Mélenchon et son ami Tsipras

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Mélenchon et son ami Tsipras

Nous l’avouons sans fard, ayant montré régulièrement, depuis quelques années, un intérêt épisodique mais appuyé et nullement feint pour les interventions publiques de l’homme politique, nous fûmes dans le début de soirée de ce funeste dimanche de juillet, paroxysme du “massacre de juillet”, à la fois stupéfait et furieux durant quelques minutes où nous vîmes plus qu’entendîmes Mélenchon interrogé par le mignon de service (sur BFM-TV, semble-t-il), à la fois sur les évènements en cours et sur son livre Le hareng de Bismarck. A l’aise, impeccable orateur, avec ce qu’il faut d’ironie pour rendre plus aimable la rude logique et de chaleur du propos qui donne belle vie à tout cela, Mélenchon décrivait une bataille en train de se livrer, qui nous parut aussitôt absolument, complètement fantasmagorique, – c’est-à-dire sans rapport essentiel aucun avec la “vérité de situation”. Il décrivait Hollande défenseur-de-Tsipras faisant bien plus que résister à Merkel, il conseillait à Merkel de se calmer, il laissait penser in fine que l’on était en train de sauver “l’Europe”, voire même de redessiner la susdite selon des normes plus humaines, plus sociales, selon aussi un plus grand respect des valeurs principielles comme la souveraineté des peuples (nous dirions “des nations”, mais nous nous comprenons). Bref, Mélenchon, qui est contre toute sortie de l’euro car c’est le point central, arguait si nous comprenions bien, – nous n’avons pas suivi toute cette intervention et l’avons plus “ressentie” que disséquée, – que de ce drame extraordinaire pouvait sortir quelque chose d’assez haut où la Grèce n’aurait pas perdu toute sa dignité et surtout pas son ontologie d’être, et où la France, somme toute, aurait à peu près “tenu son rang” en tenant l’Allemagne à distance ...

Précisons bien que notre “si nous comprenons bien” indique que nous ne raisonnons ni ne décrivons la chose selon des références précises, selon un verbatim de l’émission que nous n’avons pas le goût de visionner car seul nous importe l’essentiel, et qu’un plaideur tatillon pourrait nous trouver à cet égard l’un ou l’autre pou sur un crane pourtant fort dégarni. Non, nous parlons de l’esprit de la chose, qui revenait à dire : un Grexit, et à plus fortes raisons pouvait-on penser in fine dans ces instants tragiques, éventuellement une décision extraordinaire de rupture de Tsipras dans ce sens, constitueraient une catastrophe qu’il fallait éviter à tout prix. Au même moment, sur telle ou telle autre chaîne, apparaissaient les premiers détails fondamentaux du coup de force achevé de ce jour-là, les véritables conditions du “massacre de juillet”. On sait ce que nous en pensons («...c’est-à-dire une attaque d’une violence inouïe ressemblant à un acte d’agression spécifiquement voulu comme barbare contre la souveraineté et la légitimité, contre le principe de l’identité, une attaque contre l’ontologie, contre l’être même»), et le contraste entre les deux choses (le discours de Mélenchon et la mise en place de la forfaiture) provoqua, à notre sens, la stupéfaction et la fureur dont nous parlons au début. Nous ne disons pas “justifia” pour ne pas être trop stricto sensu car, encore une fois, les mots peuvent se brouiller, – mais l’on va voir que cela importe peu puisque ce qui importe, à partir de l’esprit de la chose, ce sont les réflexions qui suivent, portant sur une situation et des problèmes objectivement existants.

Il reste que nous faillîmes saisir notre plume et nous lancer dans une diatribe dont on imagine quelle en aurait été la teneur. C’eût été une erreur. Nous nous retînmes selon le geste à la fois intuitif et rationnel d’apaiser une passion sans pourtant en tuer la cause qui peut être bonne, et laisser faire le temps et la raison, et espérons-le le travail de l’intuition. Bien nous en prit... D’abord, voici l’avis circonstancié et acté par l’écrit de Mélenchon sur ce “massacre de juillet”, que nous reproduisons ci-dessous, repris de son blog (le 13 juillet 2015) autant que du site LeGrandSoir (le 13 juillet 2015). La ligne générale, on le comprend, emporte dans l’oubli, – mais pas vraiment dans le quiproquo, – ce que nous avions encore de stupéfaction et de fureur à l’endroit de la première intervention mentionnée ci-dessus.

Mélenchon dit son fait à la chose, à l’acte furieux de “la Secte”, de l’orque monstrueux sorti en pleine lumière ce jour-là de juillet chargé des traces puantes de ses abysses infernaux pour nous montrer de quel bois il se chauffe. Il le fait surtout en citant les autres (le Spiegel, l’Huma, Renzi, etc.) et, au-delà, en désignant l’Allemagne (qui est le bourreau principal, certes, par habitude historique, mais qui n’est que déléguée du Système à cet égard et promise comme les autres à en subir les conséquences). Il le fait en ignorant ce qu’il y a de monstrueux et de monstrueusement autonome dans l’orque (“la Secte”, le Système, le Mal), parce que, dans un système de pensée “contraint” (comme il qualifie lui-même l’accord), il est de mauvais ton et un peu de déraison d’en appeler à ces bizarreries-là ; on les laisse à un Dante, à un Plotin, à un Saint-Augustin... Quoi qu’il en soit, il présente l’“accord” de dimanche, effectivement comme doit l’être techniquement “le massacre de juillet”. Ainsi remarque-t-il, avec une grande mesure mais fermement :

«Telle est pourtant dorénavant l’Union européenne. Le gouvernement d’Alexis Tsipras a résisté pied à pied comme nul autre ne l’a aujourd’hui fait en Europe. Il doit accepter un armistice dans la guerre qui lui est menée. Notre solidarité lui est due. Mais rien ne doit nous obliger a accepter de participer à la violence qui lui est faite. Si j’étais député, je ne voterais pas cet accord à Paris. Ce serait ma manière de condamner la guerre faite à la Grèce. Ce serait ma manière de condamner ceux qui la mènent et les objectifs qu’ils poursuivent.»

Nous comprenons parfaitement : Mélenchon est un homme d’honneur et un homme d’amitié, et il nous paraît assuré que les liens d’une belle hauteur que son estime lui ménage, personnellement et politiquement, avec Alexis Tsipras, justifient une certaine retenue du langage sans pourtant rien céder sur le fond. Après tout, ce qu’il nous dit vraiment, en allant au net, n’est-ce pas ceci en vérité : “si j’étais député grec (non pas à Paris, hein, mais à Athènes), je voterais contre ce texte, c’est-à-dire contre mon ami Tsipras qui a la tâche absolument horrible de devoir défendre ce torchon ignoble qu’est l’accord, et d’aller jusqu’à rameuter l’opposition qui ne cesse de lui plonger des poignards dans le dos et qui est la première et seule responsable de cet effroyable tragédie” ? Nous comprenons bien que, dans ces conditions, l’on emploie un langage effectivement “contraint” : il nous semble que, de la même façon qu’il aime de Gaulle, Mitterrand ou Chavez, Mélanchon aime Tsipras et il lui répugne de lui faire le moindre mal, surtout dans des instants si tragiques où son ami poursuit son chemin de croix ; au reste, ce n’est que justice dans l’amitié, car Tsipras, contraint lui-même ô combien, ne mérite pas une seule seconde qu’on lui inflige un mal supplémentaire à celui qui l’accable.

Il n’empêche que la tragédie est bien là, — car l’orque monstrueux veille : c’est Tsipras lui-même qui va devoir accomplir, “opérationnaliser” l’infamie qui crucifie son peuple. Nous ne sommes pas au temps de l’Allemagne nazie et de ses satellites avec le traitement des “locaux” qui allait avec, nous dit Mélenchon («Je ne compare jamais l’Allemagne actuelle à celle des nazis. Je ne l’ai jamais fait») ; certes, certes, mais on nous permettra, à nous, d’y respirer un air familier, et si un exalté vous dit qu’en l’esprit et selon des méthodes différentes, des “qui tachent moins” vous voyez, “on s’y croirait”, réfléchissez avant de l’envoyer devant le tribunal de la repentance mise en cause dans sa légalité postmoderniste et métaphysique, et absolument terroriste.... “Esprit, es-tu là ?” Et comment...

Puisque nous sommes dans la fameuse “extrême-droite” dont les jolies mamans-Système menacent leurs bambins pour leur permettre de faire des rêves postmodernistes sans trop de risques, restons-y. A un moment de cette intervention signalée plus haut (BFM-TV), manifestement emporté nous semble-t-il, Mélenchon cita (on retrouve ce point dans le texte) la Finlande comme pays le plus anti-Grèce, anti-Syriza, etc., au côté de l’Allemagne, – ce qui est l’exacte vérité ; puis ajoutant qu’on trouvait dans le gouvernement finlandais un parti d’extrême-droite, “des amis de madame Le Pen”, et que d’ailleurs “la montée de l’extrême-droite” (ditto, “les amis de madame Le Pen”) était le fait le plus inquiétant de ce qui se passait en Europe, – mais heureusement commenterions-nous pour notre part si nous y croyions, Hollande avec son Valls dans la poche-arrière saurait nous en protéger, comme il a défendu Tsipras...

Ah bon, tout ça ? On en viendrait alors à déduire, par équivalence des circonstances et des étiquettes, que “madame Le Pen,” à l’image de “ses amis” finlandais, est l’ennemie la plus acharnée de Tsipras, Syriza & Cie. Est-ce bien raisonnable, lorsqu’on sait le vrai ? Il est vrai également qu’on nous a déjà expliqué que le soutien indéfectible de “madame Le Pen” à Tsipras, c’est “une manœuvre cynique” de la cheftaine du FN, – c’est Juppé qui nous disait cela il y a quelques temps, de sa voix grave comme venue d’un objet nouveau qu’on pourrait qualifier de “crétin le plus intelligent d’entre nous”. (Aucun risque, nous ne faisons que citer, – Onfray parlant de Valls, Chirac de son compagnon du temps des cerises, Juppé soi-même, dont la transmutation de ces dernières années en robot-Système a stupéfait, – nous le savons directement, – quelques-uns de ses plus anciens collaborateurs.) ... Et pour agrémenter ce propos des nouvelles du front de ce jour où les choses ne sont pas si simples, on peut également remarquer que c’est bien un parti d’une droite que d’aucuns dans notre presse-Système présentèrent comme “extrême”, ALEN, qui participe au gouvernement Tsipras, qui refuse l’accord. Son leader, le ministre de la défense Panos Kammenos, vient d’annoncer, après avoir rencontré Tsipras : «Ce document est un “coup” monté par l’Allemagne et d’autres pays. Il comprend de nombreux points nouveaux... Nous ne pouvons marquer notre accord avec ça.»

Trêve de banalités obsessionnelles ... Chacun a ses obsessions, ou “pathologies obsessionnelles”, et chez Mélenchon c’est l’extrême-droite. On remarquera qu’en observant cela, nous ne nous extrayons pas du lot (“chacun a...”), et d’ailleurs nous pensons qu’une obsession n’est pas une pathologie, ou bien que toutes les pathologies ne sont pas nécessairement mauvaises ; une obsession, c’est d’abord l’expression plus ou moins excessive mais nullement faussaire d’une ligne ferme de l’esprit, et l’on peut considérer que le Delenda est Cartago était celle du vieux Caton, comme le Delenda est Systema est la nôtre. Là où l’affaire se corse, c’est lorsque l’obsession exprime une ligne ferme de l’esprit qui n’a plus aucune raison d’être, qui rend compte de vieux souvenirs disparus ou de fantasmes entretenus par exemple par la nostalgie (belle chose), par exemple par une action pernicieuse de la psychologie, ou d’influences extérieures sur la psychologie (plus préoccupant, ça). Ainsi Mélenchon laisse-t-il son esprit par ailleurs si ferme et si juste être régulièrement noyé par un fantasme qui lui dissimule la vérité fondamentale de la situation de notre temps, dans ce Temps d’un affrontement ultime où il faut savoir faire preuve d’audace, de conviction justifiée et de fermeté, et de lucidité pour identifier l’essentiel de l’accessoire.

Effectivement, nous avouons n’avoir guère de goût pour les étiquettes, dans un Temps d’une simplicité d’apocalypse où flamboient les simples et terribles formule de tonnerre montrant que l’affrontement est entre une force immense comme l’histoire n’en a jamais connue, mais comme l’Histoire (la métahistoire) seule peut nous ménager, et ce qui s’y oppose. Il y a le Système, et ceux qui, dans le Système, jugent que leur honneur, leur devoir, leur raison d’être, se trouvent dans la résistance antiSystème. Cette situation des antiSystème, qui sont nécessairement d’horizons multiples et d’idéologies différentes, ou de pas d’idéologie du tout, s’appelle, selon le mot d’Ho Chi-Minh, identifier l’“ennemi principal”, – et nous dirions l’ennemi exclusif pour notre compte (Delenda est Systema), comme l’on parle de l’“Ennemi Total”, objet absolument totalitaire sorti d’une métaphysique invertie et dont le but est la destruction du monde. A cette lumière, voici ce qui est bien malheureux pour le débat qui nous occupe : nous avons déjà écrit si souvent que la France en tant qu’être avait un rôle privilégié dans cet affrontement de titans, et qu’elle ne le tient pas à cause du sort qui lui est fait par un Système qui sait identifier les dangers qui le guettent et y introduire les germes de l’inversion et les chimères de la division pour les neutraliser.

Récemment encore (le 29 juin 2015), nous rappelions une observation du texte déjà cité plus haut, du 12 avril 2012, et jugions qu’il valait toujours pour la question traitée ... Ce point de vue n’a évidemment pas changé :

«Ainsi relève-t-on une ambiguïté dans l’attitude de Mélenchon, ambiguïté qu’il n’est pas le seul à porter, qui se marque le plus souvent quand surgit une personnalité politique qui entend affirmer une position de forte substance. Le décalage est considérable entre son discours socio-politique intérieur, fortement “idéologisé” et proclamé partout, et son discours fondamental de “politique de la grande crise”, celui qui nous intéresse, et qui est dit mezzo voce, pour des oreilles attentives ou incrédules. Le premier soulève peut-être les foules mais il est d’une pauvreté inhérente à l’“idéologisation” de notre temps (de droite, de gauche, ou du centre, ou d’où que vous le voulez). Malgré les apparences, il joue à fond pour le Système, en perpétuant les clivages artificiels qui empêchent les alliances antiSystème fondamentales. Les attaques de Mélenchon contre la FN font partie de ce folklore assez vain, réducteur et peu glorieux, et en plus complice du Système. (Cela nous rappelle une confidence désabusée de Régis Debray début mai 2002, alors que d’immenses manifs’, essentiellement de gauche, parcouraient la France contre un Le Pen assuré de ne jamais pouvoir gagner ce deuxième tour, et que nous nous interrogions sur la signification et l’héroïsme de cette mobilisation : “Qu’est-ce que tu veux, chaque génération a besoin de sa guerre d’Espagne..”. Les temps ont changé, pour ce qui est de l’héroïsme.)

»...Ce qui rend d’autant plus précieux et brillant, l’autre aspect de l'intervention de Mélenchon, sa “politique de la grande crise”...»

Lisez l’article de Mélenchon où “il met les choses au point” en épargnant le plus possible ce qu’il doit peut-être sentir de la critique fondamentale qu’on peut faire du courageux Tsipras, qui est son ami : on y trouve tout ce qu’il faut de rationnel et de “militant”, avec assez de chaleur, pour dénoncer et condamner l’infamie... “Tout ce qu’il faut” mais pas tout de l’essentiel puisqu’il y manque, justement, l’hypothèse essentielle : Tsipras aurait pu, peut-être aurait-il dû, par un moyen ou l’autre, avec le “courage d’Achille et (surtout) la ruse d’Ulysse”, rompre exactement comme l’on frappe un coup mûrement préparé ; “rompre”, c’est-à-dire, au coup de force répondre par un contre-coup de force, annoncer le processus vers un choix du Grexit, annoncer cela en pleine négociation, devant la presse, comme on pose un acte fondamental, avant de quitter aussitôt Bruxelles pour Athènes, – car c’était pour lui la seule façon d’échapper au “revolver sur la tempe” qui semble avoir été une des dispositions majeures des négociations de Bruxelles. Partir à Athènes dans de telles circonstances, n’aurait-ce pas été, dans l’esprit de la chose comme dans l’allure symbolique du geste, comme un de Gaulle refusant l’armistice infâme et gagnant Londres pour résister ? On chipoterait aussitôt que la situation en Grèce ne le permettait peut-être pas, sauf qu’il y a des cas de vie ou de mort qui autorisent à se passer de la mesure de la gestion courante des choses pour poser l’acte fondamental, celui que les médiocres jugent “fou” et que l’Histoire sanctifie plus tard comme l’héroïsme sublime mis au service de la vieille Civitas antique, celle qu’ils allèrent défendre aux Thermopyles, – “Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts pour défendre ses lois...”

... Si nous étions trop bon prince, nous dirions à Mélenchon qu’il lui aurait suffi de lire Sapir pour comprendre ce que nous voulons dire ; mais le prince, c’est-à-dire le conseiller autoproclamé de la parabole du prince en l’occurrence, a le devoir dans certains cas de donner un avis comme on assène une évidence. Non, il lui aurait suffi, à Mélenchon, d’écouter ce que dit madame Le Pen (le 13 juillet 2015 : «...à la place d'Alexis Tsipras, j’aurais engagée la Grèce vers la sortie de l'euro»), et de comprendre qu’il ne peut, lui, selon sa propre logique et s’il accepte de prendre pour du comptant ce qu’est devenu le monstre («Telle est pourtant dorénavant l’Union européenne»), conclure par un autre propos que celui de ladite madame Le Pen. Ce n’est ni étiquette, ni idéologie, ni parti-pris, – mais simplement une position générale de l’antiSystème qui n’est l’exclusive de personne. Ainsi, la leçon eût-elle été complète parce qu’elle aurait, d’un seul trait de lumière, éclairé pour lui-même (Mélenchon) et pour nous tous la scène politique française, et la scène politique du monde dans l’immense affrontement en cours, et suggéré aussitôt la mesure décisive et sacrée entre l’essentiel et l’accessoire.

dedefensa.org


Grèce : un accord contraint qu’il ne faut pas soutenir

« Un revolver sur la tempe », selon ses propres termes : Tsipras a signé un “compromis”. Aussitôt, les trompettes des louanges relaient la traditionnelle propagande gouvernementale pour célébrer le rôle de facilitateur de Hollande, la force du “couple franco-allemand” et réciter les refrains, les mantras et les calembredaines habituelles des eurolâtres

La vérité toute crue est, une fois de plus, à des lustres des pseudos analyses de commentateurs qui ne comprennent pas ce qu’ils voient, parlent de textes qu’ils n’ont pas lu et font réagir des “responsables politiques” sans autres informations que celles données par ces plus que douteux intermédiaires.

Sur tous les écrans la même image : madame Merkel face à Alexis Tsipras flanquée de Donald Tusk et de François Hollande. Un spectacle inacceptable. Pas seulement pour un Français à qui il est pénible de se voir de ce côté de la table et de surcroît assis en bout de banc ! Mais surtout pour un Européen. Car cette réunion devenue, faute de critique des commentateurs, une “instance”, n’a aucune légitimité. Il y a un Conseil des gouvernements, il y a un Eurogroupe. Il n’y a pas de tandem faisant office d’audit ! La proposition issue de cette réunion n’a donc aucune légitimité. D’ailleurs, les Italiens (troisième économie du continent) ont lourdement protesté. Et le gouvernement finlandais où règne la coalition de la droite et de l’extrême droite a déjà déclaré que cet accord n’était pas le sien ! Voilà qui devrait au moins faire réfléchir les eurolâtres français. Quelle genre d’Europe est-ce là ?

Quant à la discussion dans ce cadre, quelle valeur a-t-elle ? La partie grecque n’y était pas du tout libre. Le pays est en état de blocus financier depuis quinze jours ! L’asphyxie est amplement commencée. Que vaut dans ces conditions une discussion de treize heures sans pause ? Et comment accepter le genre de pression que signifie la présence d’un côté des experts des deux premières économies, appuyés par les assistants du président du Conseil des gouvernements face à un gouvernement seul ? Est-ce ainsi que l’on traite ses partenaires en Europe ? Asphyxie financière du pays et asphyxie physique des négociateurs comme cadre d’échange ?

Après quoi je me dis mal à l’aise du fait du soutien apporté dans notre gauche ici ou là a cet “accord”. Je veux croire qu’il n’aura pas été lu ou lu trop vite… En effet, le texte signé prévoit par exemple l’abrogation de toutes les lois votées depuis février dernier, la remise en cause du code du travail jusque dans des détails comme le travail du dimanche, la surveillance rétablie de la Troïka sur chaque ministère et le devoir de son approbation préalable avant chaque proposition de loi. Quand au rééchelonnement de la dette, question prioritaire, il est, d’une part, mis au conditionnel et, d’autre part, subordonné à l’approbation préalable de tout ceci par le Parlement Grec !

La presse allemande comme le “Spiegel” parle de cet accord comme d’un « catalogue de cruauté ». Le journal “L’Humanité”, sous la plume de son directeur Patrick Apel Muller, parle de « la dictature froide de l’Allemagne ». « Angela Merkel, écrit-il, réclame la capitulation sans condition sous peine d’exclusion, accompagnée par quelques gouvernements serviles. » La veille, Matéo Renzi, le président du Conseil italien, avait fini par éclater face au gouvernement allemand : « Ça suffit ! ». De toutes part, l’indignation est montée. “Le Monde” rapporte que même les hauts fonctionnaires européens sont outrés. Il montre Tsipras épuisé et humilié.

Telle est pourtant dorénavant l’Union européenne. Le gouvernement d’Alexis Tsipras a résisté pied à pied comme nul autre ne l’a aujourd’hui fait en Europe. Il doit accepter un armistice dans la guerre qui lui est menée. Notre solidarité lui est due. Mais rien ne doit nous obliger a accepter de participer à la violence qui lui est faite. Si j’étais député, je ne voterais pas cet accord à Paris. Ce serait ma manière de condamner la guerre faite à la Grèce. Ce serait ma manière de condamner ceux qui la mènent et les objectifs qu’ils poursuivent.

En France, nous devons condamner de toutes les façons possibles les sacrifices encore demandés aux Grecs et la violence qui leur est imposée. Comme d’habitude, cela commence par le sang-froid face à la meute médiatique et son rouleau compresseur de fausses évidences. Ne jamais perdre de vue qu’ils mettent en mots la réalité pour la faire correspondre à leurs formats de diffusion et que la vérité n’est pas leur première exigence, même au prix de l’absurdité. Dans cette ambiance, il est impossible de retourner la tendance du commentaire, car elle est dans la folie panurgique. Mais, en allumant des signaux et en faisant circuler des analyses documentées, on empêche la débandade intellectuelle et on donne des points d’appui. Dans quarante-huit heures, les ravis de la crèche vont dessaouler. Toutes sortes de gens intellectuellement exigeants vont lire le texte. La résistance va se reconstituer. Certes, personne ne viendra dire merci à ceux qui auront tenus la première ligne de tranchée. Mais ce qui importe le plus sera acquis : une résistance va exister.

Les gens de bonne foi qui cherchent à se faire une opinion libre n’y comprennent rien, en vérité, tant l’accumulation des bavardages transforme en « bruit » toute question. Ils sentent bien qu’on veut leur faire penser quelque chose et ils ne veulent pas se laisser faire. Notre devoir est de tenir bon en tenant tous les bouts du problème posé. Il faut soutenir Alexis Tsipras et ne pas s’ajouter à la meute de ceux qui veulent le déchirer et se rendent complice du coup d’état tenté contre lui et les Grecs. Mais il ne faut pas soutenir l’accord pour ne pas cautionner la violence dont il est issu et qu’il prolonge.

Nous savons que le meilleur atout du peuple grec serait la victoire de Podemos en Espagne et la nôtre en France. Nous y travaillons ! Pour cela, il ne faut pas commettre l’erreur d’approuver aujourd’hui des méthodes appliquées demain aux Grecs, dont on ne supporterait pas qu’elles soient appliquées à la France. En laissant faire le putsch contre Chypre, la France a validé une méthode qui a été depuis étendue à la Grèce. Nous fûmes trainés dans la boue pour l’avoir dit et même traité d’antisémites pour cela par Harlem Désir, alors premier secrétaire du PS, absent total de la partie européenne qui vient de se jouer alors même qu’il est le ministre français des affaires européennes !

Mobilisés en équipe et avec traducteurs, mes amis et moi nous n’avons pas lâché les devoirs de la froide analyse et de la « solidarité raisonnée » qui est notre règle éthique et politique. Cette discipline, nous la pratiquons depuis la période où nous avons accompagné et soutenu les révolutions citoyennes de l’Amérique latine. En effet, elles posaient déjà à chaque instant le problème de la façon de combiner le nécessaire soutien face à l’ennemi et le droit de ne pas partager une position prise par nos amis sur place. C’est d’ailleurs pour maintenir la possibilité de cette attitude que nous avons refusé à Chavez la construction d’une « cinquième internationale » comme il l’avait proposé, en nous prévenant à juste titre que le refus de sa proposition nous laisserait sans alternative collective. Nous avons mis en veilleuse nos critiques de François Hollande, même si nos encouragements à bien faire ont comme d’habitude été utilisés sans scrupule pour faire croire à notre adhésion.

Cette attitude est celle de la responsabilité devant notre pays et devant nos amis grecs. Sans surprise, une fois de plus, nous avons vu l’exécutif français deux mains en dessous des évènements et revenant de Bruxelles comme d’autres de Munich, le sourire aux lèvres et les fleurs au plastron, acclamé par des meutes hallucinées. Je dois évidemment souligner que je ne fais cette comparaison que pour éclairer une scène. Je ne compare jamais l’Allemagne actuelle à celle des nazis. Je ne l’ai jamais fait. On m’a évidemment reproché une phrase pour mieux dépolitiser toutes les autres. J’ai dit que pour la troisième fois, l’Allemagne était en train de détruire l’Europe. C’était le titre ce matin du quotidien proche de Syriza. Avant cela, c’était déjà une appréciation de Joska Ficher, l’ancien ministre écologiste des affaires étrangères de l’Allemagne du temps de Schröder...

Jean-Luc Mélenchon