Même si nous tentons d’oublier l’Irak, l’Irak ne nous oublie pas

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Même si nous tentons d’oublier l’Irak, l’Irak ne nous oublie pas


10 août 2004 — L’Irak, vous vous souvenez ? Ah oui, ce pays qu’il fallait libérer, un peu nettoyer, un peu ranger, un peu lui apprendre les bonnes manières, et enfin démocratiser pour qu’il ait enfin accès au bonheur suprême. Eh bien, aujourd’hui, l’Irak fait désordre puisque ce pays est devenu l’archétype du désordre au milieu duquel l’époque-Saddam commence à ressembler à une oasis de paix et de sécurité.

L’Irak est “sur le fil du rasoir”, c’est-à-dire au bord de l’effondrement. Ce n’est pas très bon pour notre moral, non ? Eh bien, pas du tout. On préfère n’en plus savoir grand’chose, — cela valant, évidemment, d’abord et sempiternellement pour les Américains, champions du monde de l’irresponsabilité vertueuse, du massacre sans le vouloir, de l’humiliation (des autres) comme par inadvertance, du désordre semé en passant et sans y penser et ainsi de suite. Alors, constate Paul Krugman, la presse US “s’afghanistanise”, c’est-à-dire qu’elle fait, de plus en plus, comme si l’Irak n’était plus son problème, comme si l’Irak n’existait plus vraiment. (Comme précédemment elle avait fait avec l’Afghanistan, autre point intéressant du bordel que l’Amérique s’emploie à installer dans le vaste monde.)


« A funny thing happened after the United States transferred sovereignty over Iraq. On the ground, things didn't change, except for the worse. But as Matthew Yglesias of The American Prospect puts it, the cosmetic change in regime had the effect of “Afghanizing” the media coverage of Iraq.

» He's referring to the way news coverage of Afghanistan dropped off sharply after the initial military defeat of the Taliban. A nation we had gone to war to liberate and had promised to secure and rebuild — a promise largely broken — once again became a small, faraway country of which we knew nothing.

» Incredibly, the same thing happened to Iraq after June 28. Iraq stories moved to the inside pages of newspapers, and largely off TV screens. Many people got the impression that things had improved. Even journalists were taken in: A number of newspaper stories asserted that the rate of U.S. losses there fell after the handoff. (Actual figures: 42 American soldiers died in June, and 54 in July.) »


Ce phénomène mesure la décadence de la lucidité occidentale, et l’énormité de la tromperie que constitue la machine dispensatrice de louanges sur l’américanisme, la démocratie et nos prétentions civilisatrices. Le redire et le redire ne changera rien à la marche des choses, mais permet au moins de répéter que cette marche des choses nous conduit à une crise générale où nous perdrons nos illusions. La tentative décrite sarcastiquement par Krugman d’“oublier” l’Irak a fort peu de chances de réussir, tant l’aventure irakienne constitua effectivement quelque chose qui participait et continue de participer de la substance même de la politique américaniste (à la différence de l’Afghanistan, par exemple). La stupidité des idéologues américains est telle qu’ils continuent à agiter le chaudron en continuant à parler de leur grand projet de démocratisation du Moyen-Orient, sans doute excités par la réussite irakienne. L’Irak rattrapera indirectement l’Amérique lors de l’élection présidentielle, qui constituera un tournant très important dans le processus de décomposition du système américaniste. La presse américaine devra alors s’ “américaniser”, c’est-à-dire commencer à regarder les réalités du système dont elle ne cesse de chanter les louanges.

Du côté britannique, les choses, si l’on ose dire, continuent également à continuer, notamment pour Tony Blair. Le Premier ministre est devenu le véritable martyr de la sanglante pantalonnade irakienne et continue à l’être plus que jamais. A nouveau, Blair est menacé par son parti, pour la réunion générale du parti travailliste du mois prochain. De plus en plus de députés veulent sa peau, spécifiquement sur l’affaire irakienne qui l’occupe à plein temps, et avec un maximum d’erreurs, depuis le printemps 2002. La situation est telle que les libéraux se prennent à espérer une “percée” aux élections de l’année prochaine, qui en ferait les arbitres de la nouvelle situation politique.

Dans d’autres zones, d’autres pays, l’affaire irakienne poursuit son travail de déstabilisation. Citons la Pologne, dont le Premier ministre visite GW Bush pour s’entendre dire qu’il faut tenir (les Polonais ont 2.400 hommes en Irak) et pour lui dire que la Pologne trouve de plus en plus difficile de tenir. La Pologne subit de plus en plus de pressions internes de son opinion mécontente de l’engagement irakien, et cette affaire pourrait déboucher sur une situation proche d’une crise.

Quoi que fassent l’Occident et le monde anglo-saxon, quoi que fassent les coupables et les responsables, la réalité est que l’Irak “souverain” est entré dans une phase de chaos qu’il sera difficile de contenir. Cette aggravation aura nécessairement des effets sur toutes les politiques intérieures des pays occidentaux, essentiellement ceux qui ont fomenté cette guerre, dans le sens d’une déstabilisation accélérée.