and ensure that opposition military forces are abiding by the principles of justice and human rights that the TNC has correctly championed.

»As you surely know, the critics of the TNC, both in the United States and across the world, are eager to seize on any transgression to stoke opposition to the Council and to the Libyan people's fight for freedom. By taking a strong and principled response to any allegations of human rights abuses by forces under the TNC's command, you can turn this troubling setback into an opportunity for your supporters, both in Libya and in the community of nations, to reaffirm why the Libyan opposition is so worthy of greater recognition and support.»

Quelques précisions figurant dans l’article apportent des éléments supplémentaires pour illustrer le désordre de l’affaire libyenne dans les rangs américanistes-occidentalistes. On voit, en succession, apparaître des positions diverses et, en général, marquées par les contradictions…

«The Republican Senator John McCain's stark message emerged the day after the British Government recognised the Transitional National Council based in Benghazi as the legitimate representatives of Libya and ordered the Tripoli regime's diplomats to leave the UK. […]

»Senior British Tories have long been close to Mr McCain and David Cameron, then leader of the opposition, broke diplomatic convention by backing the Senator in the presidential race in a fulsome speech in 2008. […]

»Disarray among opposition ranks was illustrated when the TNC's co-ordinator in Britain, Guma el-Gamaty, dismissed as “silly” the recent offer by the TNC head, Mustafa Abdel Jalil, that Colonel Gaddafi and his family could stay in the country rather then go into exile. “I think we are coming to the end of all these silly political initiatives and all this talk about Gaddafi staying in Libya,” he said. Mr Gamaty's stance also runs contrary to the position of the French government that peace talks can begin with Colonel Gaddafi staying in the country as long as he relinquishes power. The Foreign Secretary, William Hague, has also endorsed this position although he has stressed that it was ultimately a question for the Libyan people to decide.»

John McCain est un sénateur républicain contrasté, en général considéré comme influent mais néanmoins très désordonné. Lunatique, emporté et parfois oublieux du contrôle lui-même, jouant à l’original avec ses campagnes contre le rôle de l’argent dans la politique US (bien que lui-même ne dédaigne pas la chose), jouant au “libéral” en diverses matières, et notamment en politique extérieure lorsque les libéraux sont favorables à des actions bellicistes (on les nomme alors “liberal hawks”)… Sur ce dernier point, justement et contrairement à nombre de ses comportements, McCain a montré une certaine continuité. Il a constamment suivi la ligne des bellicistes libéraux, voire des néoconservateurs, si nécessaire en écartant certains éléments embarrassants pour les diverses causes embrassées ; il a notamment soutenu les “révolutions de couleur” et la Géorgie contre la Russie. La “révolution” libyenne, à l’accent droitdel’hommiste marqué (orchestration par BHL), était par conséquent une cause pour lui. Il n’y a pas manqué et en a été le héraut dès l’origine. Aujourd’hui, cette lettre représente une rupture assez remarquable, et un événement tout à fait inédit dans la carrière postmoderniste (à partir du 9/11) de John McCain. L’étendard “rebelles” et “révolutionnaires” type-droitdel’hommiste est abandonné au profit d’un avertissement brutal.

On tirera de cette prise de position très inattendue quelques observations, confirmant par ailleurs des situations ou des évolutions avérées.

• Le désordre est général, particulièrement dans les rangs du bloc BAO. Les initiatives contradictoires se poursuivent, comme on l’a vu notamment dans la position britannique (lundi, soutien du secrétaire au Foreign Office Hague à l’idée du maintien de Kadhafi, sans ses pouvoirs, en Libye, après la victoire des “rebelles-révolutionnaires” ; mercredi, expulsion du Royaume-Uni de la représentation libyenne-Kadhafi au Royaume-Uni, au profit du CNT). Le bloc BAO est pris entre, d’une part, la représentation virtualiste de son intervention en Libye, qui lui enjoint de soutenir fermement le CNT et d’éliminer Kadhafi sans ménagement ; d’autre part, l’épuisement et la vanité de cet engagement militaire, ses coûts insupportables, l’absence totale d’efficacité du CNT et de ses troupes, jusqu’à un blocage endémique de la situation sur le terrain.

• La lettre de McCain, notamment si elle a été écrite en coordination avec le gouvernement Cameron dont McCain est proche, pourrait également annoncer l’amorce d’une tactique de désengagement américaniste-occidentaliste. Les Européens et l’OTAN pourraient se saisir indirectement de l’argument de la “mauvaise conduite” des “rebelles-révolutionnaires”, exposé en primeur par McCain, pour accélérer leurs manœuvres de désengagement en se parant du manteau habituel de la vertu droitdel’hommiste.

• Il ne faut pas, pour autant, écarter l’aspect américaniste de l’initiative de McCain, sur fond de crise budgétaire et de la dette aux USA, et de la tendance antiwar apparue en mai-juin à Washington. Il y a un sentiment général et qui ne cesse de s’étendre, à Washington, de “fatigue de la guerre”, devant la vanité de ces engagements bellicistes et leur coût pharamineux. McCain était opposé à cette tendance antiwar lorsqu’elle est apparue en mai-juin. Mais peut-être lui-même a-t-il évolué, et sa lettre apparaît alors, comme dans le cas des interventionnistes en Libye, comme une modification de sa position et un renforcement de la “fatigue de la guerre” à Washington, manifestée essentiellement dans le cas libyen.


Mis en ligne le 29 juillet 2011 à 11H49