Mélenchon et son simulacre

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Mélenchon et son simulacre

• L’ex-grandiose candidat d’une sorte de souverainisme gaullien de gauche retrouve de la voix pour une interview où il fustige ceux qui attaquent la Russie et la Chine, décrit « la vision puérile du président Macron » et l’infamie de la politique américaniste. • Mais à quoi servent ces belles paroles lorsqu’on s’est fait prisonnier des commandos wokenistes/indigénistes manipulés notamment (et richement) par les réseaux de la Fondation Obama ? • Le brillant Mélenchon n’est donc plus que le simulacre de lui-même, talent tombé dans l’infamie.  

Il fut un temps où nous décrivions Mélenchon avec une plume trempée dans l’encre de la  sympathie, et nullement d’une encre sympathique. L’un des premiers articles référencés à cet égard remonte à la campagne présidentielle de 2012, le 12 avril 2012. Nous nous relevions “in extremis” (titre de l’article) du vide abyssal que nous avions mesuré dans cette période de caquetage politicailleur, en ce qui concernait ce que nous nommions “une politique de ‘grande crise’”. C’est alors que Mélenchon parut, ou disons, nous apparut, – “in extremis”, effectivement.

« Plusieurs lecteurs avaient remarqué ce discours[au Cercle républicain, le 30 mars 2012]. Nous l’avons écouté. Nous avons aussi regardé et écouté l’interview de Mélenchon sur BFM-TV, avec Le Point, le 8 avril 2012, où une bonne dizaine de minutes sont consacrées (avec référence au discours) aux questions de sécurité dans le sens le plus large du mot (défense, politique extérieure, etc.). L’impression générale est extrêmement favorable : il s’agit bien d’un discours de rupture, au sens général de l’esprit de la chose, présentant un programme fortement structuré et précisé dans ses options essentielles. Sans avoir changé radicalement le climat de la campagne, il a introduit les prémisses d’une dimension nouvelle d’un débat essentiel, non seulement électoral mais postélectoral, quel que soit le président élu.

» Nous allons tenter de résumer les axes principaux de ces interventions. A notre sens, il y en a quatre : une critique générale extrêmement puissante des USA, de leur rôle, de leur évolution, etc., et des USA pris implicitement comme moteur du Système et en crise fondamentale ; la rupture nécessaire de la France avec l’Occident (en fait, à notre sens et si nous comprenons bien, avec l’“Occident anglo-saxon”, ou atlantiste, ou le bloc BAO dans notre jargon, ou le Système si l’on veut faire bref et définitif) ; l’ouverture à de nouveaux arrangements, vers les espaces hors-bloc BAO, ce qu’on nomme d’une façon générale “les pays émergents” ; l’affirmation souveraine de la France, ou l’affirmation implicite de principes structurants. (On trouvera un exposé beaucoup plus détaillé et placé dans une perspective précisée selon les conditions de la situation générale, dans une Analyse que nous publierons très vite.) Si quelqu’un trouve là-dedans un parfum de gaullisme, ou disons du “néogaullisme” pour ne pas faire trop vieillot, et faire “de gauche” (ou de Tartempion) pour rester ce que l’on croit que l’on est, on jugera qu’il ne faut pas l’en décourager. (Lors d’un commentaire, le 10 avril, sur BFM-TV, ce journaliste italien dont nous n’avons retenu que le prénom, – Alberto, – remarquait, avec un accent chantant et étonné de l’audace de son propre propos, et après que son interlocuteur ait évoqué quelques accents “à la Mitterrand” chez Hollande, qu’“il y a comme des accents d’oune de Gaulle de gauche [chez Mélenchon].” Pas si bête, l’Alberto à l’oreille fine.) »

Il est à la fois rassurant (pour la continuité des grandes idées) et désolant (pour la petitesse des actes qui accompagnent leur parcours) que l’on puisse, dans notre chef dans tous les cas, retrouver le même courant d’adhésion quasiment sans réserve à des déclarations du même Mélanchon, dans le chef d’au moins quatre réponses à une série de quatre questions au cœur d’une interview de lui que ‘Le Figaro’ publie, ce 13 novembre 2021.

On ne s’étonnera aucunement que ces questions concernent la politique extérieure, la politique de sécurité, les relations avec la Russie et avec la Chine, les rapports incestueux avec les Etats-Unis. « Il y a comme des accents d’oune de Gaulle de gauche », disait Alberto à l’oreille fine ; la chose perdure puisque l’on retrouve, intact, le même esprit, résumé par une parole prise en guise de titre : « Ma ligne, c’est l’indépendance de la France. » Martial et de bon aloi, au point qu’on perçoit un petit tremblement transatlantique, européiste-américaniste (bloc-BAO) caractéristique sous la plume du ‘Figaro’... Soit, mais que s’est-il passé entretemps ? Quoi qu’il en soit, jugeons sur pièces pour l’immédiat puisque nous sommes bien en novembre 2021.

Question : « La Chine et la Russie ne sont pas venues au Forum de Paris pour la paix. Vous le regrettez ? »

Jean-Luc Mélenchon : « S’ils ne sont pas là, c’est qu’ils ne sont pas invités. Ce forum est une expression de la vision puérile du président Macron. Il pense qu’avec la magie de l’esprit copain anglo-saxon et en contournant les États, il va imposer ses idées dans le monde… Mais le principe des relations internationales, c’est encore et pour longtemps le lien entre les nations. Cultiver une telle tension à l’égard de ces deux puissances est absurde. Les Français n’ont aucun intérêt à être dans les fourgons de l’armée américaine même s’ils représentent 50% des dépenses militaires du monde et la Chine seulement 10%. La puissance montante, c’est la Chine et l’Asie. Jouons une autre partition, plus intelligente pour notre futur. »

Question : « La Chine passe en Occident pour un rival systémique. Peut-on ainsi s’affranchir de ce qu’elle représente ? »

Jean-Luc Mélenchon : « Vous voulez leur faire la guerre ? Les Nord-Américains espionnent jusqu’à nos présidents ! Ils pillent notre patrimoine industriel. Ils nous mentent et nous trahissent comme dans l’affaire des sous-marins. Mais nous devrions nous méfier d’abord des Chinois ? C’est le vieux mythe du péril jaune. Je refuse de voir la France entraînée dans la nouvelle guerre froide avec la Chine. Notre intérêt, c’est: pas de guerre. Je ne veux aucun maître. Ma ligne, c’est l’indépendance de la France. Quand les États-Unis dominent, je les mets à distance. Je suis un Gaulois, de ce peuple indépendant, rebelle, qui n’obéit à personne. Cette attitude est un préalable pour défendre des causes communes de l’humanité: un nouveau traité de démilitarisation de l’espace, un traité des grands fonds marins… »

Question : « Emmanuel Macron va prendre la présidence de l’Union en janvier et veut avancer sur le dossier de la défense européenne. Vous le soutenez ? »

Jean-Luc Mélenchon : « Au bal des hypocrites, tout le monde se mettra au balcon pour applaudir, sauf moi. Car je sais que tout ça n’existe pas. Il n’y a pas plus de défense européenne que de Père Noël. Trop d’États européens n’en veulent pas. À l’est de l’Europe, ils ne veulent entendre parler que de l’Otan. Ils sont obsédés par leur relation à la Russie et l’enveniment sans arrêt. Moi, au contraire, je veux quitter l’Otan au profit d’une coalition non alignée. »

Question : « Vous tendez la main à la Russie ? »

Jean-Luc Mélenchon : « Les sanctions contre la Russie n’ont aucun sens. Elles ne sont pas appliquées par les Américains eux-mêmes et n’ont servi qu’à rendre la Russie souveraine sur ce qu’elle importait. Cette politique n’obligera la Russie à rien du tout ; elle est aussi dérisoire que la présence française militaire en Estonie… Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça. »

...Mais il s’est passé entretemps ce que nous dénoncions dans le premier texte cité, du 12 avril 2012. Nous faisions montre d’une attente exagérée sinon d’un optimisme béat en observant que le “discours de ‘grande crise’” de Mélenchon finirait assez vite par s’imposer dans son chef, pour dépasser ce que nous nommions son “ambiguïté”, qui ne lui était d’ailleurs pas propre mais qui était éclatante chez lui ; ce que nous désignions comme le décalage entre ses positions intérieures, fortement “idéologisées”, et le discours qui nous arrêtait, plein d’une puissante substance :

« ...Le décalage est considérable entre son discours socio-politique intérieur, fortement “idéologisé” et proclamé partout, et son discours fondamental de “politique de la grande crise”, celui qui nous intéresse, et qui est dit mezzo voce, pour des oreilles attentives ou incrédules. Le premier soulève peut-être les foules mais il est d’une pauvreté inhérente à l’“idéologisation” de notre temps (de droite, de gauche, ou du centre, ou d’où que vous le voulez). Malgré les apparences, il joue à fond pour le Système, en perpétuant les clivages artificiels qui empêchent les alliances antiSystème fondamentales. Les attaques de Mélenchon contre la FN font partie de ce folklore assez vain, réducteur et peu glorieux, et en plus complice du Système. (Cela nous rappelle une confidence désabusée de Régis Debray début mai 2002, alors que d’immenses manifs’, essentiellement de gauche, parcouraient la France contre un Le Pen assuré de ne jamais pouvoir gagner ce deuxième tour, et que nous nous interrogions sur la signification et l’héroïsme de cette mobilisation : “Qu’est-ce que tu veux, chaque génération a besoin de sa guerre d’Espagne…”. Les temps ont changé, pour ce qui est de l’héroïsme.) »

C’était en avril 2012. Aujourd’hui, notre désolation est encore plus grande, et tout aussi affirmée notre conviction qu’il existe une ligne d’un “discours...”/d’une “politique de ‘grande crise’” qui transcende et neutralise le poison des “idéologisations”, – c’est-à-dire, d’un ‘politiquement-correct’ imposant l’apparence d’une “idéologie” de la bienpensance. (Notre conception d’un tel “discours”/d’une telle “politique” apparaît notamment dans le texte sur “la France et l’OTAN”.)

D’ailleurs, et comme un fait exprès, le même jour où paraissait l’interview de Mélenchon, Dupont-Aignan parlait sur Europe-1 dans des termes similaires à ceux de Mélenchon, – une idée commune en un mot chacun, “puéril” (Mélenchon) et“enfantin” (Dupont-Aignan), – pour qualifier la politique de Macron... 

« Sur Europe 1, Nicolas Dupont-Aignan a de son côté appelé à “sortir de cette vision enfantine de la politique étrangère avec les bons d'un côté et les méchants de l'autre”, avant d’estimer que les sanctions de l'UE contre la Russie étaient “injustes”.

» “L’avenir de l'Europe passe par une grande alliance avec la Russie : ils ont les matières premières, ils ont la volonté de se défendre, eux, ils sont indispensables au Moyen-Orient et je pense que la France gagnerait à faire sauter les sanctions [...] pour retrouver une relation diplomatique intelligente avec Vladimir Poutine”, a-t-il ajouté. »

Il est vrai qu’en même temps qu’étaient dites toutes ces choses, Macron accueillait avec enthousiaste la vice-présidente la plus impopulaire, la plus paresseuse, la plus sotte qu’aient eue les États-Unis. (Nous ne risquons pas grand’chose puisque Harris, en visite à Paris pour le brillant Forum de la Paix organisé par l’insubmersible Macron, est nécessairement “la plus” tout ce que vous voulez, puisque seule vice-présidente de l’histoire des USA. Bref, comprenne qui voudra...)

Macron montra un enthousiasme, disons “enfantin” et “puéril” à converser avec Harris, dont les originalités de sa conduite à Paris sont décrites par l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo comme  « plus qu’embarrassantes [pour les États-Unis] sur la scène mondiale. Nos adversaires regardent cela et voient de la faiblesse. Ils voient des gens qui ne sont pas sérieux. » Il n’empêche : Macron, lui, y verra un superbe rétablissement des relations entre la France et les USA, pour une bonne fois cette stupide affaires de sous-marins bien envoyée par le fond.

Pendant ce temps, les ministres des affaires étrangères et de la défense français recevaient leurs homologues russes pour la rencontre annuelle sur les questions de sécurité. Mais c’est surtout l’occasion pour l’impeccablement sexy Le Drian de faire la leçon à Lavrov sur les innombrables manquement et chapardages de la Russie dans le magasin de la bienpensance parisienne. La photo qui nous détend finalement est celle qui montrent Français et Russes montant l’escalier du Quai d’Orsay, les Français sinistrement masqués et les Russes sans masque et semble-t-il de fort bonne humeur après que Shoigou ait galamment offert à Florence Parly un bouquet de fleurs qu’on pourrait soupçonner d’être sexiste.

Devant ce spectacle affligeant, puéril et enfantin, on se rappelle tristement que les fortes paroles de Mélenchon s’accompagnent d’un comportement de politique intérieure incroyablement idéologisé, jusqu’à les réduire à la marque d’une dérisoire impuissance s’apparentant à un “acte manqué” . Comment Mélenchon en est-il arrivé là ? C’est une histoire-Woke qui nous est contée, à nouveau, par ‘Le Figaro’ (7 novembre) : 

« En réalité, l’émergence de ces thématiques[wokenistes] sur la scène politique est un peu plus ancienne. Dès 2017, juste après l’élection présidentielle, l’Insoumise Danièle Obono introduit le combat racialiste dans le débat public. Elle défend par exemple l’organisation d’ateliers en non-mixité raciale par le syndicat enseignant SUD-éducation. “C’est une pratique qui répond (…) à un besoin d’une catégorie. Les personnes qui sont victimes de violences sur un certain nombre de questions vont avoir besoin de dire qu’il va falloir qu’on puisse discuter en se sentant en confiance”, justifie-t-elle alors.

» À la même période, la députée de Paris prend la défense de sa ‘camarade’ Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), accusée à de nombreuses reprises de communautarisme, d’antisémitisme, de racisme anti-Blancs et d’homophobie. “C’est à cette période que les débats autour des luttes intersectionnelles, de l’indigénisme, des réunions en non-mixité commencent à monter au sein de La France insoumise”, raconte un ancien cadre du mouvement.

» À l’époque, de nouvelles têtes émergent et obtiennent des postes clés au sein du parti de Jean-Luc Mélenchon. “Tout un tas de jeunes diplômés de Sciences Po Paris, où ces thèses sont très prégnantes, deviennent assistants parlementaires ou permanents au siège du parti. Un vrai phénomène de mainmise interne commence à apparaître”, narre un autre ancien de LFI. Conscient de la montée de ces thèses au sein de son mouvement, Mélenchon aurait selon plusieurs cadres de l’époque laissé ces nouveaux courants s’exprimer. “Le hasard a fait que LFI n’avait que 17 députés (il en faut 15 pour constituer un groupe à l’Assemblée nationale, NDLR), dont trois venant de cette gauche sociétale. Il y avait des pressions objectives de certains parlementaires qui menaçaient de quitter le groupe. Mélenchon n’a pas eu d’autre choix que de leur laisser de la liberté”, raconte un ex-proche. Une autonomie qui a permis à ces petits groupes de prendre au fil des ans le pouvoir au sein du parti. Jusqu’à devenir majoritaires, assurent d’anciens cadres ayant quitté le navire. »

Ainsi se conclut pour le temps présent l’affligeante histoire de l’ex-trotskiste, par définition spécialiste de l’“entrisme”, victime de cette même tactique de la part des minoritaires indigénistes/wokenistes, et par conséquent tout cela nous menant à la belle trouvaille de la “créoalisation”.

Mélenchon sera conduit à boire le calice jusqu’à la lie en s’imaginant que c’est un grand cru, lorsqu’il verra confirmés ses soupçons sur l’une des origines et dans tous les cas un des moteurs puissants de ces mouvements. Assa Traoré, Rokhaya Diallo et toute la compagnie sont des compagnes directes de la Fondation Obama, qui les finance, leur fournit des postes de prestige et ainsi de suite. « Elle est très intelligente ou très bien conseillée, elle répond exactement à ce que les Américains attendent. Ils doivent être très contents d’elle », dit François-Bernard Huyghe de Assa Traoré.

Triste diagonale et déplorable raccourci : l’ex-trotskiste, devenu pour un temps heureux « oun gaulliste de gauche », a “réussi” à se faire investir et manipuler par les réseaux de type-rhizome deleuzien repeints aux couleurs du wokenisme-LGTBQ. Il lui a bien fallu embrasser ce qui menaçait de l’étouffer sous le poids de sa soudaine sensibilité affectiviste. La bien piteuse épopée.

 

Mis en ligne le 13 novembre 2021 à 17H05